
Nombreux sont les Marocains et les Marocaines que cette interpellation taraude quotidiennement. Simples citoyens, hauts fonctionnaires, opérateurs économiques, jeunes désœuvrés, femmes au foyer, militantes pour l’égalité des genres, activistes de la société civile, voire responsables politiques lorsqu’ils ne sont pas en représentation, tous sont depuis plusieurs mois dans ce questionnement.
Ce que tout le monde voit
On perçoit chez eux un sentiment réel d’inconfort, d’incertitude, de doute, de déception, lesquels sont, on le sait, les premiers facteurs de démission, d’abandon, de désintérêt.
Et lorsque l’on cherche à aller plus au fond de ce « blues » collectif, les mêmes réponses viennent et reviennent, comme si la société marocaine était touchée par une maladie que l’on nomme asthénie…
Ce qui s’exprime en premier parmi tous ces constats amers, c’est la perte de valeurs chez nombre de nos concitoyens.
Les incivilités sont légion au quotidien et les rodéos auxquels on assiste tous les jours dans les rues et artères de nos villes et sur nos routes en sont l’une des manifestations.
On se dit, très souvent, trop souvent, que les conducteurs, (de tous genres de véhicules et d’engins), n’ont plus peur de rien, ni du gendarme, ni du policier, et que la Loi, le `Code de la Route sont faits pour être violés, y compris devant les yeux mêmes de ceux qui ont la charge de leur respect, et qui, trop souvent, restent cois !
Et d’ailleurs, pourquoi se priver de brûler un stop ou un feu rouge, d’emprunter la bande d’urgence, de se garer en troisième position, s’il y a une chance (sur deux, trois ou quatre), que le verbalisateur sera sensible à quelque argument sonnant et trébuchant ?
L’absence de civisme, toutes catégories sociales confondues, est incontestablement l’une des causes fondamentales de ce mal-être qui frappe de plus en plus de personnes aujourd’hui !
Nuls et inconscients
C’est le résultat des très graves lacunes qui entachent l’éducation, telle qu’elle est prodiguée depuis plusieurs décennies dans notre pays.
Trop de nos concitoyens ignorent les fondements même du comportement en collectivité, le respect de l’autre, la tolérance et l’altruisme. Parce que personne ne leur a appris à reconnaître de telles valeurs !
Ces comportements de plus en plus fréquents traduisent donc une régression sociale et sociétale qui s’exprime de diverses manières.
Il y a, bien sûr, la montée de la criminalité, l’insécurité permanente qui conditionne nos femmes, mères, sœurs et filles, le voyeurisme salace et le machisme repoussant qui sont si bien répandus, au point où une jeune femme peut être victime d’un viol collectif dans un autobus en pleine journée dans une ville comme Casablanca !
Il y a, également, cette outrageuse montée d’un conformisme rétrograde, passéiste, conservateur, où les hypocrites, les tartuffes, les bigots sont rois !
Nous vivons dans une société « bâchée », nos plages sont devenues des immenses étendoirs pour linges mouillés, où les corps féminins sont interdits de cité, au point où celle qui porte un maillot s’enfuit, parce que, de surcroît, les regards perçants des « maris bien-pensants », la bedaine pendante et les jambes maigrelettes, la dénudent goulument des yeux…
A qui la faute ?
Qu’est devenu ce Maroc de tolérance, d’ouverture, de vivre ensemble où chacun, dans le respect d’autrui, des valeurs, de la loi, pouvait se comporter, s’habiller, s’amuser, se divertir et voyager en toutes simplicité et quiétude ?
Qui a permis la perte de ces acquis, de ces règles, de ces habitudes, sinon ceux qui ont donné à des forces et milieux obscurantistes, exogènes et endogènes, les moyens, la faculté, l’autorité même, de laver si massivement les cerveaux de millions de nos compatriotes ?
Y a-t-il seulement dans notre constellation de chaînes publiques une seule émission où l’on débat vraiment et profondément des questions sociétales et de la perte profonde des valeurs fondatrices d’une société, certes attachée à ses sacralités, à sa foi, mais où la bigoterie, la manifestation exacerbée et ostentatoire de la religiosité ont remplacé le patriotisme et le civisme ?
Devra-t-on considérer que les Marocains sont de bons pratiquants, mais de piètres citoyens ?
La disparition des idées de progrès, la démission de l’intelligentsia éclairée, l’absence de leaders politiques charismatiques et respectés, la quête des honneurs et des prébendes, l’absence de transparence et de communication jusqu’aux cercles dirigeants, la promotion d’individus douteux aux responsabilités, l’illettrisme qui règne en maître dans les travées du parlement, dans les conseils communaux et municipaux, les ravages de la corruption, la domination des copains et des coquins, voilà quelques-uns des maux dont souffre profondément notre pays aujourd’hui !
Et, plutôt de donner une réponse à la question « où va le Maroc ? », il s’agit d’en poser une seconde, « où est l’Etat ? ».
Comment accepter, par exemple, que les ronds-points et autres feux rouges des grandes villes du pays se sont progressivement transformés en « cours des miracles » où s’étale la misère du monde, africaine, syrienne, locale ?
Comment se taire ou fermer les yeux quand des centaines de pauvres hères, venus des profondeurs de l’Afrique, « notre continent », dorment à même le sol, sous les étoiles, dans des jardins publics ou des squats nauséabonds ?
Où sont les services de l’Etat ?
Comment comprendre un discours d’autorité, de vérités, de reproches légitimes et justifiés sans que rien ne s’ensuive plusieurs semaines après ?
Qui rend des comptes dans notre pays ?
Est-ce seulement à Dieu qu’on doit le faire ?
Le Maroc a besoin de se ressaisir, de retrouver la voie et la voix de l’autorité, de comprendre que tout comportement, selon les cas, mérite punition ou récompense.
A quoi servent la démocratie, les Droits de l’Homme, les textes constitutionnels, s’ils ne sont pas compris, et encore moins appliqués par et pour nos concitoyens ?
Quand la presse écrite se complaît majoritairement dans le fait divers « trash », que celle électronique est le siège des apprentis-journalistes auto-proclamés ou des succursales d’officines aux objectifs occultes, que les télévisions sont des instruments d’abrutissement collectif, comment croire que le pays pourra se redresser, combattre pour le progrès, les valeurs émancipatrices, se mobiliser pour la création de richesses et d’emplois ?
Comment penser que ces « sous-citoyens » pourraient un jour défendre leur sol, leur unité nationale, leur intégrité territoriale ?
Alors, assez d’atermoiements, de promesses, de faux-fuyants.
Seules l’autorité et la détermination pourront rétablir une vrai morale nationale, le civisme, le patriotisme, qui existaient, y compris lors des moments les plus noirs de notre Histoire récente.
Fahd YATA