Par Afifa Dassouli
Depuis début janvier, de nouvelles dispositions de la Loi de finances 2023, relatives à l’application d’une retenue à la source sur les règlements effectués en faveur des entreprises et des particuliers, sont entrées en vigueur. Certes, pour les personnes physiques qui appartiennent aux activités professionnelles libérales, la systématisation de la retenue à la source sur leurs notes d’honoraires était connue pour avoir fait l’objet de négociations du ministère des Finances avec les médecins, les avocats et nombre d’activités professionnelles libérales. L’objectif d’une telle nouvelle mesure relève pour la direction des impôts de la nécessité de procéder à un élargissement de l’assiette de l’Impôt sur les revenus, IR, sachant que les professions concernées pêchaient par leur défaut de non-respect de leurs obligations fiscales. Cette mesure était donc destinée à lutter contre leur irresponsabilité en la matière.
L’autre aspect de cette nouvelle disposition fiscale, passé sous silence pendant les débats sur la LF 23 et n’ayant pas fait l’objet de communication en 2023, a produit un effet de surprise dans nombre d’entreprises. Il s’agit de l’obligation pour les entreprises publiques de procéder également à une retenue à la source sur tous les règlements de toutes factures fournisseurs, qu’elles soient de 2023 ou antérieures. Et donc depuis le début de l’année, les entreprises ont vu les règlements de leurs factures diminuer du montant de cette retenue nouvelle appliquée par les entreprises publiques et leurs filiales à tous leurs règlements. Certes, cette disposition ne concerne pas les entreprises privées, alors même que les entreprises publiques sont très nombreuses et sont clientes sur un très grand marché de nombre d’entreprises de toutes activités.
En effet, voici ce que dit le texte du décret d’application de la retenue à la source instaurée par la loi de finances 2023 : « Toutes les rémunérations générées en faveur des professions libérales font l’objet de retenue à la source qui s’applique à des rémunérations hors TVA, allouées à des personnes physiques de professions libérales, au taux de 10%. »
« De même que les autres rémunérations de même nature, quelle que soit leur dénomination, qui donnent lieu d’une manière générale à des versements qui sont similaires aux honoraires, commissions et courtages comme les prestations à caractère intellectuel, scientifique, technique et informatique ou ayant un caractère d’étude, d’essai, de conseil, d’expertise en toute matière, d’assistance et accompagnement, de formation, de promotion de marketing ou de communication, de publicité et de gestion comptable et administrative, d’ingénierie industrielle et de gestion de projets et de maitrise d’ouvrage délégué » … En bref, aucune activité n’y échappe !
Donc, ces « autres rémunérations », quand elles sont allouées par les personnes morales de droit public (l’État, les collectivités territoriales et les établissements et entreprises publics et leurs filiales), aux personnes morales soumises à l’IS, font également l’objet d’une retenue à la source au taux de 5% de leur montant hors taxe.
S’il est un fait que la nouvelle disposition de la retenue à la source sur les règlements des rémunérations en faveur des personnes physiques, peut engendrer un élargissement de l’assiette de l’IR, tout particulièrement pour les professions libérales qui ne payent pas correctement leur impôt sur le revenu, ce n’est pas le cas pour les personnes morales. La retenue à la source ne peut pas entrainer forcément un élargissement de l’assiette de l’IS.
Donc, à juste titre, la systémisation d’une retenue à la source de 10% sur les factures d’honoraires des professions libérales est prévue pour réguler ces professions libérales et obliger les personnes physiques à déclarer leurs activités, sachant que si tous leurs clients retiennent 10% sur leurs factures, leur déclaration de chiffre d’affaires en fin d’année devient un simple récapitulatif avec un règlement effectif de 10% d’IR sur ce dernier.
Toutefois, l’obligation faite aux entreprises publiques de stopper 5% sur tous les règlements de leurs fournisseurs ne s’explique pas aussi aisément, même si elle pourrait de la même manière permettre à l’État de s’assurer que les entreprises avec lesquelles il travaille sont tributaires de l’impôt sur les Sociétés, IS.
Aujourd’hui, cette retenue à la source qui s’applique aux personnes morales, fournisseurs des entreprises publiques, oblige ces dernières à une réorganisation basée sur une compréhension juste de cette nouvelle disposition. Car, il leur faut identifier les factures payées partiellement, obtenir les attestations de retenue à la source de 5% de leurs clientes entreprises publiques pour pouvoir les soustraire des versements de leurs acomptes sur l’IS. De ce fait, leurs systèmes d’informations doivent être également adaptés, faute de laisser une partie de leurs factures partiellement impayées, avec la précision de taille que la facturation commerciale ne doit pas être modifiée, sachant que la retenue s’applique au montant hors taxe et que celui TTC des factures doit être préservé pour ne pas toucher à la TVA collectée par les entreprises privées. Il leur faut donc bien comprendre que le fait générateur de la retenue à la source est constitué par le versement, donc le règlement et recouvrement des factures. Car, le produit de ces retenues à la source doit être opéré pour le compte du Trésor, dans le but d’améliorer et faciliter le mode de recouvrement de l’impôt en matière d’IS et d’IR sur les rémunérations allouées à des tiers personnes physique ou morales.
C’est une question de gestion de trésorerie, qui permet à l’Etat de se faire payer ces impôts en avance par le bais de la retenue à la source. Sachant qu’a posteriori, le montant de l’impôt ainsi retenu est imputable sur l’IS des entreprises ainsi ponctionnées, et ce, dès le premier acompte provisionnel, puis sur les suivants. Le reliquat éventuel est imputable sur le montant de l’IS exigible après régularisation, lors du dépôt de la déclaration du résultat fiscal dudit exercice.
Cependant, pour ce qui concerne les entreprises fournisseurs de l’État, qui vont être stoppées à la source pour 5% des règlements de leurs factures, deux remarques s’imposent.
La première porte sur l’excédent des retenues à la source par rapport à l’IS dû, auquel la personne morale peut très rapidement arriver du fait que les retenues se font sur les factures donc le chiffre d’affaires des entreprises, alors que l’IS ressort de ses résultats, deux bases de calcul disproportionnées ! De plus, si en principe le reliquat est remboursable par la direction des impôts, aucun délai n’est fixé pour ce faire. Les montants s’accumulant d’une année à l’autre peuvent mettre les entreprises en situation d’excédents de versements, qui comme c’est le cas pour la TVA, créent des créances des entreprises envers l’État qui trainent à être remboursées.
La seconde remarque relève de l’amputation de la trésorerie des fournisseurs des entreprises publiques de 5% au profit de l’équilibre de l’adéquation entre les recettes et les dépenses budgétaires. Lequel équilibre est certainement plus difficile à rétablir …