Le secteur alimentaire informel peut être défini comme un secteur incluant les petits producteurs, les entreprises commerciales, les prestataires de services, impliqués dans des activités liées à l’alimentation, qu’elles soient légales ou non (exemple des produits alimentaires de la contrebande). Depuis 2017, le Fonds monétaire international a adopté la définition suivante : « les entreprises familiales qui produisent une certaine valeur marchande sans être enregistrées et plus largement, la production souterraine résultant d’activités productives qui sont le fait d’entreprises enregistrées, mais peuvent ne pas être déclarées aux autorités en vue d’échapper à la réglementation ou à l’impôt, ou parce qu’elles sont simplement illégales ».
Selon la dernière enquête du Haut-Commissariat au Plan, le volume de l’emploi dans le secteur informel (tous secteurs confondus) représente près de 36,1% de l’emploi non agricole.
Le secteur de l’alimentaire informel est favorisé par l’exode rural, la croissance démographique et le développement urbain, la baisse du pouvoir d’achat et les difficultés d’emploi dans la fonction publique ou le secteur formel. Il regroupe plusieurs activités :
- La production alimentaire (urbaine et périurbaine);
- La restauration et le transport de produits agricoles et alimentaires ;
- La vente au détail de produits frais ou préparés (par exemple : l’alimentation de rue, fixe ou ambulante).
Sur le plan sanitaire, le secteur alimentaire informel pose plusieurs risques pour la santé des consommateurs. Sur le plan environnement, ce secteur peut être une source de nuisances (bruit, odeurs nauséabondes, rejets…) pour les riverains, surtout en ce qui concerne les unités situées en zone résidentielle. Pour l’Etat, ce secteur n’est pas totalement enregistré et échappe au fisc.
S’appuyant sur l’exemple des entreprises informelles de transformation des olives (huileries et conserveries traditionnelles), nous essayons de discuter les risques sanitaires posés par les produits de transformation (huile d’olive et olives de table) et proposer une approche pour la formalisation du secteur alimentaire informel.
Les huileries traditionnelles manquent terriblement d’hygiène à tel point que certaines d’entre elles, en milieu rural, sont des étables qui se transforment en unité de trituration à l’approche de la campagne oléicole. Les risques inhérents à l’huile d’olive qui y est produite sont essentiellement de nature chimique : présence de mycotoxines cancérigènes si les olives ont fait l’objet d’un stockage prolongé avant trituration, présence de métaux lourds, traces de lubrifiants, etc. La qualité de l’huile laisse souvent à désirer de part la forte acidité et les nombreux défauts observés lors de la dégustation et résultant de la non application des bonnes pratiques de fabrication (par exemple, défaut de « chômé» suite à un stockage prolongé des olives avant trituration, défaut « lies », résultant d’un contact prolongé entre huile et margines, etc.). Une forte acidité (supérieure à 3,3%) et/ou la présence de défauts intenses rend l’huile impropre à la consommation humaine, selon la réglementation en vigueur. Sans parler des possibilités de fraudes par mélange avec des huiles de graines (moins chères) et l’absence de traçabilité du produit.
L’élaboration des olives de table dans les unités informelles souffre de la méconnaissance des normes d’hygiène et de qualité. Ainsi, on peut rencontrer des olives moisies, acidifiées à l’aide d’acides non autorisés (cas des olives tournantes acidifiées à l’acide sulfurique pour ressortir la coloration rose), noircies avec des fixateurs de couleur non autorisés, etc.
Approche pour formaliser le secteur alimentaire informel
Les entreprises informelles ne disposent pas d’autorisation ou d’agrément sanitaire de l’ONSSA. L’autorisation d’exercice est délivrée par les Collectivités locales, en l’absence d’un cahier de charges environnementales et de production. Un tel cahier de charges doit contenir les minima en matière d’hygiène, de qualité, et de respect de l’environnement.
Il n’existe pas de solution miracle pour la formalisation du secteur alimentaire informel, il s’agit avant tout d’être innovateur et trouver des solutions adaptées à chaque situation. A noter que l’idée que ce secteur exerce une concurrence déloyale au secteur formel doit être abandonnée. Il s’agit d’un secteur vivrier, à faible valeur ajoutée, et dont les acteurs sont les exclus de la fonction publique et de l’emploi formel. La stratégie de la répression doit être dépassée et remplacée par une approche participative intégrant les coûts-bénéfices pour les acteurs du secteur alimentaire informel. Ces derniers vont toujours balancer les avantages offerts, en termes de rapport coût/bénéfice, par rapport à la mise aux normes de leurs produits. Cette mise en conformité deviendra une nécessité si les conditions du marché l’exigent (baisse de la demande, intérêt des clients pour des produits de meilleure qualité, pression de la concurrence) ou si cette opération se traduira par une meilleure rentabilité globale de leurs entreprises.
Les besoins et les contraintes des acteurs du secteur alimentaire informel pourraient être intégrés dans la planification urbaine et leurs connaissances et capacité renforcées en matière de bonnes pratiques d’hygiène et de fabrication, et de réglementation afférente à leurs produits. Ces acteurs pourraient bénéficier de meilleures infrastructures, installations, équipement et services. Beaucoup d’expériences réussies ont été essayées ailleurs, c’est le cas par exemple des Philippines où les vendeurs ont été enregistrés et un emplacement leur a été attribué durant les années 90 dans le district commercial chic de Makati, à condition qu’ils maintiennent un certain standard sanitaire et de propreté. Des crédits ont été offerts par le biais d’ONG et la municipalité a distribué des tabliers et des coiffes, et a assuré la distribution de l’eau potable dans les stands.
Questions aux responsables et acteurs institutionnels concernés :
- Pourquoi n’y a-t-il pas un programme de sensibilisation (voire de formation) à l’hygiène et aux normes de qualité à destination de ces unités informelles de trituration et de fabrication d’olives de table ? Ne sont-ils pas citoyens marocains au même titre que les acteurs du secteur formel organisé ?
- Pourquoi les collectivités locales donnent-elles des autorisations à l’informel sans tenir en compte du cahier de charges (aspects environnement sanitaires pris en considération) ? Pourquoi ne pas avoir mis en place des comités mixtes incluant l’ONSSA pour attribuer ces autorisations ?
- Pourquoi les pouvoirs publics continuent à diffuser le discours ambiant selon lequel le secteur informel est un secteur parasite qui doit être combattu et réprimé ?
- Pourquoi nos responsables concernés (pouvoirs publics et municipalités) ne mettent pas en place des solutions adaptées et destinées à appuyer le secteur informel pourvoyeur d’emplois et amortisseur des crises sociales ? Sont-ils en panne d’idées ?
- Pourquoi les associations de consommateurs ne font-elles pas leur travail de sensibilisation des consommateurs de telle manière qu’une nouvelle conscience consumériste pourrait peser (par le jeu de l’offre et la demande) sur le secteur informel afin qu’il se mette à niveau en matière de qualité et d’hygiène ?
Dr Rahmani Mohamed
Professeur retraité de l’IAV Hassan II
Consultant en Agroalimentaire et Qualité