
Le Maroc accueille cette semaine deux événements majeurs, concomitants et stratégiquement liés. D’une part, après deux années d’absence suite à la pandémie, le Salon Halieutis, grande messe du secteur de la pêche, se tient à Agadir pour une 6ème édition qui se veut ambitieuse et dont l’Espagne est l’invité d’honneur. D’autre part, le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, accompagné d’une forte délégation ministérielle et d’acteurs économiques, assiste à la réunion de haut niveau entre le Maroc et l’Espagne, avec un agenda qui promet une collaboration croissante et inédite entre les deux pays pour les années à venir.
De fait, ces deux événements sont stratégiques pour le Maroc. D’un point de vue économique d’abord, l’Espagne a une place de poids vis-à-vis du Maroc avec 10 milliards d’euros d’exportations espagnoles en 2022 quand le Maroc exporte près de 6 milliards. C’est aussi notre principal partenaire de pêche pour un secteur qui pèse 2,5% de notre PIB national. Mais, la coopération économique qui est au beau fixe aujourd’hui, est sous-jacente à des intérêts et des enjeux politiques d’autant plus stratégiques pour les deux pays.
Ainsi, tout le monde garde à l’esprit le froid glacial qui a caractérisé les relations bilatérales entre les deux Royaumes ces dernières années, notamment sur le plan diplomatique. Les bonnes intentions économiques qui sont affichées des deux côtés, sont la conséquence directe du rétablissement complet de l’entente historique et profonde qui lie les deux rives de la méditerranée marocaine et espagnole.
Autre épée de Damoclès, l’immigration illégale en provenance d’Afrique vers l’Europe et dont la route migratoire espagnole est une des plus empruntées. Sur ce volet, le Maroc a rempli sa part du contrat puisque les chiffres officiels espagnols révèlent que le nombre de migrants en provenance du Maroc a baissé respectivement de 30% pour les Canaries et de 20% pour la côte méditerranéenne espagnole. Une politique qui a un coût économique et politique pour le Maroc, mais aussi social, comme en témoignent les camps de migrants qui pullulent désormais à Casablanca notamment.
Il est nécessaire également de relever que le réchauffement des relations bilatérales entre le Maroc et l’Espagne n’est pas forcément accueilli avec autant d’enthousiasme à Paris ou Alger, qu’à Rabat et Madrid. En effet, la situation délétère qui caractérise les relations entre le Maroc et l’Algérie, mais aussi le brouillard profond dans lequel semble perdue l’entente entre le Maroc et la France, sont au mieux une opportunité à saisir pour l’Espagne, qui lorgne notamment sur les contrats publics pour les entreprises espagnoles, au pire un risque d’accentuation du ressentiment envers le Maroc.
Car, ce qui se joue également sur l’échiquier régional, c’est le rôle et la place des puissances européennes que sont la France et l’Espagne en Afrique. Qui aura la préséance économique sur la région, qui profitera des réseaux marocains désormais fortement déployés en Afrique, ou par ailleurs des faveurs gazières de l’Algérie voisine, quid des gazoducs africains ? De même que la résolution de la question de la marocanité du Sahara occidental est la ligne rouge, le fil d’ariane de la stratégie marocaine, de sa diplomatie à l’économie, gardons en tête les intérêts stratégiques affichés ou induits de nos partenaires, voisins, alliés.
Zouhair Yata