Une femme devant la télévision sud-coréenne qui diffuse les images du lancement du premier missile intercontinental effectué par la Corée du Nord, le 4 juillet 2017 à Séoul © AFP/Archives JUNG Yeon-Je
Le tir d’un missile intercontinental nord-coréen change la donne géopolitique en dotant Pyongyang de nouveaux arguments, estiment les experts. Le paradoxe est qu’après ce lancement, la perspective de négociations n’a jamais paru aussi lointaine.
Testé le jour de la fête nationale américaine, le nouveau joyau nord-coréen peut vraisemblablement atteindre l’Alaska, et peut-être même aller plus loin.
Il rapproche surtout le régime de son objectif: être en mesure de menacer le territoire continental américain du feu nucléaire.
La Corée du Nord se dit acculée à cette stratégie de développement de sa dissuasion nucléaire par la menace des 28.500 militaires américains stationnés au Sud.
L’idée que davantage d’Américains soient désormais à portée des missiles nord-coréens va « peser de plus en plus sur l’électorat américain », ce qui rejaillira sur le président Donald Trump, estime Kim Yong-Hyun, professeur d’études nord-coréennes à l’Université Dongguk de Séoul.
« Tout laisse penser que le Nord cherche à faire monter autant que possible les enchères diplomatiques pour s’assurer une position dominante dans sa relation au reste du monde, y compris aux Etats-Unis et à la Corée du Sud », a-t-il dit.
La péninsule coréenne est divisée depuis la Guerre de Corée, qui s’est achevée en 1953 par un armistice et non par un traité de paix.
– Timing pas anodin –
La Corée du Nord affirme que ses programmes nucléaire et balistique ne seront jamais négociables, à moins que Washington ne renonce à sa « politique hostile ».
Le timing du tir de mardi, effectué entre le premier sommet entre M. Trump et son homologue sud-coréen Moon Jae-In et le sommet du G20, était tout sauf anodin, selon M. Kim.
M. Moon est favorable à une reprise du dialogue pour ramener le Nord à négocier, et le communiqué qui a suivi son sommet avec M. Trump indiquait que ce dernier avait exprimé son « soutien » aux « aspirations (de son homologue) à une reprise du dialogue intercoréen ».
Le tir d’un ICBM est une gifle pour le président sud-coréen, estime M. Kim.
« M. Moon dit souvent qu’il veut s’asseoir à la place du conducteur plutôt qu’à l’arrière, pour jouer un rôle leader dans les négociations sur le nucléaire », a-t-il dit à l’AFP. « Visiblement, Kim Jong-Un pense qu’il est celui qui devrait conduire. »
Pour de nombreux experts, Washington ne pourra au final que négocier.
« Il n’y aura au final pas d’autre choix que le dialogue », a déclaré le professeur Kim Yeon-Chul, de l’Université sud-coréenne Inje.
– ‘Equilibriste’ –
Depuis des décennies, la Corée du Nord cherche à arracher des concessions -avec plus ou moins de succès- en alternant les provocations et les gestes vers la paix.
Le tir de mardi était un « nouveau numéro d’équilibriste soigneusement calculé, soigneusement calibré » du Nord, a estimé Cho Han-Bum, expert à l’Institut coréen pour l’unification nationale.
En donnant une trajectoire très incurvée à son missile, la Corée du Nord a pu tester sa portée -qui pourrait être de 8.000 km selon Séoul- en évitant qu’il ne survole le Japon, allié des Etats-Unis.
La Corée du Nord n’a toujours pas non plus mené de sixième essai nucléaire, a relevé M. Cho, ce qui est une autre « ligne rouge » potentielle pour Washington.
Le tir d’un ICBM sur une telle trajectoire visait donc à « faire monter les enchères », avant des négociations, selon cet expert.
Le problème, a-t-il cependant noté, c’est que ce lancement « fait qu’il est plus difficile pour la communauté internationale de lancer des négociations ». « C’est très ironique », a-t-il ajouté.
Cela laisse penser que Pyongyang n’est peut-être pas pressé de se mettre à la table des négociations.
– Pyongyang dicte son jeu –
En attendant, Washington pourrait n’avoir d’autre solution que d’exhorter à nouveau Pékin, principal soutien de Pyongyang, à accroître la pression sur son turbulent voisin.
Donald Trump a d’ailleurs demandé dès mardi sur Twitter à Pékin de « faire un geste fort » et de « mettre fin à cette absurdité une bonne fois pour toutes ».
Pékin a répliqué « avoir accompli des efforts acharnés ». Bien qu’irritée par le comportement de Pyongyang, la Chine a la hantise d’un effondrement de son voisin qui entraînerait l’avènement à sa frontière d’une Corée alignée sur Washington.
La Chine est en outre vent debout contre le déploiement en Corée du Sud d’un bouclier antimissile américain qui entame selon elle ses propres capacités de défense.
Au final, Pyongyang gagne du temps en « capitalisant sur les divisions de la communauté internationale », affirme à la BBC John Nilsson-Wright, de Chatham House, un think tank basé à Londres.
Ces divisions ne manqueront pas d’apparaître lors du G20 en Allemagne entre, notamment, les Etats-Unis, qui demandent une action forte, et la Chine et la Russie, qui préconisent la retenue.
Le jeu est actuellement dicté par Pyongyang, affirme M. Nilsson-Wright.
LNT avec Afp