Mostapha Bahri,
Ancien responsable du contrôle et Consultant économiste
Ce qui distingue le démarchage de la vente à distance est la présence physique du consommateur sur le lieu de la vente. Par cette technique développée au 19ème siècle, les distributeurs ont cherché à vendre leurs produits dans des endroits éloignés, sans se rencontrer dans un lieu réservé au commerce. Au début, et en l’absence des techniques de communications actuelles, le vendeur faisait ses offres au moyen de catalogues, prospectus et annonces, et l’acheteur passait commande par un procédé postal.
Cette technique de vente existe toujours, mais elle utilise depuis les années 1980, des procédés de télécommunication pour entrer en contact avec les clients, comme le téléphone, la télécopie (fax), la télévision et l’Internet.
Tous ces procédés nouveaux qui se multiplient et se diversifient se regroupent sous le nom de contrat à distance, si effectivement, ils donnent lieu à l’établissement d’un contrat. Est-ce toujours le cas au Maroc ?
Dans la pratique, le vendeur sollicite l’acheteur par une technique de communication à distance. Le consommateur répond par une technique de communication à distance (la même ou une autre). Ces techniques sont généralement utilisées pour la vente de produits, mais elles le sont également pour des prestations de service.
Les consommateurs trouvent un grand intérêt dans ce genre de commerce, puisqu’il leur évite tout déplacement et leur donne une occasion pour réfléchir avant de passer à l’acte d’achat. Mais les inconvénients de ce genre d’activité, c’est que les consommateurs sont parfois soumis, de la part de certaines entreprises, à des sollicitations répétées qui constituent une intrusion dans leur vie privée ; l’utilisation du téléphone, de la télécopie et de l’internet a accru ce danger. De même, se décidant d’après de simples images ou descriptions, l’acheteur risque de recevoir un objet qui ne correspond pas exactement à ce qu’il attendait. Enfin, la question de fiabilité et de sécurité en raison d’une mauvaise mise en œuvre n’est pas à écarter.
Par ailleurs, entre la commande et la livraison s’écoule nécessairement un délai, dont la longueur peut être gênante, et lorsque, à la livraison, l’acheteur constate un défaut, il risque d’éprouver quelques difficultés à faire valoir ses droits contre un vendeur éloigné. Il peut même arriver – cas extrême et rare, mais à ne pas écarter– qu’après avoir commandé et payé, l’acheteur ne reçoive rien et ne puisse se faire rembourser, le vendeur étant insolvable ou bien ayant disparu.
Avant l’encadrement de ce type de commerce, c’était l’autodiscipline qui a longtemps été la seule source de protection des consommateurs. Les principales entreprises de vente par correspondance ont compris que la confiance du public est une condition de leur essor. Cependant, l’autodiscipline s’est révélée insuffisante pour protéger les consommateurs contre les dangers de la vente à distance. L’abus de certains vendeurs a amené les autorités dans plusieurs pays à réglementer ce genre de commerce, comme c’est le cas au Maroc.
La loi marocaine sur la protection du consommateur a défini la technique de communication, l’opérateur de technique de communication ainsi que le cyber commerçant, pour éviter toute confusion ou éventuelle mauvaise interprétation.
Les personnes concernées sont : « toute personne physique ou morale exerçant une activité à distance ou proposant, par un moyen électronique, la fourniture d’un produit, d’un bien ou la prestation d’un service au consommateur et également à tout contrat résultant de cette opération entre un consommateur et un fournisseur au moyen d’une technique de communication à distance ».
Ce genre de vente ne cesse de se développer au Maroc. En effet, et avec le Covid 19 et les encouragements de création de PME, voire des TPE, le nombre d’entreprises et de sites web de commerce électronique, et d’annonces de vente de produits et services sur Facebook, va crescendo. Les ventes concernent les ustensiles de cuisine, les équipements électriques, les vêtements, le matériel électronique grand public, les séjours dans des maisons d’hôtes dans les montagnes, ainsi que les produits de consommation courante, tels les fruits et légumes ainsi que la livraison de repas. D’ailleurs, avec les possibilités offertes par le commerce international et les prix proposés s’agissant d’achat de grandes quantités, il suffit de disposer d’un local de stockage et de créer un site ou de poster une annonce de vente pour commercer à distance.
Néanmoins, le développement de ce type de vente pourrait attirer certains vendeurs indélicats et malhonnêtes qui affichent parfois des numéros de téléphone portable et qui ne peuvent être contactés que par WhatsApp. D’ailleurs, une simple consultation de Facebook donnera une idée sur les numéros des téléphones portables à contacter par les consommateurs, pour tout achat ou en cas de réclamation. La suite à donner aux appels du consommateur est liée à la bonne volonté des vendeurs et non pas au respect de la loi sur la protection du consommateur. De même, les vendeurs à distance doivent rappeler à leurs salariés, la nécessité de respecter les gestes barrières, lors des livraisons.
A souligner par ailleurs, que le portail mis en place par le Département de commerce dédié au consommateur permet à ce dernier de déposer des requêtes soit pour demander des renseignements ou pour signaler des faits susceptibles de tomber sur le coup des dispositions de la loi n° 31-08 (plaintes). Ce site reçoit régulièrement des requêtes signalant des problèmes engendrés par les ventes à distance.
Et quand les problèmes surgissent, comme c’est le cas depuis l’apparition de la pandémie COVID 19 au Maroc, c’est la recherche de solutions à l’amiable qui est la plus pratiquée, comme l’a affirmé Ouadie Madih, secrétaire générale de la Fédération nationale des associations du consommateur dans une interview donnée à un média marocain : « Actuellement, on essaie de résoudre les problèmes à l’amiable avec les commerçants inscrits au registre de commerce, et qui dispose d’une adresse physique connue ».
Alors que, vis-à-vis de la loi marocaine sur la protection du consommateur, le fournisseur est responsable de plein droit à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient exécutées par le fournisseur qui a conclu ce contrat ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci.
A souligner cependant, que toute vente à distance doit obligatoirement donner lieu à l’établissement d’un contrat. Ce dernier doit comporter de manière claire et compréhensible toutes les informations prévues par la loi. De même, plusieurs autres renseignements doivent figurer dans le contrat (l’identification des principales caractéristiques du produit, bien ou service, objet de l’offre ainsi que le nom, la dénomination sociale du fournisseur, les coordonnées téléphoniques du fournisseur qui permettent de communiquer effectivement avec lui, son adresse électronique et physique, et s’il s’agit d’une personne morale, son siège social et, s’il s’agit d’une personne autre que le fournisseur, l’adresse de l’établissement responsable de l’offre).
Pour le cyber commerçant, d’autres informations doivent être communiquées au consommateur se rapportant au registre de commerce, au numéro d’immatriculation et au capital social, etc.
La contrat qui doit être établi pour toute vente à distance doit rappeler au consommateur, l’existence du droit de rétractation, les modalités de paiement, de livraison ou d’exécution, la durée de la validité de l’offre et du prix ou tarif de celle-ci, le coût de la technique de communication à distance utilisée et le cas échéant, la durée minimale du contrat proposé, lorsqu’il porte sur la fourniture continue ou périodique d’un produit, d’un bien ou de service.
Sans préjudice des dispositions de la loi sur les échanges électroniques de données juridiques, le fournisseur doit, avant la conclusion de contrat, rappeler au consommateur ses différents choix et lui permettre de confirmer sa demande ou la modifier selon sa volonté.
En outre, le fournisseur doit permettre au consommateur d’accéder facilement aux conditions contractuelles applicables à la fourniture des produits et biens ou de services à distance, et d’en prendre connaissance, sur la page d’accueil du site électronique du fournisseur du produit ou service ou sur n’importe quel support de communication comportant offre du fournisseur.
Ces conditions doivent être acceptées par le consommateur, avant la confirmation de l’acceptation de l’offre.
En plus des informations obligatoires à communiquer, le fournisseur doit, s’il s’agit d’une vente à distance, utilisant le téléphone ou n’importe quelle autre technique de communication à distance, indiquer expressément au début de la conversation avec le consommateur, son identité et l’objet commercial de la communication.
Le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition, en temps utile et au plus tard au moment de la livraison :
1) La confirmation des informations obligatoires susmentionnées, à moins que le professionnel n’ait satisfait à cette obligation avant la conclusion du contrat ;
2) L’adresse de l’établissement du fournisseur où le consommateur peut présenter réclamations ;
3) Une information sur les conditions et les modalités d’exercice de son droit de rétractation ;
4) Les informations relatives au service après-vente et aux garanties commerciales
5) Les conditions de résiliation du contrat lorsque celui-ci est d’une durée indéterminée ou supérieure à un an.
Les numéros de téléphone destinés à recevoir les appels du consommateur en vue de suivre la bonne exécution du contrat conclu avec le fournisseur ou pour l’examen d’une réclamation, ne peuvent être soumis à des taxes additionnelles. Ces numéros doivent être indiqués dans le contrat et dans les correspondances.
A rappeler que la fourniture de produits et biens ou la prestation de services au consommateur sans commande préalable de sa part est interdite, lorsque cette fourniture comporte une demande de paiement.
Le silence du consommateur ne vaut pas consentement et il n’est tenu à aucune contrepartie en cas de fourniture dont il n’aurait pas fait la commande.
Enfin, le consommateur dispose d’un délai :
- De sept jours pour exercer son droit de rétractation ;
- De trente jours pour exercer son droit de rétractation, si le fournisseur n’honore pas son engagement de confirmer par écrit les informations prévues par la loi.
Et cela sans avoir à se justifier, ni à payer des pénalités, à l’exception, le cas échéant, des frais de retour. Lorsque le droit de rétractation est exercé, le fournisseur est tenu de rembourser sans délai le consommateur et au plus tard dans les 15 jours suivant la date à laquelle ce droit a été exercé. Au-delà, la somme due est, de plein droit, productive d’intérêts au taux légal en vigueur.
Qu’en est-il des ventes à distance au Maroc ?
Ce type de vente ne cesse de se développer avec la croissance d’Internet, l’équipement des gens en téléphones portables aux fonctions multiples et de plus en plus variées, ainsi que la situation pandémique. L’Internet est devenu l’outil le plus utilisé pour écouler les produits et les services, aussi bien par des nationaux que par des étrangers.
Sans soulever les grands problèmes qui peuvent résulter de l’achat de l’étranger, ainsi que les difficultés de faire prévaloir les droits du consommateur marocain, seules les transactions avec des nationaux pratiquées sur le territoire national ont été examinées. De ce fait, comment ce commerce à distance est-il exercé dans notre pays ?
Un simple suivi des achats effectués par les consommateurs, permet de relever que le consommateur ne reçoit ni contrat, ni facture. La seule trace de certaines transactions qui restent, est lorsque le paiement se fait par carte électronique. Mais lorsqu’il s’agit de paiement à la livraison, le consommateur ne reçoit que le produit acheté en contrepartie du paiement effectué en espèce. Il est à signaler que ces sites donnent des garanties concernant le vice caché ou si le produit est non-conforme. Mais, le respect de ces engagements dépend du sérieux du vendeur et non pas des obligations prévues par la loi sur la protection du consommateur. En d’autres termes c’est toujours l’autodiscipline qui est suivie par certains fournisseurs au Maroc, et non pas les obligations prévues par la loi sur la protection du consommateur. Or, les limites de l’autodiscipline ont été relevées dans plusieurs pays occidentaux.
Devant cette situation les questions suivantes méritent d’être soulevées :
- Pourquoi l’Administration n’a pas rendu obligatoire la déclaration des activités de vente à distance avec obligation d’inscription au registre de commerce et à la taxe professionnelle ? Cette obligation est de nature à permettre l’identification de tous les vendeurs à distance et de faire appliquer plus facilement la loi.
- Pourquoi l’Administration n’a pas élaboré un modèle simple de contrat pour les ventes à distance, dont les caractéristiques sont fixées par Arrêté ?
- Est-ce que les ventes à distance font l’objet d’un contrôle actuellement, d’autant plus que plusieurs vendeurs ne sont même pas identifiés ?
- Que fait l’administration pour protéger les consommateurs des sollicitations répétées qui menacent leur vie privée et leur liberté ?
- Est-ce que les ventes sans facture ne représentent pas un manque à gagner pour le trésor de l’Etat (TVA et impôts) ?
- Est-ce les associations des consommateurs jouent leur rôle pour être à l’écoute du consommateur et le sensibiliser sur les risques encourus lors des achats à distance ?
- Pourquoi ne pas étudier l’opportunité de créer une liste noire, au niveau du portail du Département du Commerce, qui signale les noms des vendeurs qui ne respectent pas leurs engagements vis-à-vis du consommateur ?