M. Javier Diaz-Cassou, Économiste principal de la Banque mondiale au Maroc
Dans cet entretien exclusif pour l’édition spéciale de La Nouvelle Tribune, M. Javier Diaz-Cassou, économiste principal de la Banque mondiale au Maroc fait notamment le focus sur le dernier rapport de suivi économique du Maroc et sur les conséquences des aléas climatiques sur le développement.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
La Nouvelle Tribune: Pouvez-vous nous parler du dernier rapport de suivi de la situation économique au Maroc?
M. Javier Diaz-Cassou: Le rapport de suivi de l’économie marocaine de la Banque mondiale est publié deux fois par an et présente une structure constante. La première section est consacrée à l’état des lieux de l’économie marocaine, avec une analyse approfondie des tendances récentes. Elle met en évidence des phénomènes conjoncturels tels que la sécheresse, les chocs des prix internationaux et l’inflation dans le secteur de l’énergie et de l’alimentation. Ces sujets sont particulièrement mis en lumière dans le dernier rapport publié en février 2023.
La deuxième section présente les projections macroéconomiques de la Banque mondiale pour le Maroc. Enfin, la troisième section aborde un chapitre spécial traitant d’une thématique d’actualité, qui présente les résultats des recherches à la fois macroéconomiques et sectorielles menées par les équipes de la Banque mondiale. Dans le dernier rapport, l’analyse portait en effet sur la problématique de l’inflation, qui a atteint un taux de 9 à 10 % au Maroc. Des analyses plus détaillées ont été réalisées afin de mieux comprendre l’impact de l’inflation sur les citoyens marocains.
Il a été constaté que chaque catégorie de ménage subit un taux d’inflation différent en fonction de la composition de son panier de consommation et de son niveau de revenu. Il est par ailleurs important de souligner que l’inflation affecte de manière plus significative les ménages les plus modestes, qui ne disposent pas d’épargne pour maintenir leur niveau de consommation malgré la flambée des prix. Cette situation pourrait avoir augmenté l’incidence de la pauvreté. Sachant que l’inflation concerne principalement les denrées alimentaires, qui représentent plus de 50 % de la dépense des ménages les plus pauvres, il est essentiel d’améliorer le fonctionnement des marchés alimentaires et d’assurer que les différences entre les prix chargés par les producteurs et les prix payés par les consommateurs de ces denrées reflètent une véritable valeur ajoutée tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
En somme, le rapport met en avant les éléments que nous venons de discuter afin de fournir un aperçu complet de l’économie marocaine et d’orienter les politiques publiques et actions nécessaires pour répondre aux défis et opportunités identifiés.
M. Diaz-Cassou, à qui bénéficient vos analyses ? Avec quelles parties prenantes sont-elles partagées ?
Ces rapports d’analyses indépendants sont d’une grande importance pour nous, mais ils sont également destinés à alimenter le débat public sur des questions pertinentes. De plus, ils sont réalisés en consultation avec les autorités du pays. Comme je l’ai mentionné précédemment, ces rapports visent à analyser des sujets cruciaux liés au développement économique et à la performance de l’économie marocaine.
Ne considérez-vous pas que l’économie marocaine est fortement affectée par les aléas climatiques qui impactent son secteur agricole ? Quelles stratégies pensez-vous que le Maroc puisse mettre en place pour surmonter cette dichotomie économique ?
En octobre 2022, nous avons publié un rapport intitulé «Climat et Développement» (CCDR), qui aborde une question d’une grande importance pour la Banque mondiale. Bien que de nombreuses analyses se concentrent soit sur le changement climatique, soit sur le développement économique, peu d’entre elles établissent un lien entre les deux thématiques. Notre rapport s’est donc efforcé de répondre à la question suivante: Quels sont les impacts du changement climatique sur le développement économique?
Nous nous sommes notamment penchés sur la dépendance de l’agriculture marocaine aux précipitations. Bien que le secteur agricole ne représente que 11 % du PIB du Maroc, un tiers de la population active travaille dans les zones rurales. Ainsi, le PIB non agricole représente 89 à 90 % de l’économie, mais les fluctuations annuelles du secteur agricole sont préjudiciables. En effet, le PIB agricole connaît des variations très importantes d’une année à l’autre, essentiellement reliées à l’évolution de la pluviométrie.
Ces fluctuations significatives ont un impact considérable sur le secteur agricole et influencent le comportement macroéconomique du Maroc, limitant la croissance économique et affectant les revenus les plus bas. Il est impossible d’aborder la question du développement au Maroc sans commencer par le monde rural, où les défis à relever restent majeurs. Ce rapport a mis l’accent sur trois axes majeurs : la décarbonation de l’économie, la rareté de l’eau et la gestion des risques de désastres naturels.
Pour conclure, pourriez-vous partager avec nos lecteurs votre analyse des agrégats macroéconomiques du Maroc ?
Nous sommes actuellement engagés dans un projet majeur d’examen des finances publiques du Maroc, à la demande du Ministère de l’économie et des finances, qui souhaite expérimenter cette approche dans le pays. Notre objectif principal est d’identifier des options pour dégager des marges de manœuvre budgétaire du Royaume, qui se sont réduites, en particulier après la crise sanitaire de la COVID-19 et les récents chocs.
Nos études visent à identifier des possibilités de dégager ces marges de manœuvre budgétaires sans compromettre les grands programmes de réforme en cours, notamment dans le chantier de la santé et de la protection sociale. Nous accordons une attention particulière à la situation consolidée du secteur public marocain : en effet, les données sont disponibles et la transparence est élevée au niveau du budget central du gouvernement.