Tribunal de Première Instance d’Ain Sebaa
Abstraction faite de qui a dit quoi et qui a fait quoi, c’est ce petit bout de choux qui devrait nous préoccuper en tant qu’opinion publique dans l’affaire qui oppose Leila au célèbre avocat. Je n’adhère certes pas au childfree mais la petite Nour est un vif exemple de l’acte égoïste de parents qui ne pensent qu’à combler le vide d’un moment furtif de plaisir et songent plus tard aux conséquences de leurs ébats charnels.
Je ne veux pas monter la vague houleuse d’indignation pour juger Leila ou la femme de l’avocat (je me demande si je n’ai pas tort de ne pas appliquer le mot « femme » à Leila). Les deux « femmes » défendent leurs droits et leur famille en faisant usage des moyens que permettent les plateformes médiatiques, les principes du Code pénal marocain et aussi les failles inconcevables et inéquitables de ce code. Je ne veux pas non plus m’étaler sur la filigrane PJDiste de l’affaire ni porter de jugement sur un mari qui s’est planqué derrière un rideau opaque de silence, avant de poster récemment une lettre très fade et peu convaincante dans laquelle il menace de poursuivre en justice ses détracteurs, présente ses excuses à l’opinion publique et à l’ensemble de l’ordre des avocats, et jure, en invétéré homme de droit qu’il est, avoir fait l’objet d’une « odieuse » affaire de chantage dont l’héroïne est une gamine mineure (s’il est vrai qu’ils filaient le grand amour depuis cinq ans). Au cas où il serait le père de Nour, je me demande si une publication sur Facebook suffirait-elle pour s’excuser auprès de la chair de sa chair et l’endommager de la solennité d’un odieux déni.
Je reste donc sceptique et me focalise sur l’essentiel : la petite Nour et les incongruences de notre système judiciaire. À défaut d’une scrupuleuse connaissance des rouages des lois, les syllogismes de la raison et de la logique mènent la réflexion sur cette affaire vers des interrogations déroutantes. Le Tribunal de Première Instance d’Ain El-Sabaa poursuit la victime pour un double délit : l’infidélité conjugale et le chantage. En ce qui concerne la première partie des charges, il va sans dire que le législateur marocain stipule dans l’article 493 que l’infidélité conjugale « s’établit soit par procès-verbal de constat de flagrant délit dressé par un officier de police judiciaire, soit par l’aveu relaté dans des lettres ou documents émanés du prévenu ou par l’aveu judiciaire ».
Leila est donc interpelée dans un café public (il n’y a ni aveu ni flagrant délit) alors que l’homme contre qui la plainte est présentée est libre juste parce que l’article 492 stipule que « Le retrait de la plainte par le conjoint offensé met fin aux poursuites exercées contre son conjoint pour adultère » et que « Le retrait de la plainte ne profite jamais à la personne complice du conjoint adultère ». Une « avocate » qui dépose une plainte pour la retirer dans l’immédiat laisse quand même poser une grande interrogation. Cette mésaventure montre surtout le degré d’injustice que revêt la mesure du maintien des poursuites contre la personne complice de l’adultère dans le cas du retrait de la plainte du conjoint offensé, et met sur table le besoin urgent de réviser cette curieuse faille du Code pénal. En outre, il reste clair que la décision d’arrestation de Leila s’est produite de façon hâtive et irréfléchie, laissant surtout supposer l’idée de fabrication de dossier relevée par les avocats de Leila; car si effectivement mariage il y a – et c’est aux autorités de s’en assurer – il serait impensable de parler d’infidélité. L’exercice de la profession d’avocat et la compréhension parfaite des mystères et rouages cachés de la loi et des failles du Code pénal permettraient-ils ce genre d’outrances pour envoyer des citoyens croupir en prison ? Cela ne porterait-il pas atteinte à l’intégrité et au caractère sacré de la justice ? Ne nuirait-il pas à déontologie, à la réputation et à l’honneur de l’ordre de tous les avocats ?
Par ailleurs, l’interpellation de Leila dans un café public peut être justifiée comme preuve de la deuxième charge retenue contre elle. La définition du terme chantage se résume en un délit consistant à extorquer des fonds généralement sous menaces de divulgation de secrets nuisibles à l’image de la personne extorquée. Il est donc question de secrets qui seront révélés si la victime n’accède pas aux demandes du maître chanteur. Il est où le côté secret de cette affaire dite de chantage si la victime a initialement déposé plainte pour reconnaissance de la filiation de l’enfant le 7 octobre 2019 et assisté à trois séances délibérément ignorées par le supposé père ? Leila a tout bonnement fait acte de civilité en s’adressant au tribunal pour demander légalement le droit de son enfant à avoir une identité. La logique ne dicte-t-elle pas que l’avocat — et il est mieux placé pour le savoir en tant qu’homme de droit — aurait mieux fait de répondre présent aux appels du tribunal et de défendre civilement sa position puisqu’il se dit innocent et victime de chantage ? Pourquoi donc toute cette peur qui se traduit par le besoin impétueux d’intimider pour faire taire une personne qui selon lui n’a que des propos comme preuves ?
Le temps et l’impartialité du corps judiciaire finiront certainement par répondre à toutes ces interrogations en tirant au clair cette affaire. La question qui par contre ne peut pas attendre est celle du petit être innocent. Que la famille ait accepté de marier la mère par Al-Fatiha reste sans doute la première incongruence, tordue et inconcevable, de l’histoire. Ce qui est malheureusement fait est fait. D’un point de vue humain et moral, la petite Nour reste, à mon avis, la première et dernière victime de cette malencontreuse venue au monde des adultes. Elle ne sait rien des couloirs des lois et des tribunaux ni des tollés des médias ; tout ce dont elle a besoin pour l’instant est le sein d’une mère affectueuse et le soutien d’un père soucieux et responsable.
YOUNES GNAOUI