Amar Hamimaz
Ex Chef de la Division de la Répression des fraudes
2) Les fraudes sur les fausses allégations
Il s’agit de dire qu’une chose a des propriétés qu’elle n’a pas : poulet bio, poulet sans antibiotiques, poulet élevé aux grains, poulet fermier. Lorsque j’ai découvert tout récemment l’existence chez mon boucher, de poulets avec la mention « sans antibiotiques », j’ai demandé immédiatement au boucher une preuve. Il n’en avait pas. J’ai dit que je ne pouvais pas croire le producteur sur une simple parole. Il faudrait que le consommateur, dans ce cas, exige une attestation vétérinaire ou un engagement du producteur (mais que valent aujourd’hui les engagements ?). S’agissant du poulet bio, il y a désormais une réglementation marocaine. Il faut, dans ce cas, exiger la certification bio nationale (second logo à droite) ou alors internationale. Certains producteurs bio ont recours à une certification AB française ou européenne (deux logos à gauche). Il faut savoir reconnaitre les logos.
3) Les fraudes sur la quantité
On peut citer à titre d’exemple les oranges à jus, infiltrées à la seringue (voir photo) remplie d’eau (mais cette eau est-elle saine ?) pour augmenter artificiellement la quantité de jus dans l’orange. Le conseil au consommateur est de vérifier la fluidité et le goût. Si c’est très fluide, le jus est allongé d’eau. Un goût neutre, non caractéristique de l’orange, indique la présence d’eau. Pour mesurer le poids des aliments, les balances traditionnelles disparaissent progressivement au profit des balances électroniques. Mais ces balances traditionnelles restent d’usage dans le monde rural et les milliers de souks à travers le pays. Dans le premier cas, la fraude consiste à enlever le plomb intérieur dans les poids utilisés, ce qui fait gagner quelques centaines de grammes sur 2 ou 3 kg de légumes ou fruits, ou autre. Le consommateur devrait toujours demander au vendeur de retourner les poids (voir photo illustrative) pour s’assurer que le plomb n’a pas été retiré. Dans le second cas, il suffit juste de dérégler la balance électronique pour gagner là aussi quelques centaines de grammes ou de perturber la stabilité du courant électrique, ce qui bien évidemment permet de gagner quelques centaines de grammes. Dans cette situation, c’est plus difficile pour le consommateur. Personnellement, j’ai toujours une toute petite balance d’appoint avec moi pour mesurer à nouveau le poids, à la suite du vendeur. Très souvent j’ai remarqué une différence nette entre mon poids mesuré et le sien. Il existe pourtant un service de métrologie légale rattaché au ministère du commerce et de l’industrie dont la fonction principale est de contrôler les instruments de mesure (balances et autres).
3) Les fraudes sur l’étiquetage
Il faut savoir que le dernier texte juridique sur l’étiquetage est le Décret n°2-12-389 du 11 joumada II 1434 (22 avril 2013) fixant les conditions et les modalités d’étiquetage des produits alimentaires. Ce texte, majeur et extrêmement important, devrait être parcouru par le consommateur pour qu’il prenne connaissance des informations qu’on doit absolument retrouver dans les étiquettes des produits alimentaires. Attention, dans les annexes notamment, on trouvera une liste de produits auxquels ne s’appliquent pas de mentions nutritionnelles dans leur étiquetage, une autre de produits pour lesquels la mention de la date de durabilité minimale n’est pas requise, une autre enfin pour des produits dont l’étiquetage doit comporter une ou plusieurs mentions obligatoires complémentaires. Tout étiquetage qui ne comporte pas cette information s’apparente à une tentative de tromper le consommateur en lui cachant des données stratégiques visant à guider son achat, en connaissance de cause. C’est par conséquent assimilable à une fraude. Au cœur de toutes ces informations obligatoires, il y a les fameuses DLC (date de limite de consommation autrefois appelée date de péremption) et DDM (date de durabilité minimum, autrefois appelée date préférentielle). La DLC s’applique aux denrées périssables et indique sur l’emballage, au moyen de la mention « à consommer avant ou jusqu’à », que passé cette date, le produit est impropre à la consommation. La DDM va porter par exemple sur les gâteaux secs ou sur les boîtes de conserve et indique avec la mention « à consommer de préférence avant… » que passé cette date, excepté une perte de saveur, il n’y a aucun risque pour la santé. Par exemple sur un paquet de biscuits, un dépassement de cette DDM signifie que le produit a perdu quelque peu de sa saveur normale, mais qu’il reste sans danger pour le consommateur. Tout consommateur doit absolument vérifier ces deux dates. Je continue malheureusement à voir, dans les rayons de grande surface, plusieurs clients qui déposent le produit, pris sur les linéaires, immédiatement dans leur caddie, sans avoir pris la peine de vérifier au préalable les dates. C’est une attitude qui n’est pas sage. Que vous soyez dans un hypermarché ou dans une épicerie, vérifiez au préalable les dates, vous aurez parfois des surprises !
En France, on estime que pour préserver les qualités organoleptiques d’un produit fini (taux d’humidité…), biscuit et autre, il est recommandé de fixer la durée d’utilisation optimale à 4 mois à compter de la date fabrication.
Ce texte juridique marocain est téléchargeable gratuitement sur Internet, sur le site de l’ONSSA (http://www.onssa.gov.ma/images/reglementation/transversale/DEC.2-12-389.FR.c2.pdf).
Ce que je remarque souvent sur plusieurs étiquetages, c’est qu’il faut amener avec soi une véritable loupe, tant les informations obligatoires qui doivent y figurer, en vertu du décret sur l’étiquetage ci-dessus, sont écrites en caractères minuscules. Pourtant le décret prévoit ce qu’il appelle un champ visuel unique : « toutes les surfaces d’un emballage pouvant être lues à partir d’un angle de vue unique ». En annexe du texte, on définit même la hauteur du caractère de référence. Ce que nous remarquons parfois, c’est que le fabricant prévoit sur l’emballage tout un espace publicitaire avec des informations inutiles, mais bien mis en valeur en terme de grosseur des caractères, et rendre tout minuscule les caractères des information cruciales (composition, identification du produit, nature, provenance : pays d’origine pour les produits importés et lieu de production pour les produits fabriqués au Maroc, nom et adresse du responsable de la mise sur le marché, quantité, composition du produit et consignes d’utilisation, etc.). Cette pratique n’est pas normale (que cherche le fabricant en diminuant la taille des caractères ?), car en tant que consommateur ce n’est pas la publicité qui m’intéresse, mais les informations réglementaires stratégiques.
Arrêtons-nous maintenant sur les pratiques de la grande distribution, par exemple en France, et qui ont un lien avec ce qu’on fait au Maroc. Vous allez comprendre. Depuis plusieurs années, les grandes surfaces en France ont mis en place un code de loyauté vis-à-vis des clients consistant à retirer des rayons, deux à trois mois, avant leur expiration, des produits alimentaires, notamment périssables. Ces produits sont ensuite donnés aux associations caritatives ou vendus à des prix très bas à des importateurs malicieux. On les retrouve forcément dans la grande distribution marocaine : un produit dont la date limite de consommation est très proche, et si vous observez attentivement les produits importés, vous confirmerez ce constat. Depuis janvier 2020, les grands distributeurs français à l’image de Carrefour, Leclerc, Cora, Casino etc. se sont engagés à réserver un rayon aux produits ayant dépassé la DDM et dont la DLC approche. C’est le cas aussi pour des légumes dont l’apparence est abîmée. La raison avancée est de lutter contre les gaspillages de la société de consommation en créant des rayons anti-gaspillage. Ces produits bénéficient de promotions de prix qui peuvent aller jusqu’à 40 pour cent du prix de vente. Les tests ont été réalisés dans plusieurs enseignes et visent à élargir la zone de chalandise, c’est-à-dire l’assiette des clients, en permettant aux petites bourses de s’approvisionner en grande surface. Rien de tout cela dans nos grandes surfaces où les dates de péremption sont tirées à leur extrême limite. Cette initiative, si elle réussit, peut inspirer les pratiques de la distribution marocaine. Beaucoup d’enseignes se plaignent de ne pas pouvoir toucher les clients modestes très nombreux. Eh bien cela est un moyen ! consacrer des rayons pour des produits dont la DLC est proche ou dans la DDM est dépassée, pour les rendre accessibles à plusieurs personnes au faible pouvoir d’achat. Le problème c’est qu’il faut mener dans les enseignes une campagne solide d’information et de sensibilisation sur la DLC et la DDM et surtout bien veiller à ne pas référencer des denrées qui ont une DLC dépassée. Il faudrait aussi que les grandes surfaces soient disposées à faire de solides promotions sur ces produits.
Je retiendrai une forme de fraude sur l’étiquetage, qui, à mon avis, est la plus dangereuse : le ré étiquetage. Dans les années 90, plusieurs contrôleurs et moi-même avions été confrontés à une affaire spectaculaire de fraude par ré étiquetage. Un importateur avait pris le pari de faire entrer dans notre pays des milliers de bouteilles de bière complétement périmées en provenance de la Bulgarie. Il les a ré étiquetés en mentionnant une fausse date de péremption. Une autre affaire dans les années 80 a été celle d’anchois refoulés de l’étranger, et qu’un industriel espagnol malhonnête a commencé à écouler dans le nord du Maroc. La chose la plus grave ici, beaucoup plus grave que le ré étiquetage, est qu’ils ont été vidés de leurs boites de conserve et reconditionnés dans d’autres boites, avec une nouvelle date de préemption ou limite de consommation (DLC).
Ce problème de ré étiquetage concerne surtout les produits importés. Les produits nationaux ont un étiquetage qui doit être conforme aux exigences de la loi. Un des cas rencontrés en grande surface concerne des produits périssables importés. Prenant par exemple une boîte de camembert français. Le distributeur colle sur le fond de la boîte une étiquette en arabe (le décret exige que les informations soient aussi en arabe) ou en français. C’est un ré étiquetage légal car l’étiquetage d’origine ne répond pas forcément aux exigences réglementaires marocaines. Jusque-là pas de soucis. Le problème c’est que ce double étiquetage, tout d’abord ne reprend pas toutes les informations exigées par la loi, et ensuite les caractères sont écrits en minuscule. La boîte de camembert est collée par une ficelle à une seconde boîte de camembert ; avec une offre promotionnelle qui va venir cacher la date de péremption reprise dans la seconde étiquette en arabe. Lorsqu’on arrive chez soi, on découvre que les deux camemberts ont dépassé la date de péremption (DLC) ou la dépassent dans la journée même. Ceci est un essai de tromperie du consommateur. Cela a été constaté dans plusieurs cas, notamment de saumon importé.
Si l’avènement des grandes surfaces au Maroc a permis une amélioration certaine de la qualité sanitaire de plusieurs aliments, il faut savoir qu’il n’y a pas de sainteté absolue, que ce soit dans le commerce traditionnel ou dans le commerce moderne. Notre bien aimé Prophète (sur lui les prières de Dieu) était commerçant avant même la révélation. Il se distinguait par une probité et une perfection des valeurs tout à fait exceptionnelles ; de l’avis même de ses contemporains. A la Mecque, on l’appelait l’Amin, le digne de confiance, celui qui inspire confiance. On aimerait bien, nous autres consommateurs, que les commerçants, aujourd’hui, nous inspirent confiance. Le consommateur doit être très vigilant, surtout s’agissant des denrées périssables. Il doit tourner le produit plusieurs fois dans sa main, en observant tous les détails, avant de le déposer dans le caddie. Une observation attentive peut l’amener à débusquer un ré étiquetage frauduleux, en décollant par exemple une date limite de consommation apposée sur l’ancienne date d’origine. Une autre fraude presque similaire à l’histoire des bières ou des anchois, fréquente à l’approche du Ramadan, est le recyclage de produits alimentaires périmés. Lorsqu’un fabricant ou un distributeur a des stocks de produits parvenus à leur date limite de consommation, des commerçants malhonnêtes peuvent essayer de les obtenir (comment ? mystère !) et de les recycler en leur substituant un nouvel emballage et un nouvel étiquetage. Tout récemment à Oujda, la télévision marocaine a rapporté le cas d’entrepôts où étaient disposés ce type de produits, et qui ont été saisis par la police. La grande question à poser, aussi bien aux fabricants alimentaires qu’aux distributeurs modernes : que deviennent leurs produits alimentaires périmés, ayant dépassé la date de péremption ? Sont-ils systématiquement détruits ? That is the question !
En conclusion
Plusieurs produits sont encore soumis à la fraude, tels les fruits frais et secs, les coquillages et huitres, le café et le thé, le beurre et la margarine, les produits sucrés (gâteaux, confiserie, chocolat…), les confitures, les condiments et épices, les produits laitiers, les glaces et crèmes glacées, les œufs, les farines et le pain, les jus, les pâtes alimentaires, les conserves de viande, de poisson et de fruits, la charcuterie. La fraude est comme un cancer généralisé qui n’épargne aucun secteur. Elle a bien sûr ses artisans, de véritables experts qui excellent dans l’innovation frauduleuse et à qui on devrait décerner un prix Nobel, conçu spécialement pour eux.
Une des plus belles réussites en matière de contrôle de la qualité, je l’ai vécu en 1962, pour un produit non alimentaire : les engrais. Ce fut la découverte dans certains entrepôts, de milliers de tonnes de sacs d’engrais qui, en fait, n’étaient remplis que de terre blanchâtre. Il faut imaginer ce qu’ont été les conséquences de cette tromperie sur les rendements des agriculteurs. Cette fraude spectaculaire est difficilement reconductible aujourd’hui, depuis que l’Office Chérifien des Phosphates produit des engrais en granulés ne permettant pas un ajout de terre.
Il est possible également de parler encore très longtemps des types de fraude, par exemple la fraude sur l’origine (dire que l’huile d’olive est de Ouezzane alors qu’elle ne l’est pas) mais tout cela exigera sans doute d’autres articles pour parvenir à faire le tour de la question. Mais, le lecteur aura pris la juste mesure de cette incroyable ingéniosité déployée dans la tromperie et la fraude. Ah si cette habileté pouvait être canalisée vers l’innovation et la création de choses utiles pour le citoyen, comme les chinois par exemple nous ont habitué à le faire !
Ce petit travail de sensibilisation que j’ai mené, je l’ai fait, avec un grand honneur, pour rendre service à mes concitoyens marocains, lecteurs de la Nouvelle Tribune, dont la santé n’a aucun prix, et ce partant de ma petite expérience.
Nous espérons que ces informations ont été utiles pour le consommateur dans ses efforts à déjouer un des plus anciens stratagèmes de l’humanité, toujours de plus en plus élaboré, toujours de plus en plus sophistiqué, la fraude alimentaire.