Ji Seong-ho, réfugié nord-coréen, qui brigue un siège de député en Corée du Sud, le 24 mars 2020 dans ses bureaux à Séoul © AFP Jung Yeon-je
En 2018, ce réfugié nord-coréen amputé d’une main et d’une jambe avait été salué par Donald Trump devant le Congrès. Aujourd’hui, Ji Seong-ho brigue un siège de député à Séoul pour défendre ceux qui, comme lui, ont fui Pyongyang.
Son infirmité date des années 1990, quand la Corée du Nord était la proie d’une très grave famine. Ji Seong-ho, 13 ans, cherchait à voler du charbon pour subvenir aux besoins de sa famille quand il tomba d’un wagon de train.
L’adolescent de 13 ans demeura assomé sur les rails, avant qu’un train ne passe et lui sectionne sa main gauche et une jambe. Emmené d’urgence à l’hôpital, il fut opéré sans morphine ni anesthésie.
« Mon père reçut un sac dans lequel se trouvait la main et la jambe de son fils », pour qu’il les enterre, raconte M. Ji à l’AFP dans une interview. « C’est ainsi qu’on récompensa sa loyauté envers le parti ».
Un quart de siècle plus tard, il se retrouve de l’autre côté de la Zone démilitarisée (DMZ) qui divise la péninsule, à briguer un siège de député sous les couleurs du Parti pour un futur uni (opposition, ex-Parti de la liberté de Corée).
– « Défaillance » –
L’élection aura lieu mercredi, le jour même où le Nord célébrera le 108e anniversaire du fondateur du régime, Kim Il Sung.
Le père de M. Ji fut un membre loyal du Parti au pouvoir au nord depuis plus de 70 ans.
Mais cela n’empêcha pas son fils d’être régulièrement battu par des gardes qui disaient que son infirmité était « une honte pour le Cher Leader » Kim Jong Il, le fils de Kim Il Sung et père de l’actuel dirigeant Kim Jong Un.
« J’étais infirme, par la faute d’une défaillance de l’administration, mais ils nous en imputaient la responsabilité et nous torturaient », dénonce M. Ji, qui s’enfuit du Nord en 2006.
Après avoir traversé à la nage à l’aide de son frère le fleuve Tumen qui constitue la frontière avec la Chine, il s’engagea dans une odyssée de 10.000 km qui le conduisit au Laos, en Birmanie et en Thaïlande, avant d’arriver en Corée du Sud où il reçut deux prothèses.
« J’ai à nouveau pu marcher », se souvient M. Ji qui entama des études d’anglais, pour finalement passer un diplôme de droit.
– Béquilles en bois –
Aujourd’hui âgé de 38 ans, il dirige une organisation de défense des droits de l’Homme qui a aidé un demi-millier de Nord-Coréens à gagner le Sud.
Dans son bureau on le voit en photo avec Donald Trump.
« L’histoire de Seong-ho témoigne du désir ardent de chaque âme humaine de vivre libre », avait affirmé le président américain lors de son discours sur l’état de l’Union.
Il garde précieusement les béquilles en bois qu’il avait agitées ce jour-là devant les caméras du monde entier. Elles avaient été fabriquées par son père qui tenta lui aussi de fuir, mais fut rattrapé et torturé à mort.
M. Ji estime que les 33.000 Nord-Coréens qui se sont réfugiés au Sud n’ont pas reçu la considération qu’ils méritaient depuis l’élection du président de centre-gauche Moon Jae-in, qui a rencontré trois fois M. Kim dans le cadre de sa politique d’apaisement sans jamais vraiment mettre sur la table les questions relatives aux droits de l’Homme.
« Toute la société en Corée du Nord est une prison », assure-t-il. « Que se passera-t-il au moment de la réunification? Allons-nous serrer la main des dirigeants du régime nord-coréen? Allons-nous pouvoir regarder les Nord-Coréens dans les yeux? »
– « Kim nous rit au nez » –
L’année dernière, le gouvernement sud-coréen avait remis à Pyongyang deux Nord-Coréens recherchés pour meurtres, ce qui avait propoqué un tollé en raison du risque pour les deux hommes d’être torturés ou tués.
La présidence de M. Moon n’est pas en jeu lors des législatives, mais celles-ci sont souvent considérées en Corée du Sud comme un référendum sur l’action du chef de l’Etat.
Au moment où les négociations avec Pyongyang sur le nucléaire sont au point mort, la Corée du Nord n’a pas du tout constitué un sujet lors de la campagne.
De son côté l’organe nord-coréen de propagande Uriminzokkiri a présenté M. Ji comme « une pourriture humaine cruelle et brutale » qui avait commis de nombreux crimes avant de s’enfuir.
Les personnes qui fuient le Nord déchantent parfois en arrivant au Sud, en raison de la difficulté à trouver leur place dans cette société capitaliste très individualiste.
L’année dernière, une femme de 42 ans et son fils de six ans furent retrouvés morts à leur domicile, deux mois après leur décès. Leur frigidaire était vide et de nombreuses factures impayées s’étaient accumulées.
« Permettre aux Nord-Coréens de s’installer correctement montrerait au Nord qu’il y a du bon dans la démocratie au Sud », plaide M. Ji. « Si nous ne pouvons accueillir les Nord-Coréens, Kim Jong Un va nous rire au nez. »
LNT avec Afp