Après une enfance et une adolescence à l’étranger, et plusieurs années à vivre et travailler à New York dans un institut de cancérologie, Zineb Laghzaoui a appris à mieux connaître le corps humain et les facteurs qui contribuent à son équilibre.
C’est donc tout naturellement qu’elle s’est orientée vers la médecine douce, la Naturopathie, les plantes médicinales…
Une étape qui l’a amenée à développer au Maroc même un concept d’aliments et de produits Bio à travers l’enseigne «Green Village» ainsi qu’une société de distribution de ces produits qui livre 800 points de vente dans tout le pays.
Une aventure difficile, prenante, mais qui lui donne le sentiment et la satisfaction d’être utile aux autres, à ceux qui veulent se nourrir sainement, parce que l’alimentation est essentielle à la santé, à l’équilibre global de l’individu.
Un parcours original et qui, aujourd’hui, comme le montre la prise de conscience environnementale, mérite pleinement d’être emprunté par le plus grand nombre.
(Titre : “Un esprit sain dans un corps sain”, ndlr)
La Nouvelle Tribune : Mme Zineb Laghzaoui, vous faites partie de « ces femmes qui sont sorties des sentiers battus », thème que nous avons choisi pour notre spécial du 8 mars de cette année et que nous voulons être une Tribune pour la Femme marocaine. Pouvez -vous vous présenter à nos lecteurs ?
Zineb Laghzaoui :
Je suis la benjamine d’une famille de 6 enfants et J’ai quitté le Maroc à l’âge de 7 ans parce que mon père a été nommé ambassadeur à Londres, puis à Paris où j’ai eu mon baccalauréat.
J’ai ensuite vécu aux Etats-Unis où j’ai étudié et travaillé jusqu’à l’âge de 28 ans. Tout en étant très attachée à mon pays, que je visitais régulièrement pendant les vacances scolaires, le fait de grandir à l’étranger a dû certainement conditionner mon parcours !
Depuis ma plus tendre enfance, j’ai cultivé ma passion pour le fonctionnement du corps humain.
J’ai fait des études de biologie à Paris, puis aux Etats Unis et j’ai travaillé dans un centre hospitalier de recherche contre le cancer à New York, Sloane Kettering.
Jeune, j’ai toujours voulu étudier la médecine, mais aujourd’hui, avec le recul, je suis très heureuse de mon cheminement car si la médecine occidentale vous apprend à diagnostiquer et guérir les maladies, je reste passionnée par la préservation et l’optimisation de la santé.
Les sujets qui m’intéressent aujourd’hui sont la Naturopathie et la Médecine Holistique, plus proches de mes convictions.
Je suis avide de connaissances sur ces disciplines et, alors que mes études m’ont certainement aidée à comprendre certaines choses, je reste une autodidacte en la matière.
J’adore l’idée, par exemple, qu’en médecine traditionnelle chinoise, on ne paye son médecin que lorsqu’on est en bonne santé. Dès qu’on tombe malade, on ne le paye plus parce qu’il n’a pas « fait son travail » de vous garder en bonne santé.
J’ai bien sûr commencé à appliquer ces principes dans ma propre vie et avec ma famille. De plus, j’ai grandi dans un environnement où on aimait la terre et les produits naturels. Mes parents ont toujours eu un potager à la maison dans lequel nous n’utilisions jamais de produits chimiques.
J’ai d’ailleurs fait un rejet des médicaments et me suis orientée très tôt vers les plantes et des aliments de qualité pour rester en bonne santé.
Ne pensez-vous pas que vos études en biologie ont été le socle de votre orientation actuelle ?
Oui, c’est certain ! Certes, j’ai étudié la biologie parce que j’étais passionnée par le fonctionnement du corps humain, mais je ne savais pas comment j’allais appliquer tout ça professionnellement.
Après des années aux Etats-Unis, je suis rentrée au Maroc quand j’ai eu mes enfants.
Je ne m’imaginais pas les élever dans une ville comme New York et surtout, je voulais qu’ils restent connectés à leurs racines. J’ai eu 4 enfants et je me suis consacrée à leur éducation pendant 10 ans, période pendant laquelle j’ai choisi de ne pas travailler à l’extérieur.
Puis, ce n’est peut-être pas un hasard, quand j’ai repris une activité professionnelle, j’ai eu l’opportunité de travailler dans la distribution de compléments alimentaires d’une marque américaine.
Comme vous le savez, pour vendre ce type de produits, il faut les connaître et savoir expliquer les bienfaits aux clients, d’autant qu’à la fin des années 90, les compléments alimentaires n’étaient pas très consommés chez nous. Cette expérience et le contact avec des personnes soucieuses de leur bien-être m’avaient enchantée, pendant 3 ans.
Pourquoi avez-vous arrêté ?
C’est à croire que je me cherchais encore ! Je me suis d’ailleurs beaucoup intéressée au développement personnel parce que pour moi, l’esprit, le corps, l’alimentation et la santé physique et mentale ne font qu’un.
Je cherchais des réponses à beaucoup de questions que je me posais, comme par exemple «pourquoi certaines personnes avaient des blocages, faisaient les mêmes erreurs de façon répétitives et semblaient piégées dans des schémas négatifs sans savoir comment en sortir et surtout, sans en être conscients ?».
Comme toujours, je me suis investie à fond en reprenant des études sur le développement personnel, aux USA en France et en Angleterre, à travers des formations complètes.
J’ai voulu mettre en pratique pendant quelques années mes connaissances en faisant du conseil en développement humain, aux côtés de mon mari Slim Kabbaj qui avait crée la première société spécialisée en leadership, communication, coaching et hypnose. Toutefois, cet exercice s’est fait en exploitant aussi mes compétences en nutrition et santé, sujets qui s’imposaient dans toutes mes démarches.
A l’occasion de ces rencontres, j’ai remarqué que nos clients étaient friands de mes conseils et regrettaient ne pas pouvoir trouver les produits dont je leur parlais au Maroc. Ils avouaient être ignorants en la matière et m’ont fait part de leur frustration quand au manque d’information sur comment bien se nourrir, étant persuadés que c’était la clé pour rester en bonne santé.
Permettez-moi de vous dire que je sens que là vous alliez prendre de bonnes décisions ?
En effet, je me suis sentie utile et surtout, je voulais challenger les fausses idées qui étaient véhiculées, comme par exemple de croire que tout le Maroc était bio !
Il est vrai que le Maroc est un champion en termes d’agriculture où quasiment tout pousse et où les étalages de fruits et légumes de nos marchés font des jaloux, même en Europe.
Nous avons également une culture du «terroir» et des produits naturels bien ancrée dans notre histoire et l’amalgame est vite fait entre cet héritage «Beldi» et le concept des produits certifiés Bio.
Certainement parce que nos concitoyens ne réalisent pas que nous n’avons malheureusement pas été épargnés par le développement, ces dernières décennies, de l’agriculture intensive et l’utilisation excessive de pesticides et autres produits phytosanitaires, nocifs pour la santé.
Je voulais que les Marocains aient au moins conscience de cet état de fait pour qu’ils puissent ensuite décider librement des mesures qu’ils voulaient prendre.
C’est ainsi que je me suis lancée dans l’ouverture d’un premier magasin de produits biologiques et que l’aventure a commencé.
Naturellement, j’ai cherché des produits Bio marocains et en sillonnant le pays et je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas un grand choix en produits certifiés Bio. J’ai visité des coopératives qui fabriquaient tous les mêmes produits : huile d’argan, huile d’olive, safran, amlou. Même s’ils étaient certifiés Bio, il n’y avait pas de quoi remplir un magasin !
La nécessité d’aller voir ailleurs s’est imposée à moi et je suis allée au grand salon du Bio en Allemagne pour voir ce que proposaient les Européens. Et là, je fus comblée !
Concrètement, vous avez choisi des fournisseurs de produits bio pour importer au Maroc.
Je voulais ouvrir un magasin Bio, mais je voulais également contribuer à le démocratiser et le faire connaître ailleurs que dans notre point de vente.
C’est ainsi que nous avons crée deux sociétés : une qui développe notre enseigne «Green Village» et une autre société, Distribio, qui distribue des produits Bio vers d’autres points de vente dans tout le Royaume (plus de 800 aujourd’hui) ainsi que vers des hôtels et restaurants.
Pour le magasin, nous avons opté, après réflexion, de nous adosser sur une franchise française qui comptait plus de 300 magasins en France et nous avons ouvert le premier «La Vie Claire» à Casablanca en 2011.
Nous avons ensuite ouvert deux autres points de vente rapidement, à Casablanca et Rabat.
Slim Kabbaj et moi-même avons été précurseurs dans la distribution de produits Bio à un moment où la demande de tels produits n’était pas encore exprimée.
Lorsque le marché a émergé et que le Maroc a publié les décrets relatifs à la loi qui régi le Bio «de la fourche à la fourchette» en 2018, il nous a semblé être le bon moment pour gagner notre indépendance et lancer la toute première enseigne marocaine de super marché Bio. C’est ainsi que nos magasins sont devenus les grands marchés Bio «Green Village» et en 2019 nous avons ouvert le quatrième à Marrakech.
Que représente Green Village?
Green Village est un grand marché Bio multimarques offrant plus de 4000 produits dont 30% de produits marocains issus de la production locale.
Ce pourcentage de produits nationaux nous rend très fiers car il ne dépassait pas 1% il y a huit ans et il est en forte croissance, avec de plus en plus de produits frais des fermes agricoles et d’élevage, des produits laitiers, produits du terroir et produits transformés. Dans le rayon fruits et légumes, nous proposons une très grande variété de légumes et fruits fraîchement récoltés, en provenance de diverses régions du Maroc.
Nous avons deux gammes de produits en propre : Alvena et les produits transformés Oum Hani, faits à partir de recettes de grand-mère (pains multi-céréales, krachel, crêpes au sarrasin, crêpes et pains sans gluten…).
Les produits importés proviennent des plus grands distributeurs européens, français, anglais, allemands, espagnols, italiens, nord et sud-américains, et permettent de proposer les gammes les plus connues et les plus demandées dans les magasins Bio du monde.
Nous proposons de larges rayons d’épicerie Bio comprenant des pâtes, des riz, du quinoa, des farines de toutes les céréales, des boissons végétales, des pâtes à tartiner et tellement d’autres familles de produits ainsi que des produits diététiques, sans gluten, sans sucre ajouté, sans lactose, sans huile de palme et des produits Bio pour les bébés et les enfants.
Mme Laghzaoui, en dehors de cette expérience d’entrepreneur qui certes est très méritante, je voudrais que vous partagiez avec nos lecteurs, quels sont les produits naturels que vous avez proposés à vos clients et comment les avez-vous convaincus d’adopter les produits bio ?
Dès la première ouverture, j’ai constaté que la clientèle se distinguait en différentes catégories : Ceux qui étaient ravis qu’il y ait enfin un magasin bio à Casablanca et qui connaissaient ces magasins à l’étranger.
Ensuite, ceux qui voulaient découvrir ce concept de nutrition, conscients de sa nécessité, mais qui avaient besoin d’être accompagnés dans leur démarche.
Et enfin, ceux qui ne comprenaient pas l’utilité de ces produits importés et chers et qui surtout considéraient que le Maroc avait une culture culinaire et gastronomique bien ancrée et qui doutaient fort que ce mode d’alimentation puisse trouver des adeptes.
Comment et pourquoi, par exemple, les Marocains allaient-ils se mettre à manger du quinoa ou des graines de chia ?
Il nous a paru évident que pour convertir le plus grand nombre de personnes au Bio, il fallait des équipes de vendeurs formés pour répondre aux nombreuses questions de nos clients.
Parallèlement, nous organisions beaucoup d’ateliers ouverts à nos clients pour expliquer les produits et leur utilité.
Et pendant plus d’un an et demi, je suis aussi passée à la radio toutes les semaines pour parler d’un produit, de ses bienfaits et utilisation ainsi que des recettes.
Beaucoup de produits sont devenus des incontournables comme le vinaigre de cidre, l’huile de coco, le quinoa ou encore les graines de courge ou le son d’avoine.
Les farines, les pâtes et les riz complets sont aujourd’hui privilégiés, contrairement à il y a quelques années quand beaucoup de clients n’appréciaient pas encore le goût des spaghettis complètes. On dit qu’il faut éduquer son palais et que les goûts changent.
Je suis témoin de ces changements et beaucoup de nos clients disent ne même pas se rappeler comment ils mangeaient avant.
Et pour les compléments alimentaires ?
Nous proposons également des compléments alimentaires sous différentes formes. J’y crois beaucoup et en consomme moi-même en complément d’une bonne alimentation. C’est plus dans la culture anglo-saxonne qu’européenne, mais nos clients s’y intéressent de plus en plus et nous développons ce rayon en enregistrant différentes gammes auprès du Ministère de la Santé et en distribuant des compléments alimentaires d’excellente qualité, certifiés Bio et fabriqués au Maroc, comme la spiruline.
Considérez-vous avoir réussi à convaincre autour de vous vos clients? Sont ils plus nombreux à fréquenter vos magasins, sachant que vous venez d’ouvrir celui de Marrakech ?
Oui certainement ! Nous avons ouvert le magasin de Marrakech en janvier et sommes très contents des retours.
Il y a encore beaucoup à faire pour que l’information circule sur l’importance de bien choisir son alimentation afin de préserver sa santé.
C’est la transmission de cette connaissance qui m’importe le plus et par chance, les chaines internationales passent de plus en plus d’émissions sur la santé, le bio, les pesticides et leurs effets néfastes.
Je considère que mon rôle consiste à partager mes connaissances accumulées au fil du temps et de donner envie aux personnes que je rencontre d’approfondir leurs recherches sur les principes d’une bonne hygiène de vie.
D’ailleurs, le temps que je passe dans les magasins au contact des clients est la partie de mon travail que j’apprécie le plus.
Je dois néanmoins consacrer beaucoup de temps aux procédures administratives d’importation, encore très compliquées, pour assurer l’achalandage régulier des magasins et satisfaire les demandes des clients.
Nous devons également rester à la page de toutes les nouveautés en participant aux salons Bio à l’étranger pour pouvoir proposer à nos clients tout ce qui ce fait de mieux ailleurs dans le monde.
D’un autre côté, nous sommes très actifs sur le plan associatif avec le Club des Entrepreneur Bio (CEBIO).
Ce groupe d’une quarantaine d’entrepreneurs très actifs et engagés se démène pour développer, avec le soutien du Ministère de l’Agriculture, des filières de produits finis biologiques qui n’existent pas encore au Maroc, mais qu’il faut absolument encourager.
Il y a des produits qu’on ne devrait plus devoir importer car les matières premières existent au Maroc comme les jus, les confitures et beaucoup d’autres produits, de surcroît, très taxés à l’importation.
Notre objectif est de passer de 30% à 50% de produits marocains dans nos magasins, à brève échéance.
Travailler dans le Bio est un engagement. C’est un travail difficile qui nécessite d’éduquer le plus grand nombre pour changer les habitudes alimentaires et convaincre de la nécessité de consommer des produits sains. Et pour y mettre autant d’énergie, il faut impérativement être motivé par l’envie de transmettre la connaissance, être convaincu de l’urgence de tout mettre en œuvre pour préserver la planète pour les générations futures et appliquer le concept «Bio» dans sa vie.
La création de richesse, but ultime de l’entreprenariat, n’est pas seulement matérielle, mais réside aussi dans ces valeurs véhiculées par les initiatives Bio.
Le label BIO certifie que les produits ont été cultivés, transformés et même packagés selon un cahier des charges bien précis, comme dit l’adage « de la fourche à la fourchette ».
Les certificateurs sont des organismes indépendants et agrées par le Ministère de l’Agriculture. Ce sont eux qui contrôlent les opérateurs afin de leur octroyer le certificat Bio.
Depuis que la loi, votée en 2012, qui encadre le Bio est entrée en vigueur en 2018, le Maroc a son propre label : Bio Maroc.
Ce label n’est pas encore reconnu à l’étranger mais des personnes passionnées comme Zineb Laghzaoui et Slim Kabbaj travaillent dans le cadre associatif avec le Club des Entrepreneurs Bio, le CEBIO, pour accélérer cette reconnaissance et développer le secteur sur le marché national ainsi qu’à l’export.