
Des Syriens arrivent le 11 février 2020 à un camp de déplacés dans la province d'Alep, dans le nord-ouest de la Syrie, près de la frontière turque © AFP Rami al SAYED
Ankara a adressé mardi une sévère mise en garde à Damas après la mort de cinq de ses soldats dans le nord-ouest de la Syrie, où deux pilotes du régime ont été tués dans le crash de leur hélicoptère après un tir attribué aux forces turques.
Les menaces de la Turquie, qui soutient des groupes rebelles et dispose de positions militaires dans cette région, interviennent alors que les forces syriennes loyalistes y grignotent du terrain, reprenant aux jihadistes et rebelles le dernier tronçon d’une autoroute clé.
Sur le plan humanitaire, quelque 700.000 personnes ont fui l’offensive militaire lancée en décembre par le régime et son allié russe dans la région d’Idleb, s’est de son côté alarmé mardi le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (Ocha).
« C’est, selon notre analyse, le plus grand nombre de personnes déplacées sur une même période depuis le début de la crise en Syrie il y a bientôt neuf ans », a-t-il souligné.
– « Deal » russo-turc –
Dans un contexte de vive tension, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est montré intransigeant mardi: le régime syrien paiera « très cher » toute nouvelle attaque contre les forces d’Ankara, a-t-il prévenu.
Lundi soir, Ankara avait annoncé avoir « neutralisé » –sans autre précision sur l’usage de ce terme– plus de 100 soldats syriens, en réponse à la mort de cinq soldats turcs tués dans la journée. Une semaine plus tôt, des combats avaient fait une vingtaine de morts dans les deux camps.
Et, mardi matin, un hélicoptère de l’armée syrienne a été abattu au sud-est de la ville d’Idleb par un tir de roquettes des forces turques, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Ankara a évoqué un « crash », sans en revendiquer la responsabilité.
Sur le site de l’accident, un correspondant de l’AFP a vu les dépouilles des deux pilotes ainsi que des débris de l’appareil.
La Turquie, qui dispose de 12 postes d’observation dans le nord-ouest syrien, y avait envoyé des renforts ces derniers jours.
Pour éviter une escalade, Ankara multiplie les contacts avec Moscou, principal allié du régime de Damas avec qui il avait conclu un accord pour une « zone démilitarisée » sous contrôle russo-turc dans cette région.
Selon Fabrice Balanche, spécialiste du conflit syrien, il existe « un deal entre la Russie et la Turquie pour la reprise par morceaux d’Idleb en échange de la cession à la Turquie de zones kurdes », dans le nord-est du pays.
Selon cet accord, « l’armée syrienne a le droit de sécuriser l’autoroute Alep-Damas, mais pas celui de vouloir prendre la ville d’Idleb (…) pour l’instant », explique-t-il.
Les forces du régime ont repris mardi aux insurgés la dernière partie de cette autoroute M5, dans le sud de la province d’Alep, selon l’OSDH.
Pour la première fois depuis 2012, elles contrôlent ainsi l’intégralité de cet axe stratégique qui relie le sud du pays à la grande ville d’Alep, dans le nord, en passant par la capitale Damas.
La reprise de l’autoroute survient après des semaines d’offensive des forces gouvernementales et de leur allié russe contre les jihadistes et rebelles dans cette région. Depuis le début de l’opération début décembre, plus de 350 civils ont été tués, d’après l’OSDH.
La population continue de subir un lourd tribut: au moins 12 civils, dont six enfants, ont encore péri mardi dans des raids aériens du régime sur la ville d’Idleb, selon cette ONG.
– « Enorme opération humanitaire » –
La moitié de la province d’Idleb et des secteurs attenants des régions d’Alep, Hama et Lattaquié, dominés par les jihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex-branche syrienne d’Al-Qaïda), est le dernier bastion insurgé à échapper à Damas.
Face à l’ampleur de l’exode des civils sous le coup de l’offensive, l’Ocha a fait état d’une « énorme opération humanitaire » avec l’envoi, pour le seul mois de février, de plus de 230 camions chargés d’aides, d’eau et de produits alimentaires via deux points de passages à la frontière turque à destination de 400.000 personnes.
Les civils fuient vers le nord, souvent vers la frontière turque, mais Ankara ne veut pas les laisser entrer car plus de 3,5 millions de Syriens ont déjà trouvé refuge sur son sol depuis 2011.
Les déplacés sont ainsi contraints de camper où ils peuvent dans des conditions très difficiles, accentuées par le froid.
« Les camps actuels de déplacés (…) sont bondés, et les abris dans des maisons deviennent rares. De nombreuses écoles et de mosquées sont pleines de familles de déplacés, et le fait même de trouver une place dans un bâtiment inachevé est devenu quasi impossible », a clamé mardi le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR).
Le conflit en Syrie, qui a fait plus de 380.000 morts, a jeté sur la route de l’exil plus de la moitié de la population d’avant-guerre.
LNT avec Afp