La cadence et le rythme du travail dans la majorité des secteurs d’activité sont en constante augmentation, ce qui met le bien-être psychologique de la population active en danger, et risque de déclencher un état d’épuisement professionnel, de démotivation, ou même dans certains cas, d’anxiété, de trouble panique, de dépression, voire d’état de stress post traumatique. A ce jour, le Maroc est considéré comme un leadership d’Afrique du Nord en matière de compétitive économique (LAKIR, R et HABBOUB, S 2022, Le Maroc : un pôle logistique entre l’union européen et l’Afrique subsaharienne. Revue française d’Économie et de gestion 3, 11). L’environnement du travail au Maroc se fait l’écho d’une croissance économique à laquelle les entreprises doivent s’adapter. Elles sont contraintes de faire face à une mouvance compétitive et à des exigences d’adaptabilité marquées par un rythme considérable. De ce fait, les investisseurs comme les employés sont sujets aux pressions qui leur imposent le fait de répondre à des demandes alourdies, des exigences continues, le tout dans des délais serrés.
Aujourd’hui, au Maroc tout le monde parle du stress, et beaucoup déclarent être stressés. Mais le stress chronique ne s’arrête pas là. Il entraîne des conséquences néfastes à court, moyen, et long terme. De plus, la plupart des gens ont tendance à confondre le stress, l’angoisse, l’anxiété et la panique. En effet, certaines personnes qui souffrent de crises d’angoisse, ou d’attaques de panique, croient être seulement stressées, alors qu’elles ont dépassé le stade de la normalité, pour atteindre un échelon plus intense sur le plan clinique.
En premier lieu, il convient de définir le mot stress. La réponse que j’entends souvent au tant que psychologue clinicienne auprès de mes patients, est que le stress est synonyme de pression, ou bien qu’il est le malaise causé par le travail, ou même le fait d’avoir plusieurs tâches, ce qui conduit forcément au stress. Mais ce sont des réponses floues voire fausses. Le stress est la réponse physiologique de l’organisme face à un événement inhabituel, ou à tout changement interne (pensées…), ou externe (situation, événement…) perturbant. Le stress est ponctuel, cela veut dire qui n’est pas durable dans le temps, car il cible spécifiquement les aires du cerveau impliquées dans la coordination de la cognition et des émotions. Ce qui démontre que le stress est une peur en principe.
De nombreux symptômes physiques
Il faut savoir que le stress ne vient jamais seul. Il est toujours accompagné par des symptômes physiques, tels que la douleur, la fatigue, des problèmes digestifs, cardiovasculaires, des symptômes émotionnels, comportementaux et/ou intellectuels, tels que l’oubli, la répétition d’erreurs, et le manque de concentration. Le stress altère alors entièrement la qualité de la vie de la personne stressée. On retrouve donc souvent une altération du sommeil au niveau de la qualité, telle l’insomnie, qui veut dire que la personne a des difficultés d’endormissement, ou bien l’hypersomnie, qui traduit la somnolence diurne excessive. Pour ce qui est de la qualité, on entend par là que la personne n’arrive pas à dormir profondément, et qu’elle pourrait faire des cauchemars gênants, ou subir des réveils répétitifs pendant la nuit. Quant à l’appétit, la personne pourrait devenir anorexique, ou bien elle aura un appétit inhabituel, considéré comme une sorte de compensation, qui pourrait se développer en troubles à conduite alimentaire. En outre, le stress chronique influence le comportement de l’homme sur le moyen et le long terme, à savoir l’agressivité, ou à l’opposé l’isolement, ou encore plus loin la consommation de produits calmants sans avis du médecin, ce qui est répandu, ou l’usage de drogues, ainsi que la surconsommation de tabac et/ou d’alcool. Ce type de consommation en général est considéré comme une sorte de stratégie inadaptée, et ce sont des comportements de sécurité ou de protection pour gérer le stress. Ce sont ainsi des comportements d’autoprotection fondés sur les croyances erronées, les attentes irréalistes, et les normes équivoques de la personne, qui vont souvent dans le sens de se décompresser et d’oublier le stress.
Cependant, pour nourrir la croissance d’une entreprise tout en préservant la santé, et donc la capacité de travail, des fondateurs, directeurs, managers, et des différents employés, il est important de cultiver le bien-être psychologique de chacune des parties prenantes. D’abord pour renforcer leur potentiel, et pour accroitre leur productivité tout en maintenant la performance à long terme. L’efficience des employées se dégrade avec le temps, si leur état psychologique est vulnérable. Ceci se traduit par des difficultés au niveau de la gestion de stress fréquent, une faible adaptabilité, des pensées biaisées, concernant le principe de concurrence par exemple, ou le désir d’avoir des résultats rapides sans obstacle. Cela peut également concerner le rejet de l’échec lorsqu’il s’agit de soi-même, ou encore le fait de lier ses réalisations avec l’affection, ce qui touche l’égo de la personne. Ce fait amène au désengagement et un déséquilibre à l’égard du travail et des tâches octroyées, et augmente les symptômes pathologiques liés au stress.
Toutefois, le stress est une préoccupation parmi d’autres qui demande d’être solutionné et qui ne doit pas être négligé ou oublié, en particulier dans le climat économique actuel au Maroc. Subséquemment, pour contrôler le stress, il faut identifier les stresseurs, en posant les questions suivantes : qu’est-ce qui me stress exactement ? Quels sont les symptômes que je présente quand je suis stressé ? Quels sont les moments où je présente ces signes ? Ou bien quels sont les éléments déclencheurs du stress ? Quels sont les stresseurs aigus que j’ai ? Est-ce que j’ai des réactions émotionnelles exagérées ?
Ces questions font partie du travail de la thérapie cognitivo-comportementale sur la gestion du stress lié au travail, que je mène régulièrement avec mes patients. Remarquablement, un tiers des patients que je reçois consulte pour le stress. Ce taux est important par rapport aux autres motifs de consultation, ce qui tire la sonnette d’alarme sur cette dimension taboue de la santé mentale, et je réalise à travers ma pratique que les retombées des effets du stress sont souvent vécues en secret.
Identifier ses stresseurs
Il faut prendre son temps pour bien répondre à ces questions, pour savoir s’il s’agit de vrais stresseurs, ou s’ils sont seulement des petits soucis, qui nécessitent des solutions simples, au lieu d’être subis. Si l’on admet qu’il s’agit véritablement de stresseurs aigus et chroniques, consulter un professionnel de santé mentale diplômé est vivement recommandé, pour pouvoir vivre avec ces stresseurs, d’une manière durable et avec une intensité mieux supportable, car les stresseurs incisifs pourraient conduire à un état de stress post traumatique.
J’ajouterai également que le stress est une chose, et que la perception du stress en est une autre. Cela veut dire que chacun de nous a sa propre représentation du stress. Une personne peut vivre les circonstances ou le quotidien du travail ordinairement, alors qu’une autre personne pourrait supporter nettement moins ces mêmes conditions. C’est pour cela, il est important d’aborder sa conscience des choses de façon plus claire et logique, de s’appliquer à être plus honnête et de ne pas dénier certaines réalités. Ainsi, reconnaitre son état physiologique, cela veut dire identifier les symptômes que l’on présente quand on est stressé, pour ensuite connaître ses réactions émotionnelles : Est-ce que je ressens une certaine tristesse, une démotivation, une incapacité à accomplir certaines tâches ? Est-ce que je ressens de la colère ? De la honte ? Et est-ce que je suis sujet aux ruminations idéiques (over thinking) ? etc. L’étape de reconnaitre ses émotions aide beaucoup dans le processus d’acceptation et de sortie du déni, puis de remodulation de ces émotions. Scientifiquement parlant, l’homme est capable de moduler ses émotions, les contrôler, et les gérer, par l’auto-observation, la vigilance dans ses actions et par l’exercice continu. Et finalement il s’agit de combattre ses déclencheurs de stress. : Pourrais-je faire les choses autrement, sans passer par ces stresseurs ? Poser cette question est primordial pour affiner ses stratégies de gestion du stress. Au bout du compte, il est important de savoir que lorsque l’on arrive à gérer ses émotions automatiquement, on gère le stress. Cependant, il s’agit bien évidemment de maitriser ses pensées tout en gardant son contrôle sur son efficacité au travail. Cela s’inscrit dans la prévention du risque de l’épuisement professionnel, et dans l’amélioration de l’efficacité et la performance au travail. Plus précisément, il s’agit de développer une stratégie de gestion du stress réaliste et adaptée à son rythme, et à son énergie, d’éviter la comparaison avec autrui, et surtout de savoir quand il faut demander de l’aide.
Pour conclure, la question de la santé mentale et du stress au travail en particulier, est souvent mal comprise, et mal traitée, ce qui peut mener à une forte dégradation du bien-être d’un côté, mais également de la performance professionnelle. Une meilleure prise de conscience, que ce soit du côté de l’employé, de l’employeur ou même des organismes sociaux, permettrait d’y faire face de manière plus efficace.