Mostapha Bahri
Professeur, consultant économiste
Il arrive parfois que vous constatiez au sein des grandes surfaces, une différence entre le prix affiché et le prix à la caisse. Voici une histoire telle que vécue par un client.
Un consommateur était dans une grande surface à Rabat pour faire des courses. Dans le rayon des ordinateurs, il a remarqué un joli cartable dont le prix affiché était de 390 Dhs. Il a hésité pour prendre la décision d’achat et a jugé plus judicieux que sa fille l’examine avant, puisque c’était un cartable d’ordinateur pour fille. Lorsqu’il revint quelques jours après et se dirigea en compagnie de sa fille vers le même rayon, le cartable était toujours là et au prix de 390 Dhs. Cette fois, il prit le cartable qui plut à sa fille et le déposa dans le caddy. Après avoir effectué d’autres achats, ils passèrent à la caisse pour payer. A sa grande surprise lors de la vérification du ticket de caisse (geste qu’il faut toujours apprendre à faire), il constata que le cartable était facturé, cette fois-ci, au prix de 440 Dhs, soit une différence de 50 Dhs. Par conséquent, le prix affiché de cet article ne correspondait pas à celui qui était facturé à la caisse, chose qui arrive souvent dans les grands magasins.
D’ailleurs, c’est au consommateur de vérifier son ticket de caisse. Certaines grandes surfaces n’actualisent pas les prix des linéaires, particulièrement après les opérations de promotion, ou bien le responsable du linéaire oublie de la faire, si ce n’est volontairement, mais je préfère en douter.
Notre consommateur s’adressa à l’accueil pour la réclamation. On appela le responsable du rayon à qui on a expliqua la requête du client. Celui-ci invita ce dernier à se rendre ensemble au rayon et ce, afin de s’assurer du prix affiché. Effectivement, il fut constaté une différence entre le prix affiché et le prix facturé. La réaction du responsable a été immédiatement de dire qu’il y a eu un oubli pour mettre à jour les prix. Le consommateur répondit que c’est la faute du magasin et que celui-ci doit assumer cette erreur. En retournant à l’accueil et après discussion avec son supérieur, il décida de rembourser la différence, 40 Dhs en monnaie et délivrer un avoir de 10 Dhs sur les prochains achats, solution qui arrangea davantage le magasin que le client.
Ce genre de problème est courant au niveau des magasins de commerce qui affichent les prix.
Que prévoit la loi n° 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur dans de pareils cas ? Eh bien c’est l’article 20 de son décret d’application qui stipule ce qui suit : «En cas de différence de prix entre le prix indiqué dans le rayonnage et le prix en caisse, c’est le prix le plus favorable au consommateur qui est appliqué».
En conséquence, le consommateur est appelé à vérifier ses factures ou ticket d’achat après toute opération d’achat et réclamer ses droits. Le consommateur doit être vigilant, en l’absence d’associations de consommateurs (voir notre article publié par la Nouvelle Tribune n° 1207 du 15 avril 2021 : « le silence et l’absence troublante des associations de protection des consommateurs ») dont le rôle est de le sensibiliser, l’orienter et l’informer des pratiques de certains magasins afin qu’il soit avisé.
Le consommateur est parfois confronté à d’autres problèmes. Le plus grave c’est que la plupart des magasins de commerce n’affichent pas les prix de vente de leurs produits et services. Certains fournisseurs croient que l’affichage ne concerne que le petit commerce d’épicerie ; ou encore, que l’affichage ne se fait que pendant le mois sacré de Ramadan, mois durant lequel l’administration mobilise tous ses services pour la surveillance des marchés. Malheureusement, les consommateurs marocains se sont habitués à cette défaillance, à tel point qu’il leur parait tout à fait normal de ne pas afficher les prix. Là aussi, les associations de consommateurs, qui devraient jouer leur rôle d’information et de sensibilisation, brillent par leur absence.
L’autre problème rencontré par certains consommateurs dans les magasins qui affichent les prix, c’est l’existence de certaines pratiques malhonnêtes qui sont utilisées par certains fournisseurs et particulièrement les magasins de prêt à porter. Il s’agit de regrouper un lot de vêtements affichant des offres alléchantes de prix, avec d’autres articles dont les prix réels sont supérieurs. Ce n’est qu’arrivés à la caisse que seuls les consommateurs avisés peuvent constater l’entourloupe. D’autres magasins recourent à une autre pratique, celle de mentionner au niveau de l’étiquette de l’article plusieurs prix avec des monnaies de certains pays étrangers (phénomène constaté au niveau d’une seule franchise). Dans ce dernier cas, certains consommateurs ont été induits en erreur par le prix exprimé en dirhams des Émirats Arabes Unis (1 Mad c’est l’équivalent d’environ 0,41 AED). D’ailleurs, la loi au Maroc sur la protection du consommateur oblige les fournisseurs à afficher les prix en monnaie nationale.
Pourquoi l’affichage des prix est-il indispensable dans le commerce ?
Plusieurs consommateurs ignorent que depuis le 7 juillet 2001, tous les prix sont libres, à l’exception de certains produits et services dont la liste a été fixée par arrêté, et particulièrement lorsque la concurrence est inexistante ou insuffisante tels les transports publics, taxis, eau et électricité, gaz butane, sucre, livres scolaires, etc.
Ainsi, en principe, tous les prix des produits ou services exposés à la vente, ainsi que les conditions particulières de la vente et de l’exécution des services, doivent être visibles et compréhensibles, exprimés en monnaie nationale et toutes taxes comprises.
Dans ce cadre, l’information sur les prix est obligatoire, quelles que soient les formes de vente : en magasin, à distance (correspondance, téléachat, internet), hors établissement commercial (à domicile, dans les lieux inhabituels de vente, etc.).
Le fournisseur est dans l’obligation d’informer le consommateur avant la conclusion du contrat de vente. Ce dernier doit être en mesure de connaître le prix qu’il aura à payer sans être obligé de le demander. A cet effet, le fournisseur, s’agissant de la publicité des prix, peut le faire par voie de marquage, étiquetage, affichage ou par tout autre procédé approprié. Le prix affiché doit être lisible soit de l’extérieur, soit de l’intérieur, selon le lieu où sont exposés les produits. C’est le droit à l’information garanti par la loi relative à la protection du consommateur, qui par la suite lui permet de choisir en toute liberté.
C’est ce que prévoit la loi.
Qu’en est-il de la réalité ?
Est-ce que ce principe de l’affichage des prix est respecté ?
Est-ce que les services en charge d’appliquer les clauses relatives à la publicité des prix sont en mesure d’imposer ce principe de publicité des prix ?
Quels sont les obstacles voire les difficultés rencontrées pour la mise en œuvre des clauses relatives à la publicité des prix ?
S’agissant de l’obligation de l’affichage des prix par tous les fournisseurs, il convient de rappeler, que depuis les premiers textes concernant la réglementation des prix, promulgués après l’indépendance en 1957 et 1958, le législateur qui soulignait que l’affichage des prix des produits était obligatoire, considérait le non-respect de cette obligation comme une simple infraction, dont l’amende se situait entre 120 et 100 dirhams. Les commerçants, face à cette amende insignifiante, refusaient d’afficher les prix et acceptaient le payement de la pénalité.
Ce n’est qu’en 1984, que le législateur a reconsidéré cette pratique comme une hausse illicite des prix, mais malheureusement et seulement pour les produits et services dont les prix étaient réglementés. Cette reconsidération permettait de prononcer une amende plus consistante. Mais s’agissant des produits et services dont les prix étaient libres, l’amende restait toujours dérisoire.
Cependant, avec la promulgation de la loi n°06/99 sur la liberté des prix et de la concurrence, le principe de la liberté des prix a été consacré (à l’exception d’un petit nombre de produits et services). De même, la sanction pour non affichage des prix a été aggravé en fixant le montant de l’amende entre mille deux cents et cinq mille dirhams.
Il a été question lors de l’examen du projet de cette loi, de revoir l’affichage des prix pour certains types de commerces pour lesquels le respect de cette obligation s’avérait très difficile, telles les ventes de certains produits agricoles par des fermières ou sur le marché du bétail. Le débat concernant cet aspect n’a pas permis d’aboutir à une solution qui tiendrait compte de la spécificité de certains types de commerce.
D’ailleurs, l’application des dispositions de cette loi concernant l’affichage des prix n’a pas donné de résultats et plusieurs activités, ne se soucient guère de l’affichage des prix et ne se sentent pas concernées par les dispositions de la loi concernant ce volet.
La conséquence, c’est qu’il existe un dualisme au niveau de l’application de la loi. Des activités affichent les prix par obligation et par respect de la loi ; alors que d’autres vendeurs ignorent la loi, ou alors ne sentent pas concernés par l’obligation d’affichage.
Cependant, le problème de l’affichage des prix se pose toujours avec acuité.
La loi n° 08-31 édictant des mesures de protection du consommateur, du 18 février 2011, qui a repris les dispositions concernant ce volet de la loi sur les prix et la concurrence n’est pas arrivée à imposer le respect de cette obligation, en dépit du fait que l’amende pour non affichage a été revue à la hausse passant à deux mille dirhams comme minimum et à cinq mille dirhams comme maximum.
Il se trouve que probablement la procédure aboutissant à la sanction, depuis la constatation de l’infraction, est longue du fait que le procès-verbal doit être adressé au tribunal chargé de prononcer la sanction. Le traitement des dossiers exige plus de temps que lorsque les sanctions étaient administratives. A ce niveau il existe un travail à faire en profondeur aussi bien par les associations de consommateurs (si elles se décident à se réveiller) que par les administrations en charge de l’application de loi. Étant donné que les prix sont libres, il devient indispensable d’informer le consommateur des prix des produits et services.
Conseils aux consommateurs
- Apprenez à vérifier les tickets de caisse après tout achat effectué et n’hésitez pas à faire des réclamations, au niveau de l’accueil et pas auprès de la caissière, même pour une petite différence de prix ;
- Apprendre à comparer les prix d’un commerce à l’autre. Il existe parfois des différences de prix pour certains produits de consommation courante qui dépasse les 10% ;
- Il faut revoir l’idée que les prix au niveau des grandes surfaces sont plus intéressants. Certains détaillants sont arrivés à regrouper les achats et bien négocier les prix d’achat. D’autres commerçants ont pu identifier des fournisseurs qui leur proposent des prix intéressants et arrivent par conséquent à proposer des produits à des prix plus compétitifs ;
- Les associations de consommateurs ont un rôle à jouer aussi bien auprès des fournisseurs qu’auprès des consommateurs au sujet de l’affichage des prix. Ces associations sont appelées à faire des propositions au gouvernement concernant la spécificité des certaines activités en ce qui concerne les modalités d’affichage ou de les soustraire de cette obligation, vu la nature de leurs activités
- Il faut se renseigner sur les prix avant toute opération d’achat d’un produit d’une valeur qui dépasse les cinq cents ou les mille dirhams au niveau des sites Web de vente qui se développent de plus en plus au Maroc. C’est une source d’information importante sur les prix et qu’on peut exploiter gratuitement.
- Le consommateur doit apprendre à défendre son pouvoir d’achat, à négocier non pour des prix affichés mais pour des prix non affichés, étant donné qu’il n’y a presque plus de contrôle des prix (à l’exception de certains produits et services), vu que les prix des produits et services sont totalement libres.