Il y a quelques jours, La Nouvelle Tribune a reçu sur sa page Facebook un commentaire marquant d’un subsaharien désirant s’exprimer sur la situation des migrants au Maroc.
« Bonjour « La Nouvelle Tribune », je souhaiterais par votre canal, faire passer un message, parler, échanger. Oui parce que très souvent, en tant qu’étrangers subsahariens résidants au Maroc, nous ne sommes pas du tout écoutés, nous n’avons pas de canal de communication avec les responsables… ».
La Nouvelle Tribune a contacté la personne en question pour lui donner la parole.
La Nouvelle Tribune : Pouvez-vous nous décrire le parcours typique d’un migrant subsaharien s’installant au Maroc ?
Jean Nani : Quand on parle de migrant, la première idée qui nous vient en tête est la clandestinité; cependant selon les Nations Unies, ce terme désigne, je cite, « toute personne qui a résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les causes, volontaires ou involontaires ». Bref, je pense qu’il est nécessaire d’éclaircir les termes pour être compris de tous vos lecteurs.
En général, la plupart des subsahariens viennent au Maroc pour différentes raisons, à savoir : études, soin et santé, commerce et bien sûr l’immigration clandestine, via le désert et autres pour ensuite voguer vers l’Europe.
Dans le dernier cas, je n’ai pas d’informations précises, j’essaierai de pas trop m’étaler dessus pour le moment. J’estime que cela doit être traité beaucoup plus en profondeur.
Il est donc question d’un projet de « vie » pour lequel des milliers d’euros sont mis en jeux dans un but bien précis : billet d’avion, logement, hôpitaux privés, frais scolaires, achats, le temps d’un court séjour ou d’un projet plus long comme les soins médicaux ou les études universitaires comme dans mon cas.
Nous laissons nos parents, nos familles, plusieurs personnes derrière nous, pour embrasser un pays, une culture tout autre, ce qui constitue déjà une vraie richesse.
Je me rappelle encore avec beaucoup d’émotion, la réunion qui s’était tenue avec mon père et ma mère le jour précédent mon voyage au Maroc. Entre inquiétudes, clichés, conseils, pleurs et espoirs.
Une chose est sûre, quelle que soit la raison de notre présence au Maroc, ils vous le diront tous : « je suis là, juste pour temps ». Le but étant de retourner dans nos pays respectifs ou poursuivre vers l’occident.
Comment se déroulent vos interactions avec l’administration marocaine ? Quels sont les principaux blocages ?
L’administration marocaine… le point névralgique de la détérioration de la santé mentale et physique de beaucoup de subsahariens. Je loue et respecte ces hommes et ces femmes qui font un travail extrêmement fastidieux, jour après jour.
Il faut le dire, au Maghreb, le Maroc est l’un des rares pays à favoriser l’accueil des étrangers, du fait des liens très forts tissés ici et là , avec les autres pays de la sous-région.
Mais je déplore vraiment le manque de cohérence entre la dureté de l’administration marocaine, et le fait que le Maroc se veut être un pays ouvert et influent en Afrique y compris dans les organisations africaines.
Quand on y vient pour la première fois, après les démarches d’enregistrements faites au niveau de nos ambassades respectives, nous sommes tenus d’être en règle vis-à-vis des lois du pays d’accueil, comme c’est le cas partout, et cela passe par l’obtention d’une « carte de séjour »… le fameux sésame, le Saint-Graal… le document par excellence pour être en paix et suivre factuellement l’objectif de notre venue au Maroc. Et c’est tout là le début des soucis. Je peux vous assurer que personne ne vient chez autrui dans l’objectif de ne pas être en règle avec les lois internes, que l’on soit étudiant, commerçant, travailleur, ou chef d’entreprise. Entre les lois qui changent constamment uniquement pour les étrangers, les crises de nerf de certaines personnes de l’administration, il est extrêmement difficile d’être en règle même avec de la bonne volonté.
Parfois, ça se passe bien, parfois tu as des phrases très blessantes, du genre « rentre dans ton pays ». Je ne saurais traduire ici tous les déboires, la peine, le découragement de toutes ces personnes qui sont infantilisées et chassées des locaux malgré la volonté d’être seulement en règle. Et qui se retrouvent bloquées au Maroc, bloquées dans leur projet de vie à cause d’un papier, à vivre comme des parias, comme des ratés.
Sans carte de séjour il est difficile d’avoir une maison.
Sans carte de séjour il est difficile de travailler.
Sans carte de séjour, il est impossible de récupérer de l’argent via les agences de transfert.
Sans carte de séjour il est impossible de faire une demande de visa.
Sans carte de séjour, impossible d’accéder à des services de base comme internet ou un compte bancaire.
La liste est très longue, grâce à Dieu nous avons heureusement le souffle de vie gratuit.
Tu es soumis au stress au quotidien et à des dépressions silencieuses successives. Condamné à survivre au lieu de vivre pleinement et poursuivre simplement ses objectifs.
Selon vous, quelles sont les réformes urgentes à entreprendre pour faciliter l’accueil et le séjour des migrants ?
Soyons clair, je ne dis pas qu’il faille brader au premier venu tout ce qu’il faut pour l’accueil. Mais au moins s’inspirer de comment sont accueillis les Marocains à l’étranger, que ce soit au Sénégal, en Côte d’ivoire, au Congo au Gabon… Il y a une certaine hospitalité vis-à -vis de tous les étrangers, bien que tout ne soit pas parfait non plus.
Mais c’est clair qu’au vu de la situation actuelle, tout le monde devrait mettre la main à la pâte, même à un petit niveau, pour contribuer à la relance de l’économie; tout le monde , y compris les forces vives étrangères résidant au Maroc. Pourquoi se passer d’une partie de la population et se refermer sur soi ? Nous payons tous des taxes au même titre que les locaux, nous louons des appartements 2 à 3 fois leur prix, nous achetons et consommons local, nous investissons…
Chaque année, c’est un vrai parcours du combattant, obligé de s’en remettre à la foi pour ne pas affronter une énième complication administrative. Administrativement, les choses se sont encore plus compliquées cette année. Tout est fait pour nous mettre à la porte, j’ai l’impression.
Un exemple palpable : il est désormais interdit aux étrangers d’effectuer des paiements en ligne ou des transferts d’argent sans compte bancaire. Les répercussions sont énormes. Un souci de devise certes, mais pourquoi sacrifier une partie de la population, à savoir les étrangers ?
De mon point de vue, assouplir les réglementations en vigueur concernant les étrangers reviendrait à favoriser le trafic, les entrées et surtout les sorties. Il y a quelques années par exemple sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, il y a eu une opération (dite grâce royale) qui consistait à simplifier la régulariser des étrangers en situation irrégulière. Suite à cela il y a eu une vague de personnes qui ont pu enfin quitter le territoire marocain, certains ont pu travailler et mettre leurs compétences à profit, certains étrangers ont pu créer leur entreprise, que ce soit des secteurs des services, la restauration ou l’import-export.
Une autre mesure majeure à mon sens pour faciliter l’accueil des étrangers est « la langue ». Il serait intéressant d’avoir accès à des programmes communaux pour l’apprentissage de la langue arabe ou darija marocaine. Cela facilitera l’intégration et la connaissance de la culture locale et surtout de garder un lien non négligeable avec le Maroc, même au-delà de nos frontières, que ce soit pour du business, des investissements et autres… Parce qu’on le veuille ou non, au-delà du fait que nous venons certes avec des préjugés véhiculés par les médias internationaux ; nous sommes les premiers à défendre le Maroc dans nos pays respectifs.
Le Maroc se veut d’abord être un pays de transit. Il serait plus profitable de mettre les étrangers à profit dans la mesure du possible, que de les considérer comme une gêne dont il faut se débarrasser.
Est-ce que, d’après vous, la communauté des migrants subsahariens au Maroc peut-elle même contribuer à améliorer sa condition, par exemple en se structurant autour de représentants comme des associations qui pourraient faire parvenir les doléances aux élus ?
Il existe des structures et associations, structurées et représentatives, qui existent depuis plusieurs années qui essaient tant bien que mal de faciliter la cohabitation et l’accueil des migrants.
La question étant est-ce que ces élus ont la volonté de rencontrer ces structures déjà en place, pour discuter et voir dans quelles mesures favoriser l’intégration.
Les décisions sont prises sans les concernés, et les associations sont juste utilisées comme des points de relais informatifs pour faire passer des décisions déjà prises sans leur contribution.
Entretien réalisé par Asmâa Loudni