Mme Fatima EL BOUZIDI
Un parcours aussi riche que diversifié, une expérience exhaustive, une conscience aigüe de ses responsabilités, un jugement sûr et responsable, voilà ce qui caractérise Mme Fatima EL BOUZIDI, Directrice des soins à l’Hôpital Universitaire International Cheikh Khalifa qui explique avec passion son engagement professionnel dans l’entretien qui suit.
La Nouvelle Tribune : Nous sommes journalistes et à l’occasion du 8 mars, nous réalisons un dossier spécial consacré aux « femmes en blouses blanches » notamment à la lumière de la pandémie de la Covid-19. Parmi celles-ci, il n’y a pas que des professeures et des médecins praticiennes, il y a aussi le paramédical, d’où cet entretien avec Madame EL BOUZIDI, pour parler de ce paramédical, de son importance. Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
Mme Fatima EL BOUZIDI : Je suis d’origine marocaine, mais j’ai grandi en France. J’y ai passé quasiment toute ma vie, ma scolarité, mes études, ma carrière professionnelle aussi. De formation infirmière, diplômée d’état, j’ai exercé durant plusieurs années dans le secteur de réanimation. En France, c’est un peu particulier, vous commencez par un diplôme d’infirmier d’état, ce qui correspondrait à notre infirmier polyvalent au Maroc et ensuite vous pouvez faire différentes spécialités : comme l’anesthésie ou autres. A la différence du Maroc, pour que l’on puisse accéder à ces spécialités, il est obligatoire d’exercer durant plusieurs années en tant qu’infirmier diplômé d’état avant de passer des concours pour accéder auxdites spécialités (anesthésie, école des cadres, etc…).
Pour ma part, j’ai débuté ma carrière dans le secteur privé à Lyon, dans la clinique du Tonkin, j’ai exercé en tant qu’infirmière dans des secteurs de réanimation, urgences, soins intensifs et SAMU, pour une durée de 11 ans. Souhaitant évoluer vers des métiers de gestion et de management, j’ai passé le concours de l’École des Cadres à Grenoble, pour me spécialiser et de venir Cadre de Santé.
Ainsi, depuis 2006, j’ai exercé en tant que cadre de santé, puis comme directrice des soins. Après plusieurs expériences en tant que Directrice des soins en France, j’ai intégré l’Hôpital Universitaire International Cheikh Khalifa en juillet 2017 en tant que telle.
Comment avez-vous pris la décision de quitter la France pour le Maroc ?
On est venu me proposer un poste de Directrice des Soins au sein de l’un des meilleurs établissements au Maroc, le challenge était plus que intéressant car l’idée était de mettre en place un nouveau concept qui n’existait pas au Maroc jusqu’àlors : créer une direction des soins indépendante de la direction médicale. Ainsi, j’ai voulu expérimenter le secteur de santé au Maroc, et puis, faire bénéficier mon pays de ma modeste expérience est un réel honneur pour moi.
Qui vous a proposé de rejoindre l’hôpital Cheikh Khalifa ?
Un ami avec qui j’ai eu l’occasion de travailler en France, à Chartre, qui est rentré au Maroc. Travaillant lui-même à l’Hôpital Cheikh Khalifa, il m’a proposé le poste dans une optique de nouvelle organisation des soins. Cependant, j’ai eu l’occasion de faire énormément d’humanitaire au Maroc, plus précisément dans la région de Taounate, et du coup, l’occasion de connaître un peu mieux le système de santé au Maroc et de contribuer à son amélioration était pour moi une suite logique à mon parcours personnel et professionnel.
Par rapport à l’organisation de la Fondation Cheikh Khalifa, on parle de privé et de public, pour les soignants et les soignés, cela veut dire quoi ? S’il s’agit d’un hôpital, est-il gratuit ou payant et pour les médecins comment cela se passe-t-il ?
L’Hôpital Universitaire International Cheikh Khalifa est un hôpital reconnu d’utilité public, c’est un hôpital universitaire, qui est tourné vers la formation, la recherche, les soins et la technologie de pointe, certes, cela à un coût. Notre objectif n’est pas de « faire de l’argent », mais plutôt faire tourner la machine, afin de dégager suffisamment de ressources pour, à la fois, investir dans du matériel, dans la formation, et la recherche.
Vous dirigez une équipe de 641 personnes, de qui est-elle composée ?
Actuellement, ce qui relève de ma direction, il s’agit de 641 personnes, composées de :
• Coordinateurs de soins
• Responsables de soins
• Infirmiers(ères) anesthésistes
• Infirmiers(ères) polyvalents
• Sages-femmes
• Techniciens de radiologie
• Techniciens de laboratoire
• Kinésithérapeutes
• Assistantes dentaires
• Aides opératoires
• Panseuses
• Psychomotriciennes
• Orthophonistes
• Orthoptistes
• Diététicienne
• Psychologue
• Aides-soignantes
• Assistante de direction
• Secrétaires médicales
• Agents d’accueil
• Brancardiers
• Personnel d’hébergement (agents d’orientation, gouvernante, etc…)
Si l’on parle du plan médical, y a-t-il des exigences de niveaux?
Il est vrai qu’on a la chance de faire partie d’un écosystème qui nous permet de contrôler les formations de nos futurs collaborateurs, grâce à notre université. Cela nous permet vraiment de pouvoir interagir sur la formation de base et la formation professionnelle continue, puisque les étudiants de l’université viennent effectuer leurs stages chez nous et ils bénéficient d’un encadrement précis. De ce fait, ces mêmes étudiants deviennent des professionnels qui pratiquent chez nous. Ainsi, cela nous permet de développer les compétences selon nos attentes et nos exigences.
Y a-t-il des écoles d’infirmiers avec des formations précises à suivre ou se forment-ils sur le tas à l’hôpital ?
Il existe différentes écoles d’infirmiers à la fois publics et privées. En ce qui nous concerne, grâce à l’échange entre notre hôpital et notre université, notamment à travers la faculté des sciences et techniques de santé, qui forment des paramédicaux, nous essayons d’effectuer un travail de collaboration pour élever le niveau. Toutefois, une fois acceptés chez nous, ces nouvelles recrues passent une période d’intégration durant laquelle elles reçoivent des formations complémentaires et obligatoires, je pense surtout à :
• l’hygiène
• l’identitovigilance
• l’hémovigilance
• etc…
Dans le but de maintenir un bon niveau en termes de prestations offertes par notre établissement et de garantir la qualité et la sécurité des soins, nous avons mis en place une procédure de recrutement sélective (sur épreuve écrite, pratique et entretien d’embauche).
Le Maroc est connu par sa faiblesse au niveau des formations dans le paramédical, comment intervenez-vous ? Est-ce que l’Université Mohamed VI qui est derrière forme aussi des infirmières ?
Un des objectifs de l’UM6SS est de hausser les niveaux aussi bien dans les formations médicales, paramédicales, techniques et managériales, grâce à ses différentes facultés et écoles, notamment : la faculté de médecine, dentaire, de pharmacie, la faculté des sciences et techniques de santé, l’école internationale de santé publique et l’école supérieure de génie biomédical. En effet, l’UM6SS forme des infirmières, mais pas seulement elle permet de former tous les métiers qui dépendent d’un hôpital,, quelles que soient les spécialités.
Est-ce que la femme prédomine dans ce milieu ?
Bien sûr, la profession infirmière est une profession très féminine. Mais on remarque ces dernières années que les autres professions de l’hôpital se féminisent aussi (médecins, chirurgiens, etc…).
L’actualité, c’est la pandémie et l’hôpital a été mobilisé pendant cette période, pouvez-vous nous raconter un peu comment cela s’est passé pour vous ?
A vrai dire, l’expérience COVID était une des plus belles que j’ai vécues. On a eu la chance d’avoir de très bonnes conditions au sein de notre hôpital (matériel dernier cri, disponibilité des consommables, etc… ), nous avions anticipé, bien avant l’apparition des premiers cas au Maroc, l’information sur ce nouveau virus et la formation du personnel sur les gestes barrières et comment s’y préparer. Grâce au soutien de notre Fondation, nous avons mis en place les mesures nécessaires permettant la prise en charge gratuite des patients positifs à la COVID. Nous avons ainsi déterminé des secteurs d’activité COVID et d’autres non COVID, et nous avons mis en place des circuits séparés. Nous avons aussi été l’un des plus grands centres de tests de dépistage de la COVID19 depuis le mois de juin 2020.
Comment cela s’est-il passé dans le temps ? Il y a eu une première vague en Février, puis une deuxième en Octobre, et aujourd’hui où en sommes-nous et quel est votre rôle dans la vaccination ?
Lors de la première vague, nous avions la plus grande partie des patients du Grand Casablanca hospitalisés à Cheikh Khalifa, et donc la deuxième vague a été plus facile pour nous à gérer que sa précédente. On a simplement repris nos habitudes et repris les circuits, ré-ouvert les services COVID, les services de garde, etc.
Aujourd’hui, on est sur la fin de la vague, du moins à l’hôpital, puisque le nombre de patients a bien diminué, avec un seul service de réanimation ouvert et un secteur de soins intensifs.
Concernant la vaccination, sous l’autorité de la Direction Régionale de Santé et avec l’accord de notre Fondation, nous avons mis en place une antenne de vaccination réservée au personnel de notre écosystème. Nous avons commencé à vacciner notre personnel le 29 janvier 2021.
Êtes-vous engagés de la même manière à la vaccination anti-covid ?
Dès qu’on a eu le OK pour la vaccination, on avait déjà nos listes prêtes des personnes à vacciner et on a commencé la vaccination en même temps que le lancement officielle de la campagne nationale de vaccination. Vous avez des qualités, vous avez un historique professionnel impressionnant, mais est-ce que vous vous limitez au management avec toutes les qualités de soignante que vous avez ? Le management hospitalier est très vaste, on gère la qualité, la sécurité et l’organisation des soins, sans pour autant pratiquer moi-même les soins directement au patient. Par contre, je suis là pour mettre à disposition les moyens aux personnes qui travaillent avec moi, pour prodiguer le soin de la manière la plus qualitative et la plus sûre possible pour le patient. Sans oublier, que notre rôle en tant que responsable est d’accompagner et de former le personnel dans le but de développer les compétences.
Le roulement qui se fait au sein de l’hôpital exige quand même du recrutement ? Se fait-il au niveau de l’université ou bien de l’extérieur ?
On fait les deux, en réalité, parce que rien n’oblige nos étudiants, à exercer chez nous, on est donc obligé de recruter d’autres personnes en dehors de notre écosystème. Mais, on recrute en priorité les meilleurs profils de notre université. Nous les avons suivis pendant 3 ans et on sait ce qu’ils valent. On peut dire que le turnover dans le secteur de santé est assez important et notre objectif est de fidéliser notre personnel, en améliorant les conditions de travail, en leur offrant la possibilité de suivre des formations continues au niveau de l’université et ainsi développer les compétences. Tout en notant que nous leur offrant aussi la possibilité d’avoir une évolution de carrière au sein de l’hôpital.
Entretien réalisé par Yasmin Yata