Crédits photo : Ahmed Boussarhane/LNT
Brutalement, l’horizon de la croissance s’est assombri. Terriblement d’ailleurs. Sans coup frémir et sous le coup d’une crise sanitaire sans précédent, voilà en peu de jours l’économie mondiale presque à genoux. Une économie planétaire désormais à l’arrêt ou sous cloche comme diront certains. Le Maroc n’est pas en reste, évidemment.
Quels mots caractériseraient la période que nous vivons ?
Rare, unique ou encore exceptionnelle. On n’hésite pas à parler d’état de guerre. D’autres convoquent des termes comme disruption, rupture voire collapsus. Cet inventaire peut se prolonger. Les qualificatifs sont nombreux. Ils révèlent chacun l’ampleur de la crise, son caractère singulier, les exigences qu’elle induit mais aussi les angoisses et les peurs qu’elle fait naitre. L’économie au temps du confinement, c’est bien là, une donne totalement inédite.
Bien sûr, il nous vient à l’esprit ce que classiquement est retenu pour qualifier une situation de crise économique : pessimisme et une Incertitude !
Il y a peu encore, l’optimisme était là. Oui, pas de manière béate ni enthousiaste mais suffisamment réelle et effective. La conviction d’une croissance sauvegardée était présente. Un léger ralentissement de la croissance était tout au plus attendu. L’affaiblissement de la demande chinoise – repli encouragé par des tensions protectionnistes renaissantes au plan des échanges mondiaux- et les projections d’évolution du cours du baril du pétrole toujours plus élevé étaient constitutifs de ce scénario. En Janvier, tous les experts prédisaient une flambée du prix du baril conséquemment à la crise irano-américaine. La menace de fermeture du détroit d’Ormuz pesait sur les cours. Le prix du brut frôlait les 70 dollars le baril. « Il faut se préparer au pire sur ce front » disait-on alors ! Ajoutons à ce tableau rapidement brossé, l’état peu reluisant des marchés financiers compte tenu de l’exacerbation des déséquilibres des finances publiques de nombreux pays développés fermant ainsi la porte à l’idée d’une politique budgétaire plus expansive. En bref, la croissance mondiale devait à 3,3 % en 2020 selon les projections du FMI. Recul attendu mais contenu.
Il en allait de même pour l’économie marocaine. La Loi de Finances marocaine s’était basée sur un prix de 67 Dollars le baril pour établir ses prévisions et avaient retenu une projection du taux de croissance du PIB de 3,7%. Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) évoquait même un probable rebond de la croissance qui passerait de 2,3% en 2019 à 3,5% en 2020. La Banque mondiale soulignait que le PIB devait croitre mais moins rapidement que prévue pour se situer aux alentours de 2,7% en 2020. Quant à Standard & Poor’s, l’agence de notation maintenait ses notations sur le risque Maroc tout en prévoyant une progression de croissance passant de 2,8% en 2019 à 3,7% en 2020 ! Refermons cette parenthèse.
C’était là l’opinion régulièrement partagée quant à l’évaluation de la conjoncture économique mondiale et nationale. Pas de quoi s’inquiéter alors !
Tout bascule désormais. Bien sûr, la crise sanitaire nous revenait en écho des provinces chinoises durement atteintes par le Coronavirus dès janvier 2020. Les terribles bilans humains se succédaient. Mais cela était somme toute assez lointain. Et puis pensait-on que le régime chinois serait à même par ses méthodes fortes et dissuasives ou ses structures médicales et hospitalières aux grandes capacités d’endiguer ce fléau. Que nenni. L’épidémie échappa à tous contrôle puis s’étendît. Après l’Asie de l’Est, l’Europe est durement frappée. L’OMS s’exprime enfin plus clairement sur cette calamité. L’inquiétude monte alors de quelques crans et les premières restrictions opérées vont être des signaux forts et implacables.
Le pessimisme grandissait inexorablement. Un quotidien économique de la place titrait dès le 10 mars : « Corona Virus : Plans de crise » comme un appel à la prudence mais surtout une façon de souligner l’exigence de vigilance. Il faut dire qu’au même moment la Bourse débutait son mouvement de fort repli. « La Bourse de Casablanca s’effondre » reprenait le 10 mars un autre quotidien sur sa manchette. Le Gouvernement réactive d’urgence un comité de veille économique, le 11 Mars non sans rappeler la mise en place du Comité de Veille stratégique en janvier 2009 ; celui-ci avait été institué au moment de la crise économique de 2008. Et, si le 12 du même mois, un autre quotidien national titrait dans ses pages économiques en s’interrogeant sur l’impact sur l’économie marocaine du Cod-19, « Des zones de turbulences mais pas de tempêtes », on l’aura compris. Il ne s’agissait surtout de pas d’ébranler la confiance de l’instant mais plutôt de rassurer.
Ce raidissement – et l’incertitude qu’il va porter – va naturellement gagner les esprits. Psychose et panique commandent une première salve de réactions. Des retraits bancaires massifs et une course aux approvionnenements pour les ménages sont désormais des scènes de vie « normales ». Largement relayées et commentées sur les Réseaux sociaux, elles nous renvoient à nos propres nos peurs enfouies, nos attitudes égoïstes et nos comportement facilement redevenues inciviques. Autre réaction ou sinon premiers effets, un coup de frein net est donné à l’activité économique. Tourisme et restauration bien sûr, transport et automobile, commerce et services mais aussi BTP, plusieurs secteurs ont stoppé net ou fortement limité leurs activités.
Et, derrière tout cela, une terrible mécanique est à l’œuvre, impitoyable et dramatique : congés à épuiser obligatoirement puis congés sans solde, non reconduction des CDD, arrêt total des recrutements, chômage technique ou partiel, congés sans solde, réduction des effectifs, et licenciements. Les chantiers immobiliers ne tourneraient déjà qu’à seulement 30% des effectifs habituels. Il est vrai que l’adaptation des entreprises passe dans l’urgence par la case « régulation des effectifs ». Doux euphémisme qui ne signifient rien d’autre le plus souvent que des baisses drastiques de masses salariales et de charges sociales. Les chiffres tombent tous les jours et illustrent la gravité de la situation sous couvert de plans d’austérité.
Prémonitoire aussi la « Une » d’un quotidien de la place – celle du 27 février – mettant en exergue « Ce que coûtent les faillites ». Elles concerneraient près de 8500 entreprises en augmentation de 5% en 2019 ! Constat alarmant alors même que le Maroc n’était pas encore entré dans la crise. Il y aura plus de décès ou de défaillances d’Entreprises au Maroc que de personnes atteintes du Covid-19 entendons-nous dire.
Il est une autre conséquence gravissime. Les effets de cette crise sanitaire porteront très vite un coup très dur – confinement général oblige- à ce que le secteur informel et l’économie souterraine permettaient d’assurer : un effet amortisseur. La donne est entièrement nouvelle. L’économie informelle avait toujours servi de « réponse interne » aux crises économiques parce qu’elle permettait de générer des effets compensateurs à la contraction de l’activité économique et de limiter l’étendue de la pauvreté par les transferts qu’elle était en mesure de générer. Elle servait de tampon et de remède momentané. Ce serait la première fois où la situation est totalement inversée. L’asphyxie de l’économie informelle devient désormais un facteur de risque. Dans cette perspective, le confinement posera très vite la question du temps d’acceptation psychologique et économique. Quel en sera le point d’inflexion ? Nul ne sait.
Le temps est maussade. Les révisions des projections de croissance sont déjà faites et ne laissent pas de place au doute. Sans en faire l’inventaire, c’est plus d’un point de croissance que le PIB perdra. Le consensus de la place tournerait actuellement autour de 1% sinon un peu moins… Pour l’instant !
La confiance se dissipera pour un temps long. Il faudra reconstruire patiemment tout cela. Mais le plus amer sera le coût de l’ardoise sociale, forcément très élevé. Au sortir de cette crise sanitaire, c’est à une seconde vague qu’il faudra vraisemblablement faire face. La crise jouera aux prolongations faisant apparaitre de façon bien plus crue les fragilités sociales de notre pays et l’exigence de les réduire. C’est dire tout ce qui nous attend.
Tout le monde retient son souffle désormais.
Amara Karim