Par Yonss EL AROUI – Ingénieur expert efficacité énergétique
M. El Araoui est diplômé de l’école d’ingénieur du Conservatoire National des Arts et Métiers en énergétique et également en droit de l’énergie à l’université de droit et sciences politiques de Strasbourg. Il intervient essentiellement dans la mise en place de projets innovants, le conseil, la gestion de projets et travaux en faveur de la transition énergétique.
Une première étape vient d’être franchie vers la décarbonisation des mobilités à l’échelle européenne, avec l’interdiction de la vente de véhicules thermiques à horizon 2035.
Par précaution, et d’ici à 2026, une clause de revoyure a été intégrée permettant de faire un point d’arrêt et ainsi de laisser le temps à l’émergence et au développement d’alternatives nouvelles (pour exemple : carburants synthétiques, hydrogène).
Cela permettra à terme de mettre en place les ajustements utiles à l’accompagnement de la décarbonisation de la mobilité en évitant de miser sur le « tout électrique ».
Pour autant, et jusque-là, la filière des automobiles de luxes a été épargnée, et cela, en le justifiant par sa faible représentabilité au sein du parc global.
Le premier constat que l’on puisse dresser est qu’à l’échelle européenne, le virage forcé vers l’électromobilité se révèle être plus un choix politique qu’un choix industriel.
Cela s’est démontré lors des récentes déclarations du président de Stellantis Carlos Tavares en octobre 2022 au dernier salon mondial de l’automobile à Paris.
Carlos Tavares (Stellantis): L’UE « a pris les constructeurs automobiles en otage »
Ajoutons à cela que les constructeurs européens ne sont pas encore prêts et doivent faire face à une concurrence chinoise redoutable.
Carlos Tavares (Stellantis) sur l’électrique : « On a déroulé un tapis rouge devant les constructeurs chinois »
Principalement dû à la fabrication des batteries, à ce jour, le VE électrique reste encore peu accessible. Il coûte plus cher à fabriquer et son impact carbone à la production est plus important qu’un véhicule thermique.
Aussi, en France, selon l’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie), un véhicule électrique doit parcourir en moyenne entre 25 000 km à 50 000 km pour compenser l’impact carbone généré par la production de la batterie.
Cela nous mène également à nous interroger sur les matières premières critiques qui composentles batteries, dont les enjeux à venir seront sa compétitivité et sa durabilité environnemental afin de contribuer à relever les défis de la transition énergétique.
Quels impacts de cette mue des mobilités pour le Maroc ?
Bien évidemment, il est essentiel que le Maroc pense sa propre mobilité décarbonée, et cela, de manière plus large y en intégrant, avec le bon dosage, une part d’électromobilité.
Actuellement, le modèle européen qui pousse à l’électromobilité n’est viable et possible qu’à travers les différentes subventions publiques qui tirent leurs ressources du principe pollueur payeur, s’ajoutant à cela un prix de l’électricité attractif et décarbonée issue d’un système de production nucléaire pour la France.
Au final, une électricité décarbonée, bon marché, boostée par les subventions publiques, sont autant de facteurs permettant d’amorcer la pompe et de forcer le pas vers une mobilité axée sur le véhicule électrique.
D’ailleurs, avant même d’aborder le sujet, il faudrait dans un premier temps se pencher sur l’impact carbone lié à la production de l’électricité au Maroc.
Dominée par les énergies fossiles, la mobilité électrique adossée à un tel système de production irait à contresens du but recherché censé assurer la transition énergétique des transports au Maroc.
Sans compter qu’orienter une transformation de son parc automobile vers l’électromobilité générerait forcément une adaptation du réseau et de la capacité des systèmes de production, afin de pouvoir faire face à cette nouvelle demande.
Une électrification massive, non-raisonnée contribuerait à produire d’autres effets et notamment en créant des tensions sur le système de production toute en générant un effet sur le prix de l’énergie pour l’ensemble des ménages.
Car bien évidemment, au vu du contexte socio-démographique marocain, les réponses doivent être diverses et en adéquation avec les mœurs du pays.
De plus, de par ce nouvel usage, offrant la possibilité d’une recharge au domicile, chose qui n’existait pas auparavant, se posera la question de la complexité de l’identification.
Ainsi, il sera évidemment nécessaire d’aborder au préalable le sujet du comptage intelligent, en s’attelant à s’organiser vers une démarche de déploiement d’un réseau connecté et intelligent pour identifier ce futur nouvel usage.
Non sans oublier qu’une réflexion autour de la taxation de l’électricité pour un usage dit de transport commence également à émerger en Europe afin de repenser la fiscalité et ainsi être en cohérence avec l’évolution de la flotte automobile.
Quelles perspectives pour décarboner la mobilité au Maroc ?
Avant même de pouvoir répondre à la question, il est essentiel d’avoir à l’esprit une image du secteur des transports marocains.
En 2019, le parc automobile représentait au total plus de 4 millions de véhicules, 2.8 millions de VP (véhicules particuliers) dont 37% principalement concentrés dans l’agglomération casablancaise.
Le taux de motorisation des ménages est très faible, et celui des multi-motorisés, c’est-à-dire disposant de plusieurs véhicules, est très peu représentatif.
Ce marqueur est essentiel, car cela nous donne une indication forte sur les moyens de déplacement utilisés par la population, et le potentiel de basculement vers un véhicule plus propre pour le second véhicule.
Ainsi, au Maroc, les ménages dit non-motorisés feront appel le plus souvent aux transports en communs, qui ont un rôle important à jouer vers la décarbonisation des transports.
Concernant l’aménagement en infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE), le maillage doit être pensé de manière cohérente, coordonné et adapté aux usages comportementaux propres à chaque pays.
Autrement dit, le modèle européen n’est pas transposable de manière brute, car les conditions structurelles sont très différentes.
Ainsi, en France, la recharge des véhicules électriques est essentiellement axée à 90% au domicile et en période creuse (la nuit), et le restant sur un segment comportemental dit « d’opportunité » ou de « transit ».
A cet effet, le Maroc doit s’appuyer sur ses atouts, et notamment sur sa capacité à pouvoir s’adosser sur son potentiel solaire en privilégiant le déploiement de HUB de recharge dits de haute puissance >150 kW DC (courant continu), multiservices et énergies (hydrocarbures, électricité, hydrogène) et ainsi offrant la possibilité de pouvoir faire le plein d’électricité en 30 à 45 minutes pour une large gamme de véhicules.
Il va de soi, qu’il faudra également équiper en priorité, les zones à fortes capacités de stationnement et à forte concentration (supermarchés, zones d’activité commerciale, entreprises) en s’appuyant sur les ombrières photovoltaïques permettant de valoriser l’énergie à travers les IRVE.
De plus, un des principaux atouts du Maroc, serait d’utiliser l’électromobilité comme moyen de stockage de l’énergie solaire à travers le développement du principe véhicule to grid (V2G), favorisant une meilleure intégration de l’énergie solaire en valorisant l’excédent produit à d’autres moments.
Mais encore, aborder le sujet de manière plus large en se dotant d’un schéma directeur des mobilités sur un horizon court et moyen terme combinant les transports collectifs (train, trame, taxi, bus), électromobilité et éventuellement le développement de mobilités dites douces (vélo, trottinettes, vélos électriques, espace co-voiturage).
Ainsi, le Maroc gagnerait en pertinence en électrifiant en priorité le réseau autoroutier (stations-services), sa flotte de taxis, bus et en augmentant dans les agglomérations son réseau de tramway toute en soutenant davantage les abonnements pour faciliter l’accès à une certaine classe.
Non sans oublier que le secteur des transports constitue un poids conséquent dans la pollution et la qualité de l’air, c’est pour cela que le développement et l’intégration d’outils permettant de mesurer les effets de l’évolution des actions en faveur d’une mobilité plus durable est primordial.
Pour conclure, à l’échelle européenne, malgré le développement massif des IRVE, une politique incitative, le véhicule électrique peine à convaincre et surtout à se démocratiser.
Par exemple, en France, le taux de pénétration reste relativement faible avec seulement à 1 à 2 % de VE sur un parc qui compte à peu près 40 millions de véhicules.
En attendant le développement de véhicules plus abordables tout en répondant à la contrainte de recharge, le Maroc devra forcément penser à structurer sa stratégie d’incitation financière et à calibrer son action publique pour mettre en place une offre ajustée et équilibrée aux usages en faveur de l’électromobilité.
Sans ces leviers, j’ai bien peur que la transition vers le véhicule électrique peine à se démocratiser et que celui-ci vienne grossir les rangs des produits de luxe.