Il est bien loin le 1er mai 2022 avec son lot d’annonces positives, la reprise du fameux Dialogue social et les images des membres du gouvernement et des mouvements syndicaux main dans la main. Le torchon brûle déjà et l’été menace d’être chaud socialement.
Pour preuve, trois centrales syndicales appellent ce mardi à une grève nationale, le 20 juin prochain, dans les établissements publics, les collectivités territoriales mais surtout dans le secteur du transport et de la logistique. La CGT (Confédération générale du travail), l’ODT (l’Organisation démocratique du travail) et la FSD (Fédération des syndicats démocratiques), n’ont pas choisi la date du 20 juin par hasard, et affichent la volonté ferme d’associer la commémoration de ce qu’on a appelé les « émeutes du pain » en 1981, à leur protestation contre la hausse des prix et l’insuffisance, selon elles, de la réponse de l’État.
Si les syndicats sont à la fois dans leur rôle et dans leur droit, il est important de relever que leur discours s’est généralisé. De revendications sectorielles précises visant à compenser les hausses des prix des carburants et à atténuer les effets de l’inflation, les revendications des syndicats évoquent désormais plus globalement « le droit à un niveau de vie décent » et dénoncent « la régression des conditions de vie des classes pauvres de la société ».
L’inflation est venue enfoncer un clou déjà fortement ancré. Le pouvoir d’achat d’une écrasante majorité de Marocains étant déjà mis à mal par la succession de la pandémie de la Covid et de la sécheresse, la hausse des prix, qui touche désormais les produits alimentaires, dont la farine, le sucre et les huiles végétales, est selon les syndicats une « atteinte à la stabilité sociale ».
L’État, à travers le Gouvernement de Aziz Akhannouch, ne fait pas la sourde oreille et semble accorder une priorité cardinale au sujet. En témoigne la tenue, ce mardi également, au siège du Gouvernement, d’une réunion interministérielle sur l’état d’avancement des chantiers de la protection sociale par rapport aux engagements pris suite aux hautes instructions du Roi Mohammed VI pour la généralisation de celle-ci à tous les Marocains.
Si le Chef du Gouvernement a exhorté tous les départements ministériels à faire preuve de diligence et à intensifier leurs efforts, affirmant au passage l’importance des effets directs et tangibles sur l’amélioration des conditions de vie des citoyens dans le cadre d’un État social, la temporalité de ces chantiers risque de ne pas s’accorder avec l’urgence et la pression des revendications actuelles portées par les syndicats.
Pour autant, on voit mal dans quelle mesure les finances de l’État, déjà fortement sollicitées, pourraient répondre aux exigences d’augmentation des salaires et des retraites des fonctionnaires pour les indexer à l’inflation actuelle. Cette inflation, parce qu’elle est importée et liée à la conjoncture de guerre entre la Russie et l’Ukraine, n’est pas censée être durable. Les États, naviguant dans le flou, partent de ce postulat dans l’espoir que les mesures qu’ils prennent ne soient pas pérennes dans le temps tant leur coût est élevé. N’en demeure pas moins que les ménages marocains sont exsangues, en partie parce que leur niveau de vie était déjà inconfortable avant la succession de ces crises et que la cocotte-minute menace à tout instant de céder sous la pression. Reste à savoir si l’État sera à la hauteur de celle-ci.
Zouhair Yata