Milton Perera, le 14 juin 2023, lit un journal près de chez lui à Slave Island, un quartier de Colombo, au Sri Lanka
« La vie est plus dure que l’année dernière » quand les Srilankais célébraient l’éviction de leur président. Les joues creuses et les côtes saillantes, Milton Perera se demande toujours si sa famille pourra manger le lendemain.
Avant sa fuite spectaculaire l’an dernier, Gotabaya Rajapaksa était tenu pour responsable de la pire crise économique de l’île d’Asie du Sud depuis son indépendance en 1948. La population a alors souffert de sévères pénuries de nourriture et de carburant, de coupures d’électricité et d’une inflation galopante.
Mais un an après, Milton Perera, comptable à sa retraite, ainsi que des millions de ses compatriotes, bataillent pour se payer de quoi manger.
« L’année dernière, nous avions de l’argent, mais pas de biens. Aujourd’hui, on a des biens, mais nous n’avons pas d’argent », confie à l’AFP le retraité de 75 ans, dans son HLM délabré, à proximité du front de mer d’où les manifestants ont marché, il y a un an, sur le palais présidentiel, provoquant la chute et l’exil de Rajapaksa.
Sa maison de Slave Island, un quartier populaire de Colombo où les Portugais avaient hébergé des esclaves africains pendant la période coloniale, est inondé par un dégât des eaux. Les autorités municipales ne viennent pas, faute d’argent pour entretenir leurs biens.
Les joues creuses et les veines saillantes sur ses membres décharnés, M. Perera se déplace avec précaution, la respiration sifflante, en raison de son asthme chronique.
Avant la crise, les hôpitaux publics lui fournissaient gratuitement les médicaments indispensables. Mais il y a deux mois, ses allocations sociales ont été supprimées et il n’a plus les moyens de s’acheter un inhalateur pour traiter ses symptômes.
« Un inhalateur coûte 2.500 roupies (28 euros) », précise son épouse B. M. Pushpalatha, alors qu’il leur faut désormais « acheter » les médicaments à la pharmacie.
Les factures d’eau et d’électricité aussi ont doublé avec la suppression des subventions gouvernementales aux services publics.
Il y a un an, lors de la première visite de l’AFP dans le foyer, le couple, ses deux enfants et la famille élargie devaient déjà sauter régulièrement des repas. Un an plus tard, les supermarchés sont à nouveau bien approvisionnés en produits de base mais la famille de M. Perera ne peut pas les acheter.
« Nous ne pouvons pas nous permettre d’acheter de la viande, du poisson et des oeufs. C’est trop cher », soupire B. M. Pushpalatha, 69 ans, pendant que le couple partage un simple plat de lentilles et de riz.
– « Vous ne mourrez pas de faim » –
Le Sri Lanka a fait défaut sur sa dette extérieure de 46 milliards de dollars en avril 2022, alors que son économie connaissait une crise sans précédent.
Devant les stations-services, les files de voitures s’étiraient sur des kilomètres. Les automobilistes passaient des jours à attendre pour faire le plein — beaucoup en sont morts.
Les familles n’avaient pas non plus de gaz pour faire cuire leurs aliments et l’agriculture était au point mort faute d’engrais.
Des mois de manifestations de colère ont abouti, le 9 juillet, à l’assaut du palais présidentiel et à l’exil de Rajapaksa.
Son successeur, Ranil Wickremesinghe, a négocié auprès du FMI un plan de sauvetage de 2,9 milliards de dollars en mars en échange d’un régime d’austérité sévère pour combler la dette.
Il a reconnu en février que « bon nombre » de ses décisions avaient été « impopulaires ». Mais grâce à elles « aucun citoyen de ce pays ne mourra plus de déshydratation dans les files d’attente pour l’essence. Vous ne mourrez pas de faim sans gaz ni engrais », a-t-il alors proclamé devant la nation.
– Sept millions sous le seuil de pauvreté –
Mais quatre millions de Srilankais supplémentaires sont tombés sous le seuil de pauvreté depuis le début de la crise, selon Dhananath Fernando, directeur du groupe de réflexion Advocata Institute, basé à Colombo.
« Cela signifie qu’environ sept millions de personnes sur les 22 millions d’habitants que compte le pays gagnent moins de 14.000 roupies (42 euros) par mois », dit-il à l’AFP. Parmi eux, près de quatre millions de Sri Lankais n’ont pas les moyens de se nourrir convenablement, selon les Nations unies en juin.
Si les mesures d’austérité ne commencent pas à porter leurs fruits, l’île risque de renouer avec l’agitation sociale. « Si nous ne parvenons pas à remettre le Sri Lanka sur la voie de la croissance, je ne l’exclus pas complètement », redoute l’expert.
LNT avec Afp