Le groupe Veolia tente de racheter son concurrent historique et part à l’abordage de Suez. Une OPA hostile, qui fait des vagues jusqu’aux rivages marocains. Car pour les autorités, apprendre cette nouvelle par voie de presse alors que les deux entreprises sont particulièrement bien implantées dans le pays, dans des secteurs aussi stratégiques que l’eau et le traitement des déchets, est un véritable affront. La présence historique de ces groupes français dans le Royaume est-elle menacée ?
Petit tremblement de terre dans le capitalisme français : le 30 août dernier, le groupe Veolia annonçait son intention de racheter à l’énergéticien Engie sa participation dans Suez. Objectif affiché : mettre la main sur l’intégralité du capital de son principal concurrent et devenir un « champion mondial de l’environnement », pesant quelque 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Une opération financière « franco-française » qui pourrait avoir de lourdes conséquences au Maroc : les deux concurrents Suez et Veolia, présents dans le pays depuis les années 1990, représentent à eux seuls 60% du marché national du traitement des déchets, de l’eau, de l’électricité et les grands travaux d’assainissement. On les retrouve ainsi dans toutes les grandes villes du pays : Casablanca, Tanger, Tétouan, Rabat… Les deux entreprises réalisent dans le Royaume un chiffre d’affaires d’environ de 8,6 milliards de dirhams (800 millions d’euros) pour Suez et près de 7 milliards de dirhams (640 millions d’euros) pour Véolia.
Une implantation historique et fructueuse des deux entreprises tricolores qui est désormais menacée.
Veolia et Suez évincées du Maroc ?
En effet, une telle fusion, si elle venait à aboutir, serait un véritable casse-tête pour les autorités. Et en premier lieu, quid de Lydec, la filiale marocaine de Suez, cotée en bourse à Casablanca ? Que deviendrait-elle ? Et si Veolia « avale » Suez, sur quelle base établir des négociations équilibrées avec un acteur qui représenterait alors à lui seul 60% du marché national ?
Du côté des sièges marocains de Suez, mais surtout de Veolia, c’est le flou total, avec absolument aucune instruction de Paris : que vont devenir les milliers de salariés des deux entreprises françaises ? Comment vont être renégociées les concessions accordées à chacun des deux groupes ?
Enfin, si cette fusion venait à terme, que compte faire Veolia avec les différentes concessions dont bénéficiaient jusque-là les deux entreprises ? Elle serait alors contrainte de négocier de nouveaux contrats, au cas par cas, avec les différentes autorités locales. Négociations qui s’annoncent d’ores et déjà difficiles, face à des responsables marocains mécontents d’apprendre les péripéties financières de leurs partenaires, dans la presse.
Et certaines municipalités, comme Casablanca, ne font plus mystère de leur volonté de trouver d’autres partenaires pour assurer la gestion de l’eau, de l’électricité et des déchets. Veolia est-elle prête pour telle démarche de « reconquête » de son marché ? Rien n’est moins sûr : depuis trois ans, ni elle, ni Suez n’ont donné signe d’une quelconque volonté d’expansion ou de consolidation de leur place au Maroc.
Beaucoup de doutes et de questionnements, d’autant plus le Maroc n’a toujours pas de nouvelles rassurantes de la part de Veolia. Les autorités marocaines s’attendaient, au minimum, à recevoir rapidement la visite de hauts cadres de l’entreprise les jours suivant l’annonce, afin d’avoir de plus amples informations et d’être rassurées sur les intentions du groupe dans le pays. En vain. Une désinvolture qui ne concerne d’ailleurs pas exclusivement le Maroc, tant toutes les filières internationales des deux entreprises semblent concernées par ce « silence radio ». Il n’empêche : ce silence, véritable cas d’école d’erreur en diplomatie d’affaires, entretient la confusion et pèsera lourd à l’avenir pour la présence française au Maroc.
Car en parallèle, c’est un secret de polichinelle que le ministre de l’intérieur, chargé de superviser le secteur des délégations de services publics, cherche depuis de nombreuses années à réduire l’influence française au Maroc, au bénéfice des entreprises nationales. Une hostilité teintée d’indifférence, qui est réciproque : en face, Antoine Frérot, le PDG de Veolia, entretient des relations distantes et difficiles avec le Maroc où il a toujours été très peu présent et où il n’a jamais été reçu au Palais depuis 15 ans. D’ailleurs, dans le communiqué de presse annonçant son intention de racheter Suez, Veolia mentionne ses ambitions sur le continent américain et en Australie, mais nullement en Afrique ou au Maghreb. Un oubli en forme d’aveux ? En tout cas, un détail qui n’a probablement pas échappé aux professionnels du secteur, privés ou publics, en Afrique ou au Moyen-Orient.
Alors que Veolia a multiplié les faux pas auprès d’autorités marocaines déjà fortement mécontentes de la tournure des événements, plusieurs forces convergent vers une éviction progressive des Français dans les secteurs de l’eau, de l’électricité et des déchets. Une situation qui ne sera pas perdue pour tout le monde : plusieurs entreprises étrangères, comme les Espagnols d’Urbaser, d’Auqalia et d’Acciona sont à l’affût pour récupérer les marchés.
Néanmoins, si Suez parvient à repousser l’offre de Veolia, ou si une offre concurrente est finalement adoptée, l’entreprise française aura peut-être une chance de sauver ses activités sur le territoire marocain. Mais pour Véolia, que ce « mariage » avec son concurrent arrive à son terme ou non, cet épisode laissera de lourdes traces… Et annonce probablement un divorce durable avec le Maroc.
IBT