A l’occasion de la publication de nouveaux rapports portant sur la TPE et la PME marocaine par l’Observatoire marocain qui leur est dédié, Madame Idrissi Amal, Directrice de l’OMTPME, décortique pour nos lecteurs dans cette interview accordée à La Nouvelle Tribune, le travail continu et les efforts consentis pour établir un recensement efficace et pertinent des entreprises marocaines concernées.
La Nouvelle Tribune : Mme Idrissi, l’OMTPME que vous dirigez, vient de publier différents rapports sur la petite et moyenne entreprise, avant d’en parler pourriez-vous partager avec nos lecteurs quelques-uns des méthodes et processus mis en place pour approcher au plus près cette catégorie d’entreprises ? Quels sont les moyens mis à la disposition de vos équipes pour ces recensements ?
Mme Idrissi Amal : A mon sens, la plus importante des ressources dont nous disposons est les données partagées avec l’Observatoire par les administrations qui produisent de la donnée sur l’entreprise. En effet, les données sont notre matière première essentielle, sans laquelle nous n’aurions pas pu produire.
Le défi majeur a été de proposer une démarche méthodologique afin d’obtenir une base de données centralisée de la meilleure qualité possible en dépit des difficultés techniques.
La démarche proposée s’appuie sur les principes suivants :
La délimitation du périmètre des Entreprises actives et l’application de Règles de gestion, qui permettent de faire des choix raisonnés au niveau de l’information qu’on ajoute dans la base consolidée.
L’application de principes de croisement et de fusion qui permet l’enrichissement séquentiel de la base consolidée en respectant les règles de cohérence.
D’autres processus sont appliqués et permettent l’amélioration de la qualité de la base. Ces processus s’articulent autour du recensement et de la fiabilisation de la population des entreprises selon deux critères, à savoir le caractère actif de l’entreprise et son unicité dans la base. Pour cela, nous utilisons des techniques statistiques, probabilistes, text mining, etc.
Il faut savoir que c’est une méthodologie itérative et évolutive par apprentissage sur les données. C’est pour cette raison qu’il est important de travailler en étroite collaboration avec les fournisseurs de données.
Le travail effectué est novateur, dans le sens où c’est la première fois que l’on construit une base de données centralisée à partir de la fusion de sources multiples provenant des différentes administrations en charge de la TPME.
À la base l’OMTPME récolte de la data, notamment grâce aux conventions signées avec BAM, la DGI, le HCP ou encore la CNSS. Quelles sont les futures pistes pour acquérir une data plus fine, ou encore plus récente ? Comment expliquer « le machine learning » que vous utilisez pour traiter les données ?
Les conventions d’échanges de données jouent un rôle important pour l’Observatoire Marocain de la TPME en permettant la collaboration avec des fournisseurs de données clés tels que la DGI, Bank Al Maghrib, l’OMPIC, la CNSS et le MIC. Toutes ces administrations nous fournissent des données précieuses, l’application des méthodes de data sciences permet de rendre intelligibles ces données et fait ressortir des informations difficilement observables par analyse directe et permet leur interprétation.
Il convient de souligner que ce cadre conventionnel est en constante évolution, reflétant ainsi l’engagement continu à améliorer les mécanismes de collecte, de partage et d’analyse des informations relatives au tissu économique national. La dernière convention signée concerne Maroc PME sur les entreprises ayant profité des programmes d’accompagnement. Nous affinons continuellement les données reçues de la CNSS. Ainsi, nous allons pouvoir appréhender le salariat féminin et la qualification de l’emploi. Il reste beaucoup à faire mais les fondements d’un dispositif informationnel robuste quasi exhaustive, avec la meilleure qualité possible sont déjà opérationnels. Il est essentiel que ce dispositif demeure en constante amélioration pour rester pertinent et efficace.
S’agissant des méthodes que nous utilisons, la data science joue un rôle important dans l’innovation et le développement de la TPME, et l’Observatoire Marocain de la TPME en fait un usage stratégique. La data science regroupe des méthodes telles que la Data Analytics, le Machine Learning, le Data Mining, l’intelligence artificielle ainsi que des approches mathématiques et informatiques. Elle inclut également les méthodes d’analyse des Big Data, qui permettent de traiter de grandes quantités de données structurées et non structurées.
L’utilisation de ces techniques de data science a pour objectif de renforcer la transparence de l’action publique en fournissant des informations fiables et accessibles sur les entreprises. Cela aide les entrepreneurs et les investisseurs dans la prise de leurs décisions. De plus, cela favorise la création de services innovants en fournissant des indicateurs pertinents pour concevoir des solutions adaptées aux besoins des TPME.
Les trois rapports que vous avez publiés sont inédits, dans le sens où c’est la première fois qu’on analyse une population quasi-exhaustive sur des niveaux aussi fins, à quel rythme comptez-vous en renouveler l’édition ? Dans la continuité quels sont ceux qui sont en cours et qui seront connus bientôt ? Comptez-vous intégrer les aspects environnementaux ou sociétaux ?
Les rapports régionaux de l’Observatoire Marocain de la TPME fournissent une analyse approfondie de la situation des entreprises dans chaque région du Maroc, en mettant en lumière des indicateurs clés. Ces rapports permettent d’évaluer la performance des TPME et leur impact sur les économies régionales.
Ils offrent une vision détaillée de la démographie des entreprises dans la région, en examinant leur répartition au niveau provincial. De plus, ils identifient les secteurs clés de la région grâce à une analyse approfondie de la ventilation sectorielle des entreprises. La répartition des entreprises selon leur chiffre d’affaires est également étudiée pour mieux appréhender leur taille.
Les rapports régionaux examinent également l’évolution du nombre de créations d’entreprises au niveau provincial, ainsi que leur répartition par secteur d’activité. Ces informations permettent de mieux comprendre l’activité entrepreneuriale et la dynamique économique locale. Parallèlement, les taux de dissolution des entreprises sont évalués, reflétant la résilience des entreprises face aux défis économiques.
Un aspect clé des rapports est l’analyse du chiffre d’affaires cumulé généré par les entreprises de la région. Cette information permet d’identifier les secteurs économiques performants et de repérer les opportunités de développement.
L’emploi généré par les TPME dans chaque région est également au cœur des rapports. L’analyse comprend le nombre d’emplois créés ainsi que l’identification des secteurs contribuant le plus à l’emploi. Cette analyse permet de mettre en évidence les dynamiques de l’emploi et l’impact des TPME sur le marché du travail local.
Enfin, les rapports régionaux accordent une attention particulière à la santé financière des entreprises au niveau provincial. Une analyse des ratios financiers, de la structure des passifs, de la répartition des dettes, ainsi que de la situation de trésorerie et de liquidité des entreprises est réalisée. De plus, un chapitre est dédié à l’évaluation de l’accès au financement, permettant ainsi d’évaluer l’inclusion financière. Un autre chapitre est consacré à l’entrepreneuriat féminin. Ces rapports régionaux constituent des outils essentiels pour évaluer et analyser la situation des TPME dans chaque région du Maroc, fournissant des informations fines pour soutenir le développement économique et la planification stratégique. Ces rapports sont publiés à une fréquence annuelle et concernent toutes les régions du Maroc.
En ce qui concerne les aspects environnementaux, sociétaux, et autres, il convient de souligner que leur étude nécessite des données permettant d’aborder de manière factuelle des problématiques qui sont souvent de nature qualitative. Néanmoins, nous avons déjà entrepris la réalisation d’études similaires, notamment dans le domaine de l’entrepreneuriat féminin. Dans la prochaine édition du rapport annuel, nous aborderons le sujet de l’emploi féminin également. Ces initiatives constituent des exercices inédits visant à évaluer l’état des lieux de l’intégration économique de la femme au Maroc.
Dans le domaine des problématiques environnementales, nous avons également collaboré avec une instance nationale pour la réalisation d’une étude sur la finance verte, dans le but d’approfondir notre compréhension de ces enjeux. Avec l’Alliance pour la Finance Inclusive – AFI, nous travaillons régulièrement sur des problématiques qui touchent la finance verte pour les TPMEs.
Nous sommes prêts à nous engager dans l’étude de ces aspects, à condition que des données appropriées soient disponibles pour mener des analyses rigoureuses et approfondies sur ces thématiques.
Comment vos différents rapports, nationaux, régionaux ou sectoriels sont-ils reçus par les utilisateurs et décideurs ? Dans quelles mesures répondent-ils à des commandes de différents organismes ?
L’Observatoire, par son rôle fédérateur de données et de producteur d’outils d’aide à la décision tels que les indicateurs, les modèles prédictifs, etc., joue un rôle structurant dans la stratégie de développement des TPME. Ses productions constituent un référentiel pour les pouvoirs publics dans la mise en place de politiques pertinentes et efficaces pour ce segment d’entreprise, mais aussi d’en mesurer l’impact pour être dans un processus d’amélioration continue. C’est ce qu’on appelle le « data driven » ou les stratégies basées sur les données qui sont actuellement très utilisées particulièrement dans les pays développés.
Quels sont les enseignements qualitatifs pour l’économie nationale que l’OMTPME a tiré des 3 rapports publiés à ce jour ? Pourraient-ils inciter des arguments de politique économique spécifiques ?
Tout d’abord, il ressort de manière synthétique une fragmentation du tissu productif national, caractérisé par la prédominance d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires relativement modeste, soit moins d’1 million de dirhams.
En ce qui concerne les secteurs d’activités, on observe une concentration dans des secteurs peu consommateurs de ressources financières, tels que le commerce et la construction, dans toutes les régions du Maroc. Cette concentration sectorielle limite la diversification économique et la création d’emplois dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée.
Par ailleurs, il est important de noter une concentration significative des entreprises le long de l’axe Tanger-El Jadida, ce qui entraîne une disparité régionale. Cette concentration est particulièrement marquée dans la région Casablanca-Settat, où près de 40% des entreprises marocaines sont localisées. Cela soulève des questions d’équité économique entre les régions.
L’emploi et la création de richesse sont également fortement liés aux régions qui concentrent le plus d’entreprises. À titre d’exemple, Casablanca-Settat génère à elle seule 60% du chiffre d’affaires des entreprises, tandis que les autres régions contribuent de manière hétérogène, par exemple 1% pour Beni Mellal-Khenifra et 4% pour Fès-Meknès. De même, en ce qui concerne l’emploi, la région de Casablanca génère 40% des emplois, tandis que les autres régions y contribuent entre 1% et 14%. Cette concentration met en évidence les déséquilibres économiques régionaux et la nécessité de promouvoir le développement économique dans toutes les régions du Maroc.
Par ailleurs, les rapports régionaux mettent en évidence les différences en termes de secteurs contributeurs à l’emploi et aux chiffres d’affaires. Par exemple, dans la région de Tanger, c’est le secteur de l’industrie manufacturière qui joue un rôle prépondérant dans la création d’emplois. Cette diversité sectorielle reflète les spécificités économiques de chaque région et offre des pistes pour orienter les stratégies de développement économique et de création d’emplois.
Quelles sont les conclusions particulières à retenir du rapport de l’OMTPME sur l’entreprenariat féminin en particulier ? Sachant que l’entreprenariat féminin est très important pour mesurer la participation des femmes dans l’activité économique du Maroc ?
Tout d’abord, je tiens à préciser que l’étude a été réalisée sur la quasi-exhaustivité des entreprises formelles, soit environ 600.000 entreprises. Pour ce faire, l’Observatoire a développé un algorithme de machine learning permettant d’identifier le genre des dirigeants à partir de leurs prénoms.
Grâce à cette méthodologie, il a été possible de calculer le taux d’entrepreneuriat féminin aux niveaux régional, provincial et préfectoral, tout en procédant à une ventilation par secteur d’activité et par taille d’entreprise.
Les résultats de cette étude démontrent que 16% des entreprises actives sont dirigées par des femmes. Toutefois, si l’on restreint l’analyse aux entreprises les mieux structurées, le taux d’entrepreneuriat féminin avoisine les 14%. Ces indicateurs soulignent la persistance d’une participation relativement limitée des femmes dans le domaine entrepreneurial, malgré les différents programmes instaurés afin de favoriser leur inclusion économique.
Par ailleurs, en ce qui concerne la répartition sectorielle, les femmes se concentrent essentiellement dans des secteurs considérés traditionnellement comme « féminins », à savoir la santé humaine et l’action sociale (comprenant les professions d’infirmières, de kinésithérapeutes, de médecins, etc.), l’enseignement, la coiffure, les spas, etc. Dans ces domaines, la présence féminine est plus marquée, avec des taux variant de 30% à 40%.
Une autre constatation pertinente concerne les écarts significatifs observés au niveau régional. Les régions du sud du Maroc affichent des proportions plus élevées en termes d’entrepreneuriat féminin par rapport aux autres régions, atteignant environ 28%. Ces disparités pourraient être attribuées à des facteurs socio-culturels propres à ces régions.
Malgré la dynamique économique importante de certaines régions, notamment Casablanca, le taux d’entrepreneuriat féminin demeure relativement faible, s’établissant aux alentours de 17%.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli