M. Adnane Ben Halima, Vice-Président en charge des relations publiques de Huawei Northern Africa
M. Adnane Ben Halima est Vice-Président en charge des relations publiques de Huawei Northern Africa. Il dresse ci-après un état des lieux de l’économie numérique en Afrique et en dépeint les perspectives.
Pouvez-vous dresser un état des lieux de l’économie numérique sur le continent africain ?
M. Adnane Ben Halima : Depuis la fin des années 1990, le numérique pénètre progressivement – à des rythmes différents et à des degrés divers – les sociétés et les économies en Afrique. Alors que le taux de pénétration d’Internet n’était que de 1% au début des années 2000 en Afrique, il atteignait 43,2% en 2021[1], le continent comptant alors plus de 500 millions d’internautes, soit environ 38% de la population.
Le numérique investit progressivement tous les pans des économie africaines : santé, éducation, gouvernement, agriculture, commerce, etc. Puissant vecteur d’innovations et de création d’emplois, les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont des piliers du développement socio-économique des pays. En effet, selon un rapport publié en 2020, l’Afrique a le potentiel de générer 180 milliards de dollars d’ici 2025 et atteindre 712 milliards de dollars d’ici 2050[2]. Ainsi, au regard des nombreux opportunités et bénéfices qu’il crée, le déploiement du numérique est inscrit au cœur des agendas nationaux, comme l’attestent par exemple les stratégies égyptienne (Digital Egypt) et sénégalaises (Sénégal Numérique 2025).
Avec la pandémie de la Covid-19, le recours aux technologies numériques s’est considérablement accru, prenant une place prépondérante dans nos vies quotidiennes ; l’Afrique n’y faisant pas défaut. Sur le continent, nous avons par exemple assisté à un essor des transactions en ligne. Le recours au e-commerce s’en ainsi est trouvé démultiplié, conditionné par les mesures de confinement ayant empêché les personnes de se déplacer.
Enfin, selon les projections des Nations Unies, l’Afrique devrait voir sa population doubler d’ici 2050, la moitié de ses habitants aura alors moins de 25 ans. Pour cette jeunesse africaine, le numérique constitue un véritable vivier d’opportunités ainsi qu’un vecteur de croissance. A cette économie numérique galopante s’ajoutent malheureusement des enjeux croissants de cybersécurité. En effet, les cyberattaques se sont multipliées sur le continent, l’Afrique ayant été la cible de près de 28 millions de cyberattaques entre janvier et août 2020[3]. Ce faisant, les pertes économiques liées à la cybercriminalité sont évaluées à près de quatre milliards de dollars par an pour les pays africains.[4]
Alors que la révolution numérique est synonyme d’opportunités, elle induit également de nouvelles menaces, au premier rang desquelles, les cyberattaques, de plus en plus nombreuses et sophistiquées. Comment la pénétration progressive du digital dans tous les secteurs de l’économie augmente-t-elle le risque cyber en Afrique, fragilisant ainsi l’économie numérique des pays ?
La pandémie de la Covid-19 a provoqué des confinements répétés et des mesures de distanciation sociale qui ont eux-mêmes provoqué une accélération de l’adoption de solutions numériques ainsi que l’informatisation des processus. Or, cette adoption rapide et nécessaire des outils digitaux a démultiplié le nombre de cyberattaques sur le continent africain. Ainsi, selon l’Étude de la maturité Cybersécurité 2021 en Afrique Francophone réalisée par le cabinet Deloitte auprès de 210 entreprises dans 11 pays, 40% des entreprises africaines ont enregistré une augmentation significative du nombre d’incidents cyber depuis l’arrivée de la pandémie.[5]
Or, la multiplication des cyberattaques a des répercussions sur l’économie numérique, qui se chiffrent en milliards de dollars. Tandis que celle-ci pourrait représenter 5,2 % du PIB du continent à l’horizon 2025, soit un peu plus de 180 milliards de dollars[6], la cybercriminalité a réduit le PIB du continent africain de plus de 10% en 2021.[7]
L’absence d’un cadre juridique adéquat sur la cybersécurité et la protection des données empêche les États africains de lutter efficacement contre les cyberattaques induits par une digitalisation progressive d’une grande partie des secteurs économiques. En effet, sur 54 États africains, seuls 28 d’entre eux disposent d’une réglementation sur la protection des données et 6 rédigent actuellement une législation.[8] Par ailleurs, plus de 90% des entreprises africaines opèrent sans utiliser les protocoles de cybersécurité nécessaires et sont de ce fait vulnérables aux cyberattaques.
Faire du numérique un vecteur de croissance et de développement socio-économique sur le continent est l’une des priorités des États africains. La Convention de l’Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel, adoptée à Malabo le 27 juin 2014, est à ce sujet éloquente. L’un des prochains défis sera de renforcer les capacités des populations, notamment à travers le déploiement de programmes de formation centrés sur la cybersécurité et de partages d’expérience respective.
Dans quelle mesure la souveraineté numérique et la protection des données sont-elles des leviers de la croissance économique des pays africains ?
Au regard des conséquences négatives que les cyberattaques engendrent sur l’économie des pays, la lutte contre ces dernières doit être une priorité inscrite au cœur des agendas nationaux. Étant donné les risques induits sur leur souveraineté – étatique et donc numérique -, les États doivent se doter de leurs propres infrastructures de réseau et réduire leur dépendance à l’égard d’acteurs extérieurs en rapatriant leurs données sur leur territoire. En effet, souveraineté numérique et protection des données sont intrinsèquement liées, la première garantissant la protection des données.
Or, en 2020, le nombre de data centers en Afrique s’élevait à une petite centaine, soit moins de 1,3% des sites mondiaux[9]. Ce faisant, les pays ne maîtrisent donc pas leurs propres données, impliquant des risques non-négligeables sur leur protection. Assurer sa souveraineté numérique se révèle donc être une priorité pour chaque État. Cela passe notamment par la construction de data centers nationaux ou continentaux. Par ce biais, ces derniers seraient alors en mesure d’appréhender les cyberattaques et ainsi de réduire les pertes économiques associées à ces dernières dans le but d’en faire un véritable levier de croissance.
Si la pandémie de la Covid-19 a vu se multiplier le trafic de données, celui-ci devrait considérablement s’accroître au regard de la croissance démographique du continent, la population africaine représentant près d’un quart de la population mondiale dans moins de 30 ans. Cette situation est une opportunité unique pour l’Afrique de stimuler sa croissance économique grâce à des investissements ciblés dans le numérique. Une telle stratégie permettrait de stocker localement les données des pays africains, tout en améliorant la vitesse et le coût des télécommunications. L’Afrique apparaît donc en bonne voie pour s’imposer comme un acteur majeur du stockage de données, avis d’ailleurs partagé par Globe Newswire qui estime que la taille du marché africain des centres de données devrait dépasser les 3 milliards de dollars d’ici à 2025[10].
Pilier de la transformation digitale et secteur essentiel de l’économie numérique, la cybersécurité représente un vivier d’opportunités pour la jeunesse du continent. Quelles sont les actions déployées par Huawei Northern Africa afin de permettre aux populations de prendre pleinement en main leur avenir numérique ?
En tant que leader dans les domaines des télécommunications et des solutions TIC, Huawei œuvre en étroite collaboration avec ses partenaires et les autorités de réglementation des télécommunications pour garantir à aux pays africains une transition vers le numérique en toute sécurité. Dans cet objectif, nous axons nos actions sur trois piliers que nous jugeons essentiels : le renforcement des infrastructures, une formation adaptée aux TIC et à la cybersécurité principalement à destination de la jeunesse africaine et enfin des campagnes pour sensibiliser les entreprises aux bons usages du numérique.[11] Ce faisant, nous ambitionnons de donner aux populations africaines les moyens leur permettant de prendre pleinement en main l’avenir numérique de leur pays et de facto, du continent.
Chez Huawei, nous considérons l’éducation comme le terreau du développement socio-économique des pays, contribuant par la même à accroître l’employabilité sur le continent africain, dont la population doublera d’ici 2050 selon les projections des Nations Unies. Les mêmes estimations soulignent que près de 800 millions de jeunes auront moins de 25 ans d’ici 2050[12], le nombre de personnes entrant sur le marché du travaillant allant dès lors considérablement augmenter.
Afin de renforcer notre accompagnement en matière de connectivité, nous avons déployé plusieurs programmes de formation des talents. Depuis 2014, nous avons ainsi lancé l’initiative “Seeds for the future” dans la région Northern Africa, avec pour objectif de proposer des formations spécialisées dans le secteur des TIC et de la cybersécurité. Jusqu’à présent, plus de 1 600 jeunes Africains de 20 pays ont participé au programme. Nous pouvons également citer la ICT Academy ou encore la ICT Competition. L’ensemble de ces initiatives s’inscrivent dans notre objectif de répondre au manque de professionnels de sécurité certifiés sur le continent. En 2018, le nombre de professionnels de la sécurité certifiés était estimé à 7 000, soit un pour 177 000 personnes.[13] Ce faisant, ces talents seront à même de saisir les opportunités et les défis que représente le numérique et d’y répondre de la manière la plus adéquate possible.
Dans la même idée, en avril dernier, Huawei a organisé à Abidjan (Côte d’Ivoire), un atelier de formation sur la protection des données à caractère personnel afin d’outiller nos équipes sur la loi concernant les libertés et la vie privée des utilisateurs de nos technologies. Cette formation visait à aider nos équipes en Côte d’Ivoire à se conformer à la loi relative à la protection des données à caractère personnel dans le pays, un dispositif de contrôle mis en place par l’Autorité de régulation des Télécommunications de Côte d’Ivoire (ARTCI).
Enfin, au-delà des formations que nous dispensons, Huawei parraine régulièrement des évènements en lien avec la cybersécurité, à l’image de la conférence de l’ARISPA en juin 2021 sur le thème « Opportunités et défis de la cybersécurité moderne ». A travers cet événement, nous souhaitons notamment sensibiliser les décideurs politiques et le grand public sur les défis mondiaux en termes de cybermenaces, tout en plaçant la cybersécurité au cœur de la transformation numérique.
Quelles stratégies les entreprises et organisations peuvent-elles adopter afin de protéger les données personnelles de chacun sur le continent africain ? Comment les États peuvent-ils et doivent-ils sensibiliser et former aux enjeux du numérique ?
Pour mettre en place une politique efficace de protection des données, il est nécessaire que les secteurs publics et privés collaborent. En ce qui concerne les entreprises, la première priorité est d’adopter en interne une réglementation efficace relative à la protection des données personnelles avant de construire des infrastructures fiables (data centers, cloud) pour conserver ces données, sans risque de fuite. En effet, selon le rapport Privacy Scorecard, le score global de l’indice de performance n’était que de 35% : 66% des organisations offrant une sécurité robuste des données, 54% se conformant aux meilleures pratiques en matière de protection de la vie privée et seulement 19% mentionnant les tiers avec lesquels les données personnelles sont partagées.[14]
Parallèlement, les pouvoirs publics ont un rôle essentiel à jouer dans la sensibilisation et la protection des usagers. Ils sont de plus en plus nombreux à avoir pris conscience de l’importance que revêt la cybersécurité dans une période où les cyberattaques se sont considérablement multipliées depuis 2020. En témoigne le Sommet sur la cybersécurité s’étant tenu à Lomé, au Togo, les 23 et 24 mars derniers. Les experts, dirigeants et responsables politiques ont insisté sur le déploiement de structures nationales en matière de cybersécurité, posant ainsi les jalons d’une coopération interétatique et mobilisant les acteurs opérant dans le secteur numérique. La mise en place de législations et de cadres réglementaires portant sur la protection des données personnelles se révèle enfin indispensable.
De concert, les acteurs publics et privés de l’écosystème numérique doivent ouvrir la voie à la création de structures opérationnelles nationales en termes de cybersécurité, posant, in fine, les jalons d’une coopération pérenne entre les pays africains. La société civile ne doit pas rester à la marge de telles initiatives, et doit au contraire être au cœur de ces réflexions et collaborations.
Enfin, les secteurs publics et privés ont pour mission de sensibiliser le grand public aux opportunités certes, mais également aux risques induits par la numérisation croissante de nos économies. En effet, il est important de rappeler qu’en termes de cybersécurité, les failles sont avant tout humaines. Dès lors, sensibiliser passe par la formation et par l’apprentissage. Chez Huawei, nous avons développé de nombreux programmes de formation permettant aux jeunes talents d’acquérir des connaissances et des compétences sur les nouvelles technologies disruptives, mais également d’être formés à leurs usages. Leur sont également inculqués les pratiques de la cybersécurité, comme en témoigne l’édition malienne 2021 de Seeds for the Future, l’un de nos programmes phares que nous avons déployés dans la région Northern Africa depuis près de 8 ans maintenant.
Partenaire stratégique des pays africains depuis plus de vingt ans, comment se traduit l’engagement de Huawei Northern Africa en faveur du développement d’une économie numérique prospère et sûre ?
L’économie numérique est aujourd’hui au cœur des enjeux d’un continent africain en pleine mutation.
Présent depuis plus de vingt ans en Afrique, Huawei s’est donné comme mission d’accompagner la transformation digitale des pays dans lesquels il opère, participant ainsi au développement de l’économie numérique sur le continent. Nous mettons notre expertise au service des populations et déployons pour ce faire des solutions innovantes répondant aux besoins identifiés.
En ce qui concerne la cybersécurité proprement dite, comme susmentionné, il s’agit d’une question vitale pour la croissance des économies des pays africains. Chez Huawei, nous communiquons avec les gouvernements et nos partenaires afin de les sensibiliser et leur fournir des solutions, outils et infrastructures technologiques fiables et répondant aux plus hautes exigences de qualité. Les infrastructures sont en effet l’une des clés du développement de l’économie numérique en Afrique et parallèlement lutter contre les risques cyber.
De même, nous sommes persuadés qu’une économie numérique prospère et pérenne, – celle-ci faisant appel à des pratiques de cybersécurité dûment maîtrisées – ne pourra être une réalité que si elle est pleinement portée par un capital humain formé, dynamique et créatif. Par ailleurs, premier pas vers la souveraineté numérique, l’apprentissage dans le secteur des TIC est essentiel afin d’assurer le transfert de compétences, permettant in fine aux populations d’être pleinement autonomes et de prendre elles-mêmes en main leur avenir numérique. Cette exigence étant celle de Huawei, notre entreprise a déployé un certain nombre de programmes en Afrique – la ICT Academy, la ICT Competition, Seeds for the Future – afin de former les jeunes talents aux technologies de pointe telles que l’intelligence artificielle, l’Internet des Objets (IoT), le big data, etc.
Pour les années à venir, Huawei continuera de renforcer son accompagnement à destination du continent africain afin d’en faire un acteur à part entière de l’économie numérique mondiale.
[1] Jeune Afrique, Cybercriminalité : les leaders économiques africains doivent changer de regard et d’approche , 2022
[2] Rapport, e-Conomy Africa 2020
[3] Le Monde Afrique, « Cybersécurité : l’Afrique sous la menace d’un “chaos numérique” », juin 2021.
[4] Bilan, Cybersécurité – L’Afrique s’organise face à la criminalité virtuelle ,2022
[5] Étude Deloitte, “Maturité Cybersécurité 2021 Afrique Francophone”, 2021.
[6] IFC, Selon un rapport de Google et d’IFC, à l’horizon 2025, le marché de l’économie numérique en Afrique représenterait 180 milliards de dollars., 2020.
[7] La Tribune Afrique, Cybersécurité: l’Afrique a perdu 10% de son PIB dans les cyberattaques en 2021, 2022.
[8] Le Point, Cybersécurité : l’Afrique organise la riposte face aux menaces, 2022.
[9] « Sans data centers, pas de souveraineté numérique africaine », Le Journal de l’Afrique, 2021.
[10] Global Voice Group, La souveraineté numérique en Afrique, 2020.
[11] Médias 24, Souveraineté numérique en Afrique : Huawei déploie des solutions pour améliorer la cyber-résilience du continent, 2022
[12] Afrique Magazine, Une jeunesse en chiffres, 2021
[13] Le Point, Cybersécurité : l’Afrique organise la riposte face aux menaces, 2022.
[14] Teknolojia, Protection des données : les entreprises africaines doivent être plus transparentes, indique un rapport, 2021