
Le royaume, Dieu merci, a tenu bon aux confins des voisins espagnols et algériens frappés de plein fouet par le viral fléau. Au Maroc, jusqu’au lundi dernier le spectre du Covid-19 ne faisait que roder sur les réseaux sociaux sous forme de caricatures burlesques tendant à banaliser et démystifier les effets d’une infection imminente.
La majorité de ces caricatures reposent dans leur structure humoristique sur l’ironie et le sarcasme cathartique basés sur le contraste entre l’imminence de la contagion et la certitude de l’incapacité des autorités à contrer le fléau. Les images et anecdotes qui circulent ne se moquent pas du coronavirus comme disent plusieurs articles de presse ; elles interpellent le degré d’aptitude du gouvernement, et spécialement des secteurs concernés, à gérer et contrecarrer la propagation du Covid19. Et ça ne vient pas de rien. Ça reflète en fait une croyance ancrée, malheureuse et dangereuse, bâtie sur la conviction répandue que l’improvisation reste la modalité de riposte de nos gouvernements face aux affres et tares qui gangrènent ou frappent les différents secteurs de la vie au Maroc.
Qu’avons-nous préparé pour l’accueil de ce lourd et indésirable voyageur à part l’état d’alerte lancé dans tous les aéroports et ports du pays et les anecdotes et tirades de sarcasme sur les réseaux sociaux ? On ne badine pas avec le coronavirus. Le jour J est arrivé ; et, curieusement, depuis lundi soir, date de l’annonce du premier cas d’infection, les caricatures se font de plus en plus rares. Après l’annonce d’à peine un cas, la terreur et le chao semblent déjà s’installer dans les réseaux qui deviennent le canal de déferlement de fausses rumeurs, voire même d’infractions dangereuses : les noms des 104 passagers de l’avion à bord duquel voyageait le Marocain contrôlé séropositif sont en ligne et une enquête judiciaire est ouverte à ce propos.
En marge du Congrès organisé par le bureau régional de l’OMS au Caire, Abdenacer Aboubakr, président de l’Unité de prévention des risques infectieux au Moyen-Orient, s’est prononcé ouvertement sur l’incapacité du Maroc, entre autres pays, à gérer techniquement et médicalement la situation en cas d’épidémie. « Quatre pays seulement au Moyen-Orient, déclarait-il, disposeraient des moyens médicaux et des laboratoires de pointe pour le dépistage du virus de la mort, Corona, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).»
Le lendemain de la conférence de presse tenue lundi soir pour annoncer le premier cas d’infection et rasséréner l’opinion publique sur la capacité des établissements de santé marocains à faire face au dangereux virus, l’hôpital Duc de Tovar de Tanger est pris de panique devant un cas présumé suspect. N’ayant reçu aucune formation sur le protocole à suivre en cas de suspicion, ne disposant pas d’outils nécessaires et adéquats (surblouses, masques, gants et autres), le personnel infirmier de l’hôpital a refusé d’intervenir pour le prélèvement d’échantillons, ce qui somma la délégation épidémiologique qui accompagnait le cas d’entreprendre la tâche d’échantillonnage. Fort heureusement, le test s’est révélé négatif ; l’hôpital par contre, en tant qu’établissement de santé publique de l’une des villes phares du pays, est plutôt « séropositif », car carrément éligible dans ce contexte. Craignant pour leur vie et la santé des patients les médecins et infirmiers de Tovar ont tenu ce jeudi un sit-in en guise de protestation contre le manque d’équipement et de directives à suivre. Le même jour le deuxième cas d’infection officielle est annoncé et le porte-parole du gouvernement, lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion hebdomadaire du Conseil du gouvernement, rassure l’opinion publique sur la capacité du Maroc à faire face à n’importe quelle épidémie. Une circulaire urgente est diffusée à cette occasion avec une série de mesures interdisant les rassemblements de masses à l’exception des moussems dont la baraka, apparemment, ferait figure de bouclier contre le Covid-19.
Pendant que les réseaux sociaux se délectaient des railleries loufoques inspirées par la situation, le gouvernement était censé organiser ses lignes de défense pour répondre présent le moment venu. L’essentiel reste pourtant à faire : designer des cellules d’infectiologues à travers le pays, munir les établissements de santé des moyens logistiques nécessaires, former et préparer le personnel soignant et le citoyen à la conduite à tenir en cas de suspicion, dresser des listes de garde et de volontaires, etc. On en est au deuxième cas…, jamais deux sans trois…
Younes Gnaoui