La professeure italienne Cinzia Niolu s'adresse à des personnels soignants lors d'une séance de relaxation à l'hôpital Tor Vergata, près de Rome, le 8 avril 2020 © AFP Andreas SOLARO
Sagement assis dans un amphithéâtre de l’hôpital universitaire de Tor Vergata, dans la banlieue de Rome, une dizaine de médecins et infirmiers masqués en blouse blanche ont les yeux fermés et retiennent leur respiration.
« Maintenant, vous pouvez expirer », lance d’un voix douce depuis son pupitre la professeure Cinzia Niolu, qui clôt une séance de relaxation destinée à ce personnel médical en première ligne face au coronavirus, avec la lourde tâche de suivre des patients positifs au sein de l’unité de soins intensifs.
Ce petit moment de détente permet de faire retomber la tension accumulée pendant la session d’une heure, dispensée par cette petite femme au caractère bien trempé pour permettre d’affronter les angoisses liées au virus.
« Les participants sont exposés à l’objet qui leur fait peur, (…) du coup leur niveau d’anxiété augmente, c’est pourquoi un temps de relaxation est prévu », résume la psychiatre pour l’AFP.
Au début de la session, un questionnaire est remis à chaque participant: « Quel est ton niveau d’inquiétude concernant la situation actuelle? », « Crains-tu d’être contaminé? », « Es-tu inquiet pour tes proches? », « La qualité de ton sommeil a-t-elle été affectée? »… Ensuite, les questions sont reprises une par une et chacun peut prendre la parole pour partager son vécu.
Installée au dernier rang de l’amphithéâtre aux fauteuils bleu canard, Emanuela Bertinelli, une infirmière aux grands yeux expressifs émergeant au-dessus de son masque, s’interroge : « Comment allons-nous vivre demain? C’est ma plus grande peur, l’incertitude sur l’avenir. C’est quelque chose que je vis mal. Car on n’a aucune certitude, on ne sait pas si ça va finir et quand. »
– Russell Crowe –
Emanuela est aussi angoissée par les projets de levée progressive des mesures de confinement dans la péninsule: « Tous les gens vont se remettre à sortir, car les gens sont faits ainsi, et ils vont tous se recontaminer entre eux, et pour la deuxième fois, nous serons nous (le personnel soignant, ndlr) contraints de rester ici à faire notre travail, à risquer continuellement de tomber malades, à continuer d’être séparés de nos familles. »
Elle est visiblement soulagée de pouvoir s’exprimer dans le cadre de cette session, courte mais intense, qui permet d' »affronter des situations de crise et stressantes, dont la pandémie Covid-19 fait partie », explique l’homme qui en est à l’origine, le professeur Alberto Siracusano, directeur du département de psychiatrie et de psychologie clinique de l’hôpital de Tor Vergata.
Sur le grand écran de l’amphithéâtre sont projetées deux images symbole de résilience: l’acteur Russell Crowe dans son rôle de « Gladiator » et un oisillon affrontant vaillamment une tempête de neige.
Pour le Pr Siracusano, cette technique de « débriefing psychologique collectif », normalement utilisée sur des théâtres de guerre ou lors de catastrophes naturelles comme des tremblements de terre, permet d' »augmenter la résilience individuelle et la résilience du groupe » face à une crise sans précédent, qui a déjà fait plus de 18.000 morts en Italie.
« Nous ne devons pas avoir peur des peurs, nous devons les affronter », insiste cet universitaire élégant en cravate noire, tout en réajustant de fines lunettes sur ses yeux clairs.
Malgré son bagage universitaire, Alberto Siracusano reconnaît bien volontiers que lui-même n’échappe pas à la psychose collective, énumérant les causes du stress ambiant: « les changements d’habitudes, de rythme de vie, des horaires, des contacts avec les autres, le fait d’être séparés, de ne pas pouvoir être proches les uns des autres… »
Au point de faire des cauchemars? « Je peux vous dire que le vrai cauchemar, c’est quand je me réveille », confesse-t-il. « Durant mon sommeil, personnellement, je suis tranquille », dit-il dans un sourire.
LNT avec Afp