M. Alain GAUVIN est Avocat & Associé LPA-CGR
Il est souvent reproché à la loi d’être en retard sur l’évolution de la société. Le secteur économique, celui des entreprises et des affaires, n’échappe pas à ce constat. S’agissant de la banque et de la finance, on peut s’amuser de ce qui apparaît comme un paradoxe : voilà l’un des secteurs les plus réglementés, les plus contrôlés, et qui, pourtant, se révèle le plus « rebelle » à toute réglementation, le plus complexe à appréhender juridiquement, à telle enseigne que certains spécialistes ont pu se demander si la loi n’était pas « dépassée » ou même « effacée » par la finance[1].
Ce constat, pour vrai qu’il soit, souffre quelques exceptions et, au Maroc, l’on peut citer trois lois qui illustrent l’avance prise par le droit sur la finance :
- Tout d’abord, la Loi No. 42-12 relative au marché à terme d’instruments financiers: de cette loi, on se serait volontiers passé pour en prendre de plus utiles, comme celle, aujourd’hui à l’état de projet[2], sur les instruments financiers à terme de gré à gré, que l’on attend depuis au moins 15 ans ; certes, Bank Al Maghrib et l’Office des Changes ont bien tenté de palier à la carence législative, mais ces deux autorités n’ont pas le pouvoir de déroger à la loi, d’en neutraliser les effets dommageables ; pour preuve, le Livre V du Code de Commerce – (droit des faillites) dont on ne conteste certes pas l’utilité en général – limite la protection des entreprises marocaines, dont les banques, contre les risques financiers, freine le dynamisme du marché des capitaux, en somme, entrave l’épanouissement du Royaume en tant que place financière ;
Ensuite, la Loi No. 33-06 relative à la titrisation des actifs qui, après avoir été modifiée par les Loi No. 119-12 et No. 05-14 (la « Loi Titrisation« ) constitue peut-être l’un des cadres juridiques les plus performants ; à l’aune de la pratique, on ne peut s’empêcher de se demander si cette loi n’est pas surdimensionnée ; les opérateurs, qu’il s’agisse des
- emprunteurs, des banques, des professionnels de la gestion ou des investisseurs ne sauraient rêver d’un monde réglementaire meilleur ; et pourtant, le marché semble timoré : frilosité de ceux qui pourraient jouer le rôle de promoteur de la titrisation ? Incompréhension, mauvaise information ou anorexie des investisseurs ? Réticence de l’autorité à agréer certains schémas innovants ? Autant de questions méritant d’être posées par qui chercherait à comprendre l’atonie du marché de la titrisation ;
- Enfin, la Loi No. 70-14 relative aux Organismes de placement collectif immobilier (la « Loi OPCI« ) ; à en croire les professionnels, cette loi et ses textes d’application étaient attendus, ce qui donne à penser que l’avance du droit sur la finance serait, contrairement à ce que l’on prétend ici, relative. L’avenir le dira.
L’adoption de la Loi OPCI répond au besoin de « diversifier les moyens de financement de l’économie et de l’immobilier en particulier, de mobiliser l’épargne longue et de développer le secteur financier au Maroc[3]. »
Beaucoup a déjà été dit et écrit sur la Loi OPCI[4], mais la comparaison entre cette loi et la Loi Titrisation n’a jamais été tentée. Pourtant, OPCI et « FPCT » (« fonds de placements collectifs en titrisation) se ressemblent à bien des égards :
- A l’origine, la titrisation était d’abord un instrument de financement de l’immobilier ;
- OPCI et FPCT financiarisent l’immobilier, plus que d’autres véhicules immobiliers (SCI, SCPI, voir sociétés de droit commun) n’ont pu le faire ;
- La Loi OPCI et la Loi Titrisation réduisent l’immobilier pur et dur à du papier, pour ne pas dire à une écriture (titres, inscription en compte) ;
- Ces deux lois créent de nouveaux métiers (« évaluateur » pour les OPCI) et élargissent le champ de compétence de métiers existants (celui de gérant ou gestionnaire d’actifs, « société de gestion« , « établissement gestionnaire« ) ;
- Tout comme la Loi OPCI, la Loi Titrisation a pour ambition de développer le secteur financier en diversifiant les sources de financement et la typologie des placements offerts aux investisseurs.
Dès lors, la question se pose de savoir ce que l’OPCI pourrait bien apporter de plus que le FPCT. La pratique le dira, bien sûr, et, à ce stade, il nous a semblé intéressant de nous livrer à une analyse comparative des deux régimes juridiques respectivement applicables à l’OPCI et au FPCT.
A titre liminaire, nous souhaitons livrer quatre observations au lecteur :
- Le présent article est bien trop court pour offrir une étude fouillée de l’OPCI et du FPCT, mais il en donne un panorama qui permet de s’initier à ces instruments juridiques abscons ;
- Si le FPCT est un instrument utile au secteur de l’immobilier, il n’est pas que cela : avec lui, tout (ou presque) est titrisable ; mais la présente étude est limitée à l’application du FPCT à l’immobilier ;
- Une comparaison des régimes fiscaux sera publiée prochainement ;
- Nous avons pensé que le lecteur trouverait intérêt à ce que ce comparatif juridique soit présenté sous la forme d’un tableau synoptique (cf. ci-après).
De ce tableau, nous tirons les enseignements suivants.
- Ce qui rapproche OPCI et FPCT
Typologie d’actifs : les actifs respectivement éligibles à l’OPCI et au FPCT sont sensiblement les mêmes. Et, dans les deux cas, ces actifs peuvent être localisés à l’étranger, régis par une loi étrangère et libellés dans une devise étrangère à cette différence près que la Loi OPCI subordonne expressément cette liberté au « respect de la législation et de la réglementation des changes« , ce que la Loi Titrisation ne précise pas.
Nature des titres : OPCI et FPCT peuvent émettre les mêmes titres.
Compartimentation : OPCI et FPCT peuvent être compartimentés, ce qui présente bien des avantages notamment en termes de protection des investisseurs et de coût de gestion.
Gestion et conservation : la gestion de l’OPCI et du FPCT est confiée à un professionnel qui doit être agréé par l’AMMC, de même que la conservation de leurs actifs est assurée par des opérateurs dont le point commun est de présenter une solidité financière et une sécurité juridique élevées.
- Ce qui distingue OPCI et FPCT
Objet : l’objet de l’OPCI diffère profondément de celui du FPCT. Alors que l’OPCI ne peut que construire ou acquérir des immeubles en vue de leur seule location, le FPCT semble pouvoir tout faire :
- Il peut jouer le rôle de professionnel de l’immobilier en acquérant définitivement ou temporairement tout type d’actifs immobiliers : il peut les exploiter comme il l’entend, il peut les louer ou les revendre ;
- Mais il peut aussi se coiffer de la casquette du banquier en finançant tout type d’actif immobilier ;
- Et il peut enfin endosser le costume de l’assureur en couvrant tout risque immobilier, dès lors que ce risque est qualifiable de risque assurantiel.
D’une façon générale, le FPCT offre une plus grande liberté en matière de structuration financière appliquée à tous secteurs, dont celui de l’immobilier, ce qui n’a pas échappé à certains opérateurs tels que la SOFAC qui a récemment créé SOFAC STRUCTURED FINANCE[5].
Capital et dotation : alors que l’OPCI doit présenter un capital (s’il est constitué en SPI) ou une dotation (s’il est constitué en FPI) minimum de 50 millions MAD, aucun capital ni dotation n’est exigé du FPCT.
Délégation de gestion : la société de gestion d’un OPCI peut certes déléguer la gestion qui lui est confiée, mais seulement en partie et seulement à une autre société d’OPCI. Aucune de ces deux restrictions ne s’applique au FPCT dont l’établissement de gestion peut déléguer tout ou partie de la gestion soit à un établissement gestionnaire, soit à un autre organisme disposant des moyens suffisants à cette fin.
Evaluation : les actifs immobiliers de l’OPCI doivent faire l’objet d’une évaluation régulière par deux « évaluateurs » indépendants. On comprend l’objet de cette contrainte : améliorer et assurer la transparence du marché immobilier et, de ce point de vue, elle est bienvenue. On s’interroge néanmoins sur sa mise en œuvre pratique : trouver des évaluateurs présentant des garanties d’expertise technique, de connaissance du marché marocain et d’indépendance ne sera sans doute pas une sinécure, au moins les premiers temps[6].
Cette difficulté d’identifier en nombre suffisant des experts compétents et indépendants n’est pas nouvelle : les rédacteurs du projet de loi sur les obligations sécurisées purent la mesurer, il y a quelques années déjà, lorsqu’il fut décidé de créer un « contrôleur du panier de couverture« , ledit contrôleur ayant pour mission d’évaluer la qualité des actifs affectés à la garantie à ces obligations[7].
D’ailleurs, la Loi FPCT ne prévoit rien de tel, mais seulement la production, dans le rapport annuel, d’un « inventaire des actifs certifié par l’établissement dépositaire, ainsi que d’autres renseignements permettant de connaître l’évolution des actifs du FPCT« , les documents comptables devant également être certifiés par le commissaire aux comptes.
Recours aux contrats financiers à terme (CFT) : si l’OPCI peut conclure un CFT (swap, option, forward), c’est uniquement dans le but de se couvrir contre un risque, ce qui se comprend aisément : compte-tenu de son objet limité, on n’imagine pas un OPCI prenant, au moyen d’un CFT (ex. : un swap de rendement), une position sur un actif immobilier sans le détenir pour, par exemple, dynamiser son portefeuille. Un FPCT, en revanche, est admis à le faire et pourrait même être dédié à l’exercice d’une telle activité : assurer, réassurer et procéder à de l’arbitrage de risques immobiliers. Et l’on pourrait concevoir qu’un FPCT contribue à la liquidité de l’OPCI.
En définitive, on peut penser que l’OPCI répondra à un besoin dont on présume, vu l’état du marché, qu’il n’est pas satisfait par le FPCT, et l’on peut même parier qu’une synergie naîtra entre ces deux structures qui semblent plus complémentaires que concurrentes.
Alain GAUVIN
Avocat & Associé LPA-CGR
[1] Pour aller plus loin sur ce phénomène d’effacement ou de dépassement de la loi par la finance, le lecteur lira avec intérêt l’article de Guillaume ELIET, Le droit et la place financière française : quelques remarques, in Quelles places financières pour demain ? Revue d’économie financière, No. 57, 2000, p. 195 : « La loi effacée ou dépassée par la place financière ? ». L’auteur cite Léon Dabin : « Les faits économiques se prêtent mal à la conceptualisation juridique […] Ils sont rebelles, en raison de leur complexité et de leur variabilité aux tentatives de classification, à l’emprise d’une norme fixe et permanente. D’autres sources normatives plus proches du réel ont fait leur apparition en droit positif. »
[2] Projet de Loi No. 46-17 relatif aux instruments financiers à terme.
[3] Lire le préambule de l’utile livret publié par l’AMMC : « Guide relatif aux Organismes de Placement Collectif Immobilier« , juin 2019 : www.ammc.ma/fr/publications/guide-relatif-aux-organismes-de-placement-collectif-immobilier-ocpi.
[4] Lire en particulier l’interview éclairée (et éclairante) de R. BERTHON, Les OPCI ne vont pas créer de bulle, au contraire…, Les Inspirations Eco, 8 juillet 2019, p. 10. Et aussi : www.youtube.com/watch?v=B5gVBhWUxKQ.
[5] www.sgg.gov.ma/Portals/1/BO/2019/BO_6770_Ar.pdf?ver=2019-04-24-093238-310.
[6] Voir en ce sens : R. BERTHON, Les OPCI au Maroc, La cinquième édition des matinales de l’immobilier d’entreprise, 10 mars 2016, www.youtube.com/watch?v=B5gVBhWUxKQ.
[7] Voir l’intéressant article sur le fonctionnement des obligations sécurisées par N. EL AISSAMI et H. TALBY, Morocco covered bonds project, Focus section : Financial law reform : from Moscow to Casablanca, Law in transition 2013, p. 62 : « Hence, the draft law provides for specific supervision of the covered bonds activity by the Central Bank, monitoring of the cover pool by an independent controller and implementation of specific prudential regulations on the cover pool (internal audit, risk management, liquidity obligations, and so on).”