M. Roberto Cardarelli, chef de la mission du Fonds Monétaire International au Maroc
Dans un contexte mondial marqué par des crises successives, le Maroc se distingue par sa résilience économique. M. Roberto Cardarelli, économiste en chef de la mission du FMI au Maroc, nous livre une analyse approfondie du récent rapport de son institution sur le Royaume. Il aborde dans cet entretien les forces et faiblesses de l’économie marocaine, l’impact de la sécheresse sur le marché du travail, et les réformes structurelles nécessaires pour assurer une croissance durable. En filigrane dans ses réponses, se dessinent également les perspectives et recommandations du FMI pour soutenir la stabilité et le développement économique du Royaume.
La Nouvelle Tribune : M. Cardarelli, le FMI vient de sortir son rapport 2024 sur l’économie marocaine, qu’il juge résiliente aux chocs négatifs de 2023, pouvez-vous nous en parler ?
M. Roberto Cardarelli : La résilience est une appréciation de l’économie marocaine basée spécialement sur ses données macro-économique et macro-financières.
Il s’agit, en l’occurrence, du solde extérieur du Maroc, de son déficit budgétaire et de ses réserves en devises qui se sont améliorés tout particulièrement par rapport à 2020, l’année de Covid. De même que la dette publique du pays s’est stabilisée, suivant une trajectoire de réduction progressive. Il faut préciser que de tels résultats n’ont pas été faciles à atteindre parce que l’impact des chocs qui ont frappé le pays a été très significatif. D’autant que les conjonctures internationales et en Europe, son principal partenaire, ont été marquées par d’importantes difficultés. Sans oublier que la sécheresse qui s’est installée ces dernières années constitue un nouveau choc d’importance pour le Maroc.
Justement, à quel point la sécheresse va-t-elle entraver la résilience du pays dont parle le rapport du FMI ?
En effet, sur ce volet, on ne peut pas parler de résilience. D’autant que la situation du marché du travail est sérieusement liée au changement climatique. Le secteur agricole a connu un grand nombre de pertes d’emplois causant une détérioration du taux global de chômage, alors que notre rapport, dans son évaluation de l’inflation entre 2020 et 2023, constate un taux en baisse drastique, qui est passé de 10% à 2 %.
Il faut reconnaître que si du point de vue du contexte macroéconomique, on parle de résilience, des problèmes structurels subsistent.
Avec les investissements urgents qu’imposent la sécheresse et le poids de la réforme sociale sur le budget public, il est vrai qu’il est difficile pour le Maroc de contenir l’équilibre de son budget à l’avenir. A ce titre, je vous rappelle que les conclusions du rapport du FMI, portent sur les données de 2023, résultant de la situation économique, budgétaire et de la politique monétaire à fin 2023.
Mais nos concertations autour de la mission de l’article 4 n’interviennent qu’une fois par an, alors que le dialogue que nous avons avec les autorités marocaines est continu. Il permet au FMI de suivre la pertinence de la résilience et de la soutenabilité budgétaire du pays et en évaluer les perspectives. Aujourd’hui, nous sommes déjà en train de réviser nos projections pour l’année 2024.
Veiller à la maîtrise du solde extérieur et du déficit budgétaire ne favorise pas la croissance, impérative pour la création d’emplois et le financement des importants investissements que le Maroc projette. Tous les pays du monde sont endettés, alors pourquoi est-ce qu’un pays comme le Maroc ne peut pas continuer à le faire pour financer sa croissance ?
La croissance est le problème principal, et avec l’emploi sont les problèmes structurels du Maroc. Quand je parle de résilience, il faut l’entendre du côté macro-financier. Du point de vue structurel, les problèmes du pays sont clairs.
Et ils ne datent pas de cette année, ils sont connus et les autorités sont très conscientes de la situation, comme le montre le nouveau modèle de développement, qui est une vision de changement dans la qualité de la croissance.
Toutefois, celui-ci n’a pas prévu l’ampleur de la sécheresse, l’impact des changements climatiques et en particulier la situation de l’eau.
C’est très difficile de prévoir en la matière, le nouveau modèle de développement lui-même n’a pas tenu compte à 100% de ces conséquences.
En revanche, le problème de la croissance est pris en compte par le nouveau modèle en question, qui préconise plus d’investissements publics, dans l’infrastructure, plus de rôle de l’État, à travers les entreprises publiques, et la nécessité de développer le secteur privé, pour créer plus d’emplois à travers l’économie. Comme vous le savez, il y a beaucoup de réformes dans cette direction. Celle des entreprises publiques, la charte de l’investissement, le Fonds Mohammed VI pour l’investissement dont les progrès sont graduels, et les résultats seront progressifs.
Car les problèmes structurels sont très complexes et concernent plusieurs volets : la fiscalité, l’accès au crédit, le capital humain, la gouvernance, la régionalisation etc…
M. Cardarelli, la croissance économique du Maroc n’est-elle pas installée dans le temps ? Quelles sont les recommandations du FMI pour la booster sur le moyen et long terme ?
La stabilité macro est une condition nécessaire pour la croissance. Même si elle n’est pas suffisante. Il y a une différence entre les conditions nécessaires et conditions suffisantes !
La stabilité macroéconomique relève de cette distinction. Certes, une croissance plus forte que le taux de 3,4% que nous avons prévu est nécessaire pour continuer. Et, comme je l’ai dit, il est très difficile pour nous de réfléchir à l’impact des réformes structurelles sur la projection économique dans les prochains cinq années. Selon l’implémentation et l’avancement des réformes, nous pouvons mieux apprécier le comportement de la croissance économique. Nous espérons pouvoir corriger à la hausse ce taux de 3,24%. Même si nos projections portent sur les cinq prochaines années, que les réformes continuent et que beaucoup d’entre elles sont bien avancées.
Justement M. Cardarelli, comment le FMI apprécie-t-il les réformes structurelles menées par notre pays ? Et selon vous, quelles sont les plus importantes ?
En effet ! Nous suivons l’augmentation de l’investissement privé tout en sachant que les gros investissements attendus sont publics. Ceux relatifs à la régionalisation, aux infrastructures, à l’électricité, aux transports et les projets liés à la Coupe du Monde de 2030. Pour ce faire nous savons que les financements seront de plus en plus des PPP, partenariats publics-privés !
Le développement du secteur privé, dans l’objectif d’une transition vers un régime où deux tiers des investissements seront privés et un tier public, l’inverse de ce qu’il y a eu jusqu’à ce moment, va prendre du temps ; ça ne se fera pas d’une année à l’autre, beaucoup de choses doivent changer pour un tel développement. Certes, c’est le défi que le Maroc doit relever.
Ce dernier a démontré dans le passé sa capacité de faire des changements significatifs.
Ce fut le cas pour l’émergence industrielle avec l’introduction au Maroc des métiers de l’automotive, l’électronique et l’aéronautique qui ont permis la résilience de ses exportations et contribué à la stabilité de son compte extérieur.
Face à l’augmentation des importations, le solde extérieur résiste grâce aux exportations des nouveaux métiers qui ont réalisé de bonnes performances en 2023, contribuant de façon décisive à la résilience du pays. Le Maroc a ainsi prouvé sa capacité à faire des changements.
Si on compare la structure actuelle des exportations du Maroc, à celle d’il y a 20 ans, on constate qu’elle s’est transformée ! Le phosphate est le seul facteur de continuité, il a fallu 20 ans pour opérer de tels changements.
Le développement du pays doit être continu, c’est ça le plus important ! Les réformes prendront du temps mais elles vont dans la bonne direction.
Et la réforme sociale en particulier, comment le FMI la perçoit-il ?
Nous avons écrit clairement dans notre rapport de 2023 que la réforme de la protection sociale est un composant essentiel des réformes structurelles. Elle constitue la mise en œuvre de la moitié de toutes les réformes. Tant son premier volet, qui porte sur la généralisation de AMO, que l’aide sociale directe, l’allocation familiale qui a été transformée en aide sociale directe.
Ce sont les raisons pour lesquelles l’amélioration de la situation budgétaire a été très graduelle. Et nous avons dit clairement, que la réduction progressive du déficit budgétaire et de la dette publique, est nécessaire pour dégager les moyens de financement de la réforme de la protection sociale.
Il s’agit de trouver un équilibre entre la maîtrise budgétaire et le financement de la réforme sociale, ce sont les deux principaux objectifs aujourd’hui !
D’autant que les chantiers de la réforme de la retraite et de l’indemnité de chômage doivent suivre. Le FMI est engagé avec les autorités marocaines dans un dialogue pour les accompagner. Car la réforme sociale ne porte pas seulement sur l’éducation mais aussi sur la protection sociale.
M. Cardarelli, que nous diriez-vous en conclusion ?
Face à la sécheresse, il est primordial et indispensable que le Maroc continue à mettre en œuvre le plan national de l’eau avec la construction des usines de dessalement et autres infrastructures nécessaires. C’est aujourd’hui la priorité, y compris pour la croissance économique.
Dans nos projections, nous mettons en avant que l’investissement et la demande domestique vont prendre, dans les prochaines années, le relai des exportations comme moteur principal de la croissance.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
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