La titrisation, qui consiste à transformer des actifs en titres pour les céder à des investisseurs, est utilisée depuis longtemps au Maroc.
Sur le plan juridique, la titrisation se définit comme une technique financière par laquelle les actifs illiquides et généralement gardés par leurs détenteurs jusqu’à l’échéance, sont transformés par des établissements initiateurs à la recherche d’un financement, en titres négociables sur le marché des capitaux.
Un instrument ancien
La loi 33-06 sur la titrisation modifiée et complétée en 2013 définit celle-ci comme « l’opération financière qui consiste pour un Fonds de placements collectifs en titrisation, FPCT, à émettre des titres pour réaliser acquérir, de manière définitive ou temporaire, des actifs éligibles auprès d’un ou plusieurs établissements initiateurs »
Maghreb Titrisation, filiale de la CDG et de la BCP, est le premier établissement gestionnaire des Fonds de Placement Collectif en Titrisation (FPCT) agréée depuis 2001 par le Ministère des Finances et l’ex-CDVM (aujourd’hui l’AMMC).
Il a été « leader » sur le marché de la titrisation au Maroc pour avoir créé et géré pas moins de 18 Fonds de titrisation, structurant des opérations pour 16,5 milliards de dirhams à fin octobre 2017.
Ses principales opérations de titrisation ont porté sur les créances hypothécaires de crédits immobiliers à moyen terme pour refinancer CIH BANK pour plus de 5 milliards de dirhams.
Mais aussi, plus récemment, sur des créances commerciales notamment de l’ONEE pour financer la restructuration de l’entreprise publique à hauteur de 6,8 milliards de dirhams.
Ainsi, ce mode de refinancement s’est développé, conforté par une évolution de la loi qui a permis de l’étendre aux créances commerciales qui sont, par définition, à court terme.
En 2017, tout particulièrement en ce dernier trimestre de l’année, on aura connu plusieurs opérations de titrisation du fait que les 3 principales banques, BMCE, BP et AWB ont créé leurs propres filiales dédiées à ce métier, multipliant ainsi les acteurs d’accompagnement des émetteurs.
En effet, outre la nouvelle opération de titrisation des créances commerciales de l’ONEE, FT Énergie Compartiment II, de 1 500 000 000 dirhams, BMCE Titrisation a accompagné Dar Saada et deux de ses filiales pour créer un FT Olympe pour une partie de leurs créances hypothécaires pour un montant de 600 millions de dirhams.
Pour sa part, Attijari Titrisation a fait de même pour les créances hypothécaires d’AWB, avec FT Miftah Fonctionnaires pour un 1 000 000 000 de dirhams, bouclé le 7 novembre dernier.
Une « bonne affaire »
Le succès de ces fonds de titrisation auprès des institutionnels est incontestable. En effet, quel que soit le montant émis, il est placé en deux jours maximum.
Et pour cause ! Dans un contexte de faiblesse des taux, si tous les institutionnels ont besoin d’investir en produits de taux, ils commencent à pâtir de cette situation sachant qu’il leur faut allouer au moins 30 % de leurs investissements en obligataires.
Quelle que soit la politique de chacun, la contrainte des taux faibles commence à durer et n’évolue pas vers des perspectives de relève de ces derniers.
C’est le cas depuis 5 ou 6 ans malgré que le taux d’inflation reste faible, entre 0,5 et 1,7%, et le taux directeur de BAM à 2,25%.
Ces niveaux de taux bas ne présagent pas d’une augmentation car il en va du financement de l’économie marocaine, de celui du Trésor qui profite de la baisse des taux pour diminuer les charges de la dette publique, et d’une conjoncture internationale de taux bas.
De ce fait, les institutionnels sont tout simplement à la recherche de produits de placements obligatoires avec une bonification.
Cela les oriente automatiquement vers des placements privés qui satisfont leur exigence, celle de d’un bon spread afin de bénéficier d’un rendement relativement élevée par rapport aux rendements obligataires du même terme, sans rien changer à la sécurité connue des produits de taux.
Et c’est à ce niveau que viennent se nicher les produits de titrisation.
Rappelons, cependant, qu’un produit de titrisation est construit sur des créances détenues par un émetteur qui décide de les céder pour se faire rembourser dans l’immédiat.
Sauf que la qualité de ces créances devient essentielle pour les souscripteurs des fonds de titrisation !
Il faut qu’elles soient assorties d’une très forte probabilité de récupération. D’autant que le rendement des portefeuilles résiduels de crédits immobiliers des banques a tendance à baisser.
Et donc, afin qu’ils intéressent les institutionnels, il faut qu’ils soient composés de titres qualitatifs dépourvus d’aucun risque de défaillance. Cela, alors que le niveau de spread exigé pour les dernières titrisations des créances hypothécaires est de 40-60 points de base seulement.
Et pour cause, un dispositif de sécurité sous forme d’un portefeuille de garantie est prévu pour couvrir les risques d’impayés.
Pour toutes ces raisons, seuls les fonds de titrisation des créances hypothécaires sous-tendus par des biens immobiliers, ont du succès auprès des institutionnels.
C’est pourquoi le FT énergie de l’ONEE sur 52 semaines, portant des créances commerciales a été plus souscrit par les OPCVM à plus de 90%.
Et ce, même si, les institutionnels que nous avons interrogé, reconnaissent qu’ils regardent aussi de près le contenu des portefeuilles garantis de peur qu’ils n’incluent une proportion difficile à réaliser ou des créances douteuses.
Pas de junk bonds!
Ils soulignent dans ce sens la responsabilité de l’AMMC qui doit veiller au grain et regarder de près les titrisations afin qu’elles ne soient pas un moyen pour les banques par exemple, de vouloir transmettre une partie de leurs risques clients au marché !
Un produit de titrisation doit être examiné dans le détail du portefeuille de créances titrisées auquel il est adossé.
Il s‘agit d’examiner le rapport entre le montant de l’hypothèse et le résiduel du crédit immobilier, lequel doit être inférieur au montant de l’hypothèque pour donner une marge de sécurité, mais aussi le taux de sinistralité du portefeuille observé pendant les années précédentes sur une durée moyenne, etc….
Par ailleurs, la titrisation conforte d’abord l’intérêt des émetteurs avant même celui des souscripteurs.
Pour les banques par exemple, il ne s’agit pas de titriser un portefeuille « commun » pour le remplacer par un autre.
Les fonds de titrisation sont montés par ces dernières pour valoriser une partie de leurs encours et réaliser une plus-value dessus.
Précisément, sur 20 Milliards de dirhams d’encours par exemple, une banque va titriser les 2 milliards qui, lui rapportant plus que le rendement moyen, vont pouvoir lui engendrer une plus-value sur la valeur nominale de ses actifs.
Les émetteurs ne titrisent pas leurs créances pour en prendre d’autres dans de moins bonnes conditions, ils les cèdent pour réaliser un gain en les vendant plus cher.
Si le rendement obligataire est de 3% sur 10 ans, et qu’une banque a un portefeuille sous-jacent de créances au rendement de 6% contracté au moment où les taux étaient plus élevés, elle va le céder en réalisant une plus-value sur sa valeur nominale, pour en obtenir 110 % ou plus.
Dans le cas contraire, elle a tout intérêt à garder son portefeuille de créances surtout si elle doit le reconstituer à des conditions éventuelles moins intéressantes !
Car, le marché de la titrisation de portefeuilles garantis, n’est pas si profond, d’une titrisation à une autre, il s’agit de reconstituer ces derniers.
La BP et le CIH qui ont titrisé leurs portefeuilles de créances hypothécaires sont en attente aujourd’hui de les reconstituer. Elles ont épuisé les créances éligibles à ce genre d’opérations.
Un marché encore étroit
C’est pourquoi, si l’on constate aujourd’hui un réel appétit des institutionnels pour les produits de titrisation garantis, force est de constater qu’ils ne représentent pas grand-chose face à leur force de frappe.
En effet, à défaut de chiffres connus, la taille du marché des capitaux pourrait se refléter dans les réserves des caisses de retraites et des compagnies d’assurances !
Et leur capacité d’investissements pour une année peut se mesurer par l’évolution de ces réserves sachant qu’elles se distribuent entre différentes catégories d’investissements. Cette évolution peut traduire le nouveau cash des institutionnels qu’il faut cumuler aux remboursements dont ils bénéficient.
Or, les réserves cumulées des institutionnels, compagnies d’assurance et caisses de retraite, avoisinerait les 500 milliards de dirhams.
Une autre approche des capacités d’investissements des « instit » peut se faire par leur chiffre d’affaires qui tourne autour de 80 milliards de dirhams dont 35 MMDHS pour le marché des assurances et 40 MMDHS pour celui des retraites.
Si l’on suppose que la moitié est remise dans l’investissement, on peut déduire approximativement que leur capacité à investir serait de 40 milliards de dirhams.
Face à un tel montant, les produits de titrisation ne représentent pas une forte proportion et en 2017, elle est inférieur à 10% . Ce qui explique que les Fonds de titrisation sont placés en moins de deux jours !
En conclusion, alors que ce produit financier est amené à se développer, il faut que la titrisation reste basée sur la qualité de l’information qui l’accompagne et son degré de véracité, l’AMMC y joue un rôle très important.
Car, le risque reste réel, puisque la Finance mondiale a été traumatisée par la crise de 2007-2008 déclenchée par les subprimes, objet d’une titrisation de produits financiers bons, moins bons et mauvais.
Même si au Maroc la profondeur du marché de la titrisation des créances garanties reste faible et les conditions auxquelles les institutionnels y souscrivent draconiennes !
Il n’en reste pas moins qu’il faut surveiller de très prés ….
Afifa Dassouli