
Présentation de l'ouvrage "Un Chemin Marocain" sur le campus de l'ESSEC à Paris.

L’Institut Marocain de l’Intelligence Stratégique (IMIS), think tank qui s’était fait remarquer à travers les publications de « Une ambition Marocaine » et « Le Maroc stratégique », a de nouveau réuni nombre d’experts et analystes pour un projet encore plus ambitieux, celui de dépeindre 20 ans d’évolution de notre Royaume, depuis l’ascension au Trône du Roi Mohammed VI. Mais ce n’est pas le parcours d’un Roi que l’IMIS s’est employé à retracer, plutôt celle d’un pays et de toutes ses composantes, depuis les plus hauts représentants de l’Etat jusqu’aux membres les plus modestes de sa société. La (première ?) présentation de l’ouvrage a été accueillie à Paris sur le campus de l’ESSEC, dont le président Pr. Vincenzo Esposito Vinzi a rappelé les forts liens de l’école avec le Maroc, notamment depuis l’ouverture d’un campus de l’ESSEC à Rabat il y a maintenant deux ans. M. Abdelmalek Alaoui, président de l’IMIS, qui a dirigé la création du « Chemin Marocain », dont M. Najib Benamour a assuré la coordination, a déclaré que l’institut s’est « intéressée à la dynamique des deux dernières décennies du Maroc, sans en faire un bilan, mais pour expliquer ce pays étrange qui déçoit parfois, mais qui toujours étonne les gens qui s’y intéressent ». Devant une salle comble, et en présence de l’Ambassadeur du Maroc, SE M. Chakib Benmoussa, M. Alaoui a réuni un panel composé de plusieurs contributeurs à l’ouvrage, qui ont pu chacun à leur tour revenir sur le chapitre qu’ils avaient traité, et a modéré des débats et échanges passionnés, aussi bien du côté des intervenants que de la salle, le tout en l’absence du syndrome de la langue de bois qui caractérise hélas bien des discours de la part de nos dirigeants.
Le Maroc sous tous les regards
Le premier point fort de ce « Chemin Marocain » vient du choix de ses contributeurs. Chacun hautement qualifié dans le domaine qu’ils ont traité, les auteurs sont surtout représentatifs de la société civile marocaine dans son ensemble, qui vit dans mais aussi en dehors des frontières du Royaume. Il offre donc des regards radicalement différents, entre M. Hamid Bouchikhi, professeur de management et d’entrepreneuriat à l’ESSEC, Mme Souad Elmaalem, du cabinet 6temik, qui vit au Canada et a été à l’origine de l’implantation de Bombardier au Maroc, ou encore Mme Hakima Fassi-Fihri, directrice des relations institutionnelles et partenariats au sein de l’UIR de Rabat. Ce sont donc des points de vue venant du cœur du pays, mais également d’en dehors de nos frontières, qui sont exposés au long des différents chapitres, qui traitent tous d’une facette différente, mais toujours importante, de l’évolution du Maroc, depuis les réformes économiques jusqu’aux droits des femmes, en passant par les médias, le digital ou encore la question migratoire. Le Maroc est en 2019 « un pays où il y a encore des rythmes circadiens [lents, ndlr], qui mettent du temps à faire bouger la technostructure, mais c’est également un pays qui s’est inscrit dans la chaîne des valeurs mondiales, qui en 2021 devrait franchir le million de véhicules exportés, et donc un pays qui s’inscrit à la fois dans la mondialisation et dans la lenteur. C’est le propre des pays émergents et des pays qui aspirent à l’émergence, et ce sont donc ces ruptures permanentes que nous voulions analyser », a déclaré M. Alaoui. Le parcours du Maroc ses vingt dernières années a été étudié à travers trois périodes à la philosophie économique bien différentes : la première, d’inspiration keynésienne, qui a daté de 1999 à 2006, avec un choc d’infrastructures ; la deuxième, inspirée de David Ricardo et sa théorie des échanges, à partir de septembre 2007 et l’installation de l’usine Renault, marque une insertion dans la chaîne mondiale de valeurs, a permis au Maroc de devenir une zone « best-cost » ayant la capacité de produire des véhicules à grande échelle ; la troisième, qui a démarré en 2012, marque la période d’expérimentation et de corrections de certains pans de l’économie marocaine, car la croissance rapide crée des distorsions et des inégalités qui s’inscrivent dans le temps et ont besoin d’être rectifiées.
Une analyse franche, sans concession
Le parti-pris d’une approche « académique » qui laisse aux auteurs la liberté d’exposer et assumer leurs opinions, qui sont largement accompagnées d’analyses des données économiques et sociales ayant caractérisé le parcours du Maroc, permet à l’ouvrage de ne pas tomber dans le piège d’un ton général donné aux travaux et qui influence les conclusions des auteurs. Ici, pas d’optimisme béat laissant penser que le Maroc est certain d’accéder aux plus hauts rangs de l’économie mondiale, ni de pessimisme sombre annonçant l’effondrement prochain de nos institutions (comme on peut souvent le lire dans la presse locale et étrangère). Le mot d’ordre est la franchise. Les auteurs se félicitent des évolutions positives du pays, mais abordent également en tout honnêteté ses échecs, ses carences, et leurs voix peuvent parfois s’opposer de manière claire entre les chapitres, donnant toute liberté aux lecteurs de pouvoir se forger leur propre opinion. Voilà ainsi une autre force principale de l’ouvrage : ses travaux d’analyse sont amplement documentés, s’appuient sur une pléthore de chiffres et de statistiques, et permette à tout un chacun, Marocain ou non, familier avec le pays ou pas, d’acquérir une vue d’ensemble objective de ses différentes facettes, dont on pourra tirer nos propres conclusions à travers le prisme de notre jugement personnel. Même lorsqu’il s’agit de traiter de sujets délicats comme la religion, ou la question migratoire, les auteurs font preuve d’une véritable honnêteté intellectuelle, ne versent jamais dans la prétention, mais n’hésitent pas non plus à mettre leurs propres convictions en avant.
Le Maroc, des chiffres, mais surtout des hommes et des femmes
Si le dernière chapitre est consacré au parcours de Neta Elkayam, artiste juive marocaine, ce n’est pas un hasard. Car si les analyses économiques ou politiques ont leur (grande) importance, « le Chemin Marocain » ne perd jamais de vue le fait que le pays est avant fait par ses hommes et ses femmes, qui se définissent avant tout par leurs différentes croyances, leurs différentes cultures, dont les apports donnent à notre pays toute la richesse civilisationnelle qui fait sa fierté. L’approche académique est donc doublée d’un véritable élan humaniste, car le Maroc ne peut véritablement suivre le chemin du développement sans que les Marocain(e)s ne l’accompagne. Même si l’IMIS s’est employé à contenir la taille de l’ouvrage, celle-ci, à travers la richesse du sujet et de son traitement, a dépassé les prévisions initiales. On peut donc attendre que face à l’engouement rencontré et la qualité de ses partenaires, l’IMIS ne s’arrête pas là, et l’on murmure qu’il s’est déjà attaqué à l’ouvrage suivant. Car le chemin du Maroc ne s’est pas arrêté en 2019, et sa société civile continuera à l’accompagner sur la voie espérée de son développement, avec la même honnêteté et la même finesse d’analyse, parions-le.
Selim Benabdelkhalek
Trois questions à M. Hamid Bouchikhi, professeur de management et d’entrepreneuriat à l’ESSEC
M. Bouchikhi, vous encouragez dans votre chapitre la libre-entreprise et la disparition des barrières à l’entrepreneuriat. Toutefois, encourager l’entrepreneuriat n’est-il pas, pour certains décideurs publics, une réponse facile en l’absence d’opportunités dans le marché du travail ?
M. Hamid Bouchikhi : Malheureusement, cette conception de l’entrepreneuriat comme palliatif, comme même une diversion, existe. Mais il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain. Nos entreprises au Maroc, nos leaders, j’entends, sont vieilles, à l’exception de certaines. Donc il nous faut renouveler le tissu entrepreneurial. Le Maroc a besoin de générer une dizaine, voire une vingtaine d’entreprises de croissance, qui, elles, vont créer des emplois, des richesses, générer de la richesse fiscale, etc. Et après, il y a effectivement beaucoup de gens qui ne pourront pas, pour diverses raisons, être employés dans les secteurs public et privé tels qu’ils existent, et qui doivent générer leurs propres revenus. Je pense que l’entrepreneuriat est un vrai levier, et si on le manie comme tel, et que l’on ne pratique pas le saupoudrage, l’achat de paix social, ou la diversion.
Sur ce même sujet de l’entrepreneuriat, pensez-vous que la culture ou la conception de l’entrepreneur est saine au Maroc ?
Beaucoup de jeunes se lancent par absence de choix, ou bien parce qu’ils pensent qu’être patron signifie empocher la richesse produite par l’entreprise. Déjà, en première réponse spontanée : quels que soient les motifs qui poussent les gens à l’action, ce qui importe, c’est qu’ils agissent. Si quelqu’un vient dans l’entreprenariat pour de mauvaises raisons, la réalité va s’imposer à lui ou à elle, et l’entrepreneur va se rendre compte qu’avant de pouvoir se verser un salaire, il lui faut deux ou trois ans de galère. Donc à la limite, peut importe le motif, ce qui importe c’est l’action. Et quand on aura des dizaines de milliers de jeunes qui vont se lancer, il y aura une sélection naturelle. Il y aura peut-être 10% d’entrepreneurs qui vont réussir vraiment à établir leur entreprise, être sur une trajectoire de croissance, de pérennité… Mais la première étape de l’entonnoir doit être large, et il faut que tout le monde puisse participer. C’est le modèle de la Silicon Valley, on n’invente rien ! Aujourd’hui, on a très peu d’initiatives pour la première étape de l’entonnoir. Un bon entonnoir, c’est trois ou quatre étapes de sélection, où l’on part d’un millier pour arriver à une dizaine.
Sur un autre sujet, celui de la gouvernance, le Gouvernement vient de céder 8% de ses parts dans Maroc Telecom. Considérez-vous qu’il devrait sortir complètement du capital, et laisser ce genre d’entreprise privée s’auto-gouverner ?
Selon moi, l’Etat n’a rien à faire dans des entreprises qui marchent bien. Pourquoi va-t-il se préoccuper de ce type d’entreprises ? La fonction de l’Etat est de préparer l’avenir. Maroc Telecom fonctionne très bien, donc mon souci serait plutôt de dire : ce capital qui est aujourd’hui dans ces entreprises, comment pourrait-on le sortir et l’investir dans la construction du futur, au lieu de combler le déficit budgétaire d’aujourd’hui. Ma préoccupation concerne plutôt la destination des fonds, par le principe de désinvestissement.
Propos recueillis par
S.B.