Le mur entre le Mexique et les Etats-Unis, le 26 janvier 2017 à San Ysidro © AFP/Archives DAVID MCNEW
Réponse aux migrants, aux trafiquants ou parfois à des groupes ennemis, les murs aux frontières reflètent le plus souvent « une vulnérabilité de la société » qui les érige, estime Elisabeth Vallet, directrice de l’observatoire de géopolitique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Pratiquement inexistants à la fin de la Seconde guerre mondiale en 1945, le nombre de murs est passé à 11 jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989, « pour arriver aujourd’hui au nombre de 70 » avec « un premier coup d’accélérateur après les attaques du 11 septembre » aux Etats-Unis, puis un « deuxième coup d’accélérateur avec le Printemps arabe » dès 2011.
Un tiers d’entre eux ont été « construits pour mettre un terme à un conflit (Chypre, les deux Corée, Inde et Pakistan), explique Elisabeth Vallet dans un entretien à l’AFP.
Plus récemment, « trois types de murs différents sont apparus, dont la majorité (sont) des murs anti-migrations, des murs anti-trafics et des murs anti-terroristes ».
La construction d’un mur ou d’une clôture donne au pouvoir politique « une réponse clé en mains » face « à une perception de vulnérabilité comme aux Etats-Unis, en Bulgarie, en Grèce ou en Hongrie », où « la pression migratoire est en train, soit de changer la nature de l’identité d’une société, soit d’exercer une pression économique » en donnant la perception d’un risque sur l’emploi, selon Mme Vallet.
– Le mur n’empêche jamais de passer –
Dans une « démarche électoraliste », l’argument d’un mur apporte des réponses « à des questions identitaires » et permet à un démagogue, avec « un discours caricatural et populiste » de renforcer le « caractère étranger » du voisin.
« Les murs représentent une fracture importante entre les riches et les pauvres, une fracture Nord-Sud » même si parfois des pays du Sud veulent s’isoler de leurs voisins comme par exemple l’Arabie saoudite, poursuit Elisabeth Vallet en notant que « la religion est rarement un facteur » à l’origine d’une construction frontalière.
Mais finalement, ajoute-t-elle en s’appuyant sur les données de la police américaine des frontières, « le mur sert à dissuader et à ralentir, mais n’empêche jamais de passer ».
Car « le niveau de désespérance » des migrants est tel qu’une barrière ne les décourage pas de « prendre leur nouveau-né sous le bras et de monter à bord d’un bateau en pleine Méditerranée en sachant que le risque qu’ils meurent est élevé ».
« Il ne faut pas sous-estimer la perception d’insécurité qui va pousser une femme (…) à prendre le risque de migrer en sachant, non pas qu’elle peut être agressée, mais qu’elle va l’être », ajoute Mme Vallet.
– Investir dans la paix –
Les gouvernements seraient mieux inspirés de travailler à régler les facteurs à l’origine des flux migratoires plutôt que de dépenser plus d’argent dans la construction de murs qui, dit-elle, « contribuent à accentuer un phénomène inéluctable qui est celui des grandes migrations ».
« Il faut investir de l’argent dans des missions de paix, dans la sécurisation des zones. Des corridors humanitaires en Syrie auraient peut-être évité à la Hongrie de construire ces murs », estime cette universitaire.
Si l’argent que ces murs coûtent « était investi dans des missions de paix (…), ou par exemple pour gérer les changements climatiques qui génèrent de l’insécurité alimentaire et des migrations », alors « le cours de l’histoire » pourrait être modifié.
Il en a ainsi coûté entre un et huit millions de dollars américains pour chaque kilomètre de clôture érigée entre le Mexique et les Etats-Unis, rappelle la professeur de l’UQAM.
Mais là où le président Donald Trump veut compléter le mur avec le Mexique sur 2.000 km, dans « des zones plus désertiques où les terres appartiennent à des privés qu’il va falloir exproprier, le coût peut monter à 21 millions par km ».
Si l’investissement dans des murs vise à terme à freiner les flux de migrants, la volonté affichée peut aussi « pousser des personnes qui n’avaient pas pris la décision de migrer » à le faire tant que la construction n’est pas achevée, conclut-elle.
LNT avec Afp