Ci-après une contribution externe du Pr Younès Gnaoui concernant la réforme des retraites.
Les Français vivent au rythme d’une polémique houleuse qui bat son plein depuis quelques semaines ; et pour cause ! le relèvement de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans que le président Macron considère une mesure incontournable de la réforme du système de retraite, afin d’assurer sa solidité et son équilibre pour les années à venir. Le projet controversé est présenté à l’Assemblée nationale depuis la semaine dernière pour discussion en vue d’être voté, et fait l’objet d’une farouche opposition du secteur des salariés et des centrales syndicales.
Cette mobilisation qui en était à son quatrième opus samedi dernier coïncide avec l’ébullition, les craintes et aussi la quiétude du secteur des salariés et de leurs représentants au sein des centrales syndicales locales qui scrutent les mouvements du gouvernement dans sa volonté de faire voter la loi réformant le système des retraites au Maroc.
Le gouvernement avait chargé auparavant un bureau d’études pour diagnostic de l’état des lieux et élaboration d’une esquisse de réforme et d’une feuille de route en vue de mettre en œuvre le plan dit réformateur. Contrairement à la réforme française, qui cible essentiellement le recul de l’âge de départ à la retraite, les informations qui fuitent sur ledit texte du projet de réforme de la retraite marocaine stipulent un paquet de mesures pour le moins désastreuses et visant à appauvrir les souches ouvrières toutes catégories confondues. Les propositions comportent un certain nombre de mesures qui relèvent de l’incontournable, dont la première est liée au relèvement de l’âge de la retraite de 63 à 65 ans, en attendant d’atteindre les 67 ans. De quoi passer toute une vie à gravir sans répit les échelons d’une fonction qui n’auraient servi qu’à assurer quelques sous qui aggraveraient plus tard, certes, les affres de la sénilité. La clause en question ne prête aucune attention aux aptitudes de l’employé à s’acquitter de ses obligations avec le panache et l’efficacité voulus, et ne laisse point de marge pour la liberté de choix à ceux qui pour une raison ou une autre se verraient inaptes à accomplir leurs fonctions.
La deuxième mesure inéluctable, quant à elle, porte sur l’augmentation du pourcentage des cotisations des souscripteurs pour atteindre, selon ce qui est promu, un cinquième du salaire au lieu des 14 % actuels. Cela entrainerait forcément plus de prélèvements, plus de contraintes, à un moment où, accablés par l’inédite recrudescence de la flambée des prix et de la baisse du pouvoir d’achat, les citoyens espèrent encore les augmentations des salaires promises, retenues, semble-t-il, par le gouvernement pour en faire le cheval de Troie lors des négociations attendues avec les centrales syndicales afin de faire passer le projet de la réforme.
Outre ces mesures dites incontournables, le gouvernement propose d’autres clauses dont la validation viendrait à être catastrophique si l’on arrivait à les faire passer sous les yeux et la signature des représentants syndicaux ; notamment les suivantes :
– Réduire le taux de la pension à 1,5 % au lieu de 2 %, alors qu’il était de 2,5 %. En ce sens que le salarié ayant accompli 40 années d’activité recevait 100% de son salaire en multipliant 40 ans de carrière professionnelle par 2,5% ; il touche actuellement 80 % (40 ans par 2 %) et ne percevrait que 60 % (40 ans par 1,5 %) d’après le nouvel indice. Ce calcul est standardisé sur la base d’une activité qui s’étend sur quarante ans, ce qui implique qu’une carrière professionnelle de 30 ans déboucherait sur un misérable 45 % du salaire et ainsi de suite. Imaginons un instant qu’un salarié qui galère déjà et arrive à bout de souffle à joindre les bouts du mois avec un plein salaire, se retrouverait du jour au lendemain avec un peu moins de la moitié de son salaire au bout de trente années de persévérance et d’assiduité dans le paiement de cotisations qui auront servi à garantir la retraite d’autres employés. Y a-t-il pire politique d’appauvrissement ?
– La retraite était auparavant standardisée sur la base du dernier salaire, alors qu’elle est actuellement déterminée sur la valeur moyenne des huit dernières années de service. La réforme vise à ramper régulièrement sur le reste des années d’expérience, pour camper finalement la moyenne des 20 dernières années, et s’étendre, pourquoi pas, au total des années de service. Les maigres salaires de début de carrière professionnelle entreraient donc injustement dans l’équation ; et le salarié devrait alors, invraisemblablement, passer vingt ans dans sa dernière échelle s’il veut prétendre au plein salaire dans sa retraite.
– Aux antipodes du point précèdent, la nouvelle réforme aspire à adopter un plafond unifié pour le régime de base équivalent au double du salaire minimum de travail SMIG dans ses pôles public et privé. C’est-à-dire que la pension du retraité ne dépassera pas, dans les meilleurs des cas, les 6 000 ou 7000 dirhams.
– La réforme propose une souscription obligatoire du salarié à une retraite complémentaire dont est exempté l’État et financée par le salarié lui-même. Une contrainte qui additionne d’autres retenues à ce qui pèse déjà sur la valeur du revenu, à condition que le montant final perçu ne dépasse pas dix fois le salaire minimum. Il est clair que cet article ne sert que l’élite des salariés ainsi que les intérêts des fonds et des compagnies d’assurance, ne privilégiant en aucun cas la grande majorité des salariés.
Alors que le courroux des Français se meut en série de manifestations contestataires qui en sont au quatrième opus (samedi 11 février), foncièrement contre le recul de l’âge légal du départ à la retraite, le silence, l’appréhension, l’anticipation et l’expectation restent de mise dans les milieux des travailleurs et des centrales syndicales au Maroc, où la mise en œuvre d’une seule des clauses du paquet proposé serait désastreuse tant pour le salarié que pour le retraité. Si l’on arrive à passer toutes les dispositions du texte du projet de la réforme, chose fort probable, cela équivaudrait à l’exécution du salarié et à sa condamnation à l’indigence pendant ses années de service et à la mendicité après de longues années de durs labeurs et d’assiduité aux souscriptions des caisses de retraite et de sécurité sociale.
Aujourd’hui, le citoyen se trouve être démuni, incapable d’affronter et de débattre. Des impôts sont déduits de son salaire, d’autres sur l’ensemble de sa consommation. Il finance l’enseignement ses enfants avec son propre argent, se fait soigner de ses propres économies ou des prêts contractés auprès des banques et remboursés par échéances mensuelles qui puisent dans sa bourse épuisée de surcroit par les retenues sur le salaire. L’embrasement des prix des matières premières, des denrées alimentaires, des services et du carburant le rattrape et écrase ; le voilà donc qui s’apprête à subir plus de contraintes et de prélèvements chroniques. Comment un tel projet peut-il se targuer de prétendre à la réforme ? Une réforme n’est-elle pas censée supplanter le difforme et convoiter le meilleur ? Le mot « réforme » n’implique-t-il pas la notion de transition vers le meilleur et l’efficace ? N’est-il pas supposé dans les intentions d’une réforme d’œuvrer pour l’amélioration des conditions des groupes ciblés ? C’est certainement le cas pour le gouvernement et pour les fonds des caisses qui ne cessent de rétrécir comme la peau du chagrin, mais pour les salariés ce n’est là que méforme et injustice.
Il est impossible de parler de réforme sans proposer des sources de financement. Et comme d’habitude, les commissions qui planifient et élaborent les projets des réformes dans tous les secteurs de la vie publique au Maroc se dispensent, comme par enchantement, de creuser dans les véritables causes des crises qui gangrènent la société pour en tirer les leçons avant d’y faire face. D’habitude, elles ont plutôt tendance à se pencher uniquement sur des solutions disparates partant des ressources disponibles des moyens de bord, faisant fi des erreurs passées et ne faisant que repousser le problème pour plus tard. Aussi est-il patent que le gouvernement et ses commissions cherchent le moyen de pomper des fonds pour leurs caisses en faillite et ne trouvent pas de meilleur gîte que les poches et la bourse maigre des citoyens déjà écrasés par le cout embrasé de la vie et les nombreuses retenues mensuelles. Pourquoi le salarié devrait-il, après des années de durs labeurs et de cotisations assidues, se retrouver appelé de force à boucher et à reboucher sans cesse les fuites des réserves érodées des caisses, dues à la mauvaise gestion et à l’absence d’une gouvernance savante ? Ne nous étonnons pas si la paresse, le je-m’en-foutisme, le laisser-aller, la corruption, la mendicité des pourboires en arrivent à apporter un coup fatal au moral du fonctionnaire en évinçant les valeurs éthiques de la déontologie. « L’homme aujourd’hui sème la cause, demain Dieu fait mûrir l’effet. » (V. Hugo) Comment peut-on oser demander au salarié d’être loyal, fidèle, créatif et productif dans sa fonction alors qu’il se voit appauvri sur la misérable terre de la fonction publique, inéluctablement destiné à l’enfer du besoin et de la mendicité dans le ciel sombre de la retraite ?
Younes Gnaoui
Associate Professor – Spanish Program
Department of Modern Languages and Translation
College of Languages and Translation
King Saud University
Kingdom of Saudi Arabia