Mme Amal Idrissi, DG de l’OMTPME
L’Observatoire Marocain de la TPME, qui a vu le jour en 2016, à travers ses missions de collectes de données et de reporting, amène une transparence longtemps attendue dans le secteur des TPME. Mme Amal Idrissi, DG de l’OMTPME, nous apporte plus de détails sur l’Observatoire et ses réalisations dans cet entretien.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
La Nouvelle Tribune : Mme Idrissi, vous dirigez l’Observatoire de la TPME, pouvez-vous retracer pour nos lecteurs la genèse de cette initiative ?
En l’absence de statistiques fiables et actualisées permettant une meilleure connaissance du segment de la TPME au niveau régional et sectoriel, et permettant notamment aux pouvoirs publics et aux acteurs économiques de prendre des décisions en termes de stratégies d’appui et de mesurer l’impact des politiques de support au développement des TPME, une réflexion a été lancée à l’initiative de Bank Al-Maghrib pour créer une structure visant à fournir des informations fiables et à valeur ajoutée sur les TPME. C’est ainsi que Bank al Maghrib s’est attelé à sensibiliser les différents décideurs de l’intérêt d’adhérer à cette vision globale et consolidée qui nécessite l’investissement et la coopération de toutes les parties prenantes, notamment les administrations productrices de données sur le comportement économique et financier de l’entreprise.
C’est ainsi que l’Observatoire dispose d’un tour de table qui comporte pratiquement tous les acteurs du développement de l’entreprise, soit Bank Al-Maghrib, le ministère de l’Economie et des Finances, représenté par la Direction Générale des Impôts et la Direction des Etudes et des Prévisions Financières, le ministère de l’Industrie et du Commerce, le HCP, la CNSS, l’OMPIC, Tamwilcom, Maroc PME, le GPBM et la CGEM. Dernièrement, deux ministères nous ont rejoint, il s’agit du ministère de la Transition Numérique et de la Réforme de l’Administration et le ministère de l’Inclusion Economique, de la Petite Entreprise, de l’Emploi et des Compétences.
Entre 2013 et 2016, l’Observatoire Marocain de la TPME en « mode projet » et piloté directement par Bank Al-Maghrib, a entamé des études qui ont abouti à la structuration de l’Observatoire en termes de Plan stratégique, Plan opérationnel et Modèle économique.
L’année 2016 a été marquée par la tenue du 1er Conseil d’Administration qui a été le point de démarrage de l’opérationnalisation effective de l’Observatoire qui s’est mué, depuis sa création, en institution viable et indépendante, dotée d’une gouvernance, d’un budget de fonctionnement et d’un plan stratégique.
Par ailleurs, la création de l’OMTPME est une composante structurante de l’action de Bank Al-Maghrib en faveur de l’inclusion financière. En effet, Bank Al Maghrib s’est engagé au niveau international notamment auprès de l’Alliance pour la Finance Inclusive à mettre en place l’Observatoire de la TPME comme entité contribuant à faciliter l’accès au financement de ce segment d’entreprises grâce à une exploitation approfondie et optimisée de leurs données démographiques, économiques et financières. Une préoccupation informationnelle exprimée également par d’autres institutions internationales.
L’AFI est une organisation mondiale d’inclusion financière ayant pour mission d’encourager l’intégration dans les systèmes financiers, des populations précaires, en particulier les jeunes, les femmes, et les TPME dans les pays émergents et en développement. D’ailleurs, l’Observatoire participe aux travaux du groupe de travail sur la TPME « Small and Medium Enterprise Finance Working Group » regroupant plus de 40 pays en tant que leader sur la thématique de la data et nouvelles technologies.
Et donc, quel a été l’objectif de la création de l’OMTPME ?
La croissance des TPME comme vecteur de la création d’emploi et des richesses se situe, au Maroc comme dans d’autres pays, au centre des débats depuis plusieurs décennies. Ces débats, qui se poursuivent aujourd’hui, portent de manière générale sur les questions relatives à la naissance, au développement et à la mortalité des entreprises.
La réponse à ces questions nécessite des analyses approfondies de niveau microéconomique, basées sur un dispositif informationnel, fiable et exhaustif, afin d’appréhender les caractéristiques de base des entreprises et les facteurs qui contribuent à leur croissance ou freinent leur développement.
Au Maroc, si plusieurs institutions nationales disposent de bases de données sur les entreprises répondant à des besoins de gestions interne, il n’existait pas jusqu’à la création de l’observatoire, de système permettant de consolider et de qualifier ces données à des fins d’analyses multidimensionnelles et temporelles. L’Observatoire est venu remédier tout d’abord à l’inexistence, dans notre pays, d’un tel système.
De plus, la création de l’Observatoire répond au besoin d’un diagnostic profond du tissu productif marocain à travers des indicateurs fiables et des analyses afin d’appréhender le profil et le comportement des entreprises.
La création d’un observatoire dédié à la TPME rentre dans le cadre du soutien de la croissance et du développement des TPME et ce, avec comme objectif de garantir un meilleur ciblage et une meilleure efficacité des politiques publiques dédiées à cet effet.
Mme Idrissi, ce travail d’unification des données est-il une première étape de la création de l’OMTPME ou un préalable ?
L’Observatoire a dû relever plusieurs défis pour jeter les premières bases fondatrices d’un dispositif informationnel unifié sur le tissu productif. En effet, l’opérationnalisation de l’Observatoire s’est articulée autour de chantiers structurants, tout d’abord l’échange de données avec les producteurs de l’information sur la TPME, sur la base de conventions d’échange de données. C’est ainsi qu’en 2017, on a signé des conventions avec la DGI, la CNSS, Bank Al-Maghrib, l’OMPIC et le ministère de l’Industrie et du Commerce.
Le défi majeur a été de proposer une démarche méthodologique de traitement et de fusion des bases de données transmises afin d’obtenir une base de données centralisée de bonne qualité et avec des marges d’erreurs acceptables en dépit des difficultés techniques, dont notamment l’absence d’une clé commune d’identification engendrant une complexité dans les opérations de croisement et de fusion des bases de données, l’ICE étant en cours d’implémentation, l’utilisation de référentiels non standardisés, propres à chaque administration et l’utilisation de deux nomenclatures dans la codification de l’activité, etc.
La démarche proposée par l’Observatoire se base sur des soubassements statistiques et mathématiques selon un protocole rigoureux. Il convient de mentionner que les travaux de qualification des données effectués s’articulent autour du recensement, de la fiabilisation et de l’enrichissement de la population des entreprises selon le caractère actif de l’entreprise et son unicité dans la base, en utilisant des techniques de data science.
Le travail effectué est novateur, dans le sens où c’est la première fois que l’on construit une base de données centralisée à partir de la fusion de sources multiples provenant des différentes administrations en charge de la TPME. L’amélioration notable de la qualité est inhérente aux processus appliqués.
Quels sont les principaux résultats obtenus grâce au travail de recensement des données réalisé par l’Observatoire que vous dirigez ? quels sont les principaux agrégats qui caractérisent les TPME ?
L’Observatoire a recensé un effectif de près de 600.000 entreprises actives au niveau de sa base consolidée constituée à partir des données fournies par Bank Al-Maghrib, la DGI, la CNSS et l’OMPIC, en plus de 300.000 auto-entrepreneurs. “Active” veut dire que l’entreprise a déposé une déclaration du résultat fiscal au niveau de la DGI, ou a déclaré au moins un salarié auprès de la CNSS, ou a déposé des états de synthèse auprès de l’OMPIC au cours de l’année étudiée. Je donne ces précisions pour comprendre que dans les analyses, nous ne prenons en compte que les unités de productions qui ont réellement participé à l’économie, de plus nous éliminons tous les doublons qui pourraient induire des biais dans les calculs.
Les principales conclusions de la troisième édition du rapport annuel de l’Observatoire montrent que le tissu productif est toujours très fragmenté, 99,6% des entreprises sont des TPME et le chiffre d’affaires de 95% des entreprises ne dépasse pas 10 millions de dirhams.
On peut retenir aussi une contribution modeste des TPME à l’économie marocaine, vu qu’elles n’ont réalisé à fin 2020 que 41% du chiffre d’affaires global, 26% du chiffre d’affaires à l’export et 35% de la valeur ajoutée globale (en excluant les TPME du secteur des activités financières et d’assurance, du fait de sa particularité), et ceci en dépit de leur majorité écrasante dans le tissu productif. En revanche, elles sont les principales pourvoyeuses de l’emploi, avec une part de 74% de l’effectif déclaré à la CNSS ; d’où leur importance dans le paysage économique marocain.
Par ailleurs, la répartition géographique montre que les TPME restent concentrées à hauteur de 65% sur l’axe Tanger-El Jadida, avec une prépondérance dans la région de Casablanca qui recense 39% de l’effectif total. 53% des TPME opèrent dans des activités peu consommatrices de ressources financières dont 30% opèrent dans le commerce et 23% dans la construction.
Les TPME étaient vulnérables bien avant la crise, leurs marges de liquidité et de solvabilité étaient limitées. De plus, elles exerçaient dans les branches les plus affectées par cette crise, à savoir l’hébergement et la restauration, le commerce et les transports. Toutefois, les dégâts de la crise ont pu être limités vraisemblablement grâce aux mesures prises par le gouvernement et Bank Al-Maghrib.
20.560 entreprises ont enregistré une dégradation au niveau de la catégorie de chiffre d’affaires en 2020. Ainsi, 200 grandes entreprises sont devenues des PME, 3.880 PME des TPE ou microentreprises et 6.680 TPE des microentreprises. En plus, 9.800 microentreprises ont vu leur chiffre d’affaires baisser d’un montant situé entre 1 et 3 millions de dirhams à un niveau inférieur.
A fin 2021, près de 40 800 entreprises, comptant près de 200.000 salariés, dont majoritairement des micro-entreprises, ne sont plus déclarantes en 2021 par rapport à 2019.
Dans le détail à quelle segmentation l’Observatoire est-il arrivé ?
Comme déjà expliqué, l’Observatoire traite l’exhaustivité des bases de données qu’il reçoit, ce qui permet de diminuer les marges d’erreur comparativement à l’utilisation d’échantillons ou d’enquêtes et permet donc une description du tissu productif du Maroc avec le moins de biais possible. Il faut noter aussi que les travaux de l’Observatoire permettent d’avancer vers des référentiels unifiés, de s’assurer du caractère actif de l’entreprise et d’améliorer de manière significative la qualité de l’information.
Afin de capitaliser sur ses travaux de fiabilisation, l’Observatoire a mis en place un processus de restitution des données aux principaux fournisseurs. Ainsi, le fichier reçu en input est restitué au fournisseur de données concerné après son traitement, sa fiabilisation et son enrichissement.
Mme Idrissi, quelles sont les sélections d’entreprises réalisées par l’Observatoire à ce jour ?
Au sujet de la définition de la TPME, l’Observatoire a réalisé une enquête qui a été déployée auprès de 40 pays membres de l’Alliance pour la Finance Inclusive ayant des économies similaires à celles du Maroc, et dont l’objectif est d’explorer les critères utilisés, le contexte de la mise en œuvre de la définition de la TPME, ses objectifs ainsi que ses avantages et ses inconvénients.
De plus, l’Observatoire a examiné les différentes définitions au niveau national (Maroc PME, HCP, définition des banques) et s’est aligné sur la définition de Bank Al-Maghrib qui est une définition macroprudentielle, tout en l’adaptant.
Les résultats de ce benchmark ont été publiés dans la première édition du rapport annuel de l’Observatoire et ont été exploités pour définir la TPME.
Mme Idrissi, au-delà de l’aspect statistique, les travaux de l’Observatoire ont-ils pu apporter des informations sur l’importance du poids économique des TPME, leur santé financière, leur gouvernance ?
À partir des données collectées auprès des différentes sources et de leur traitement, et suite à plusieurs benchmarks et réunions des groupes de travail constitués de l’OMTPME et de ses partenaires fournisseurs des données, nous avons réalisé une cartographie de plus de 40 indicateurs couvrant plusieurs dimensions notamment : démographique, économique, financière et accès au financement. Il faut savoir qu’un indicateur n’est publié que s’il atteint un certain degré de fiabilité et que sa marge d’erreur est statistiquement acceptable.
Par ailleurs, on travaille sur la granularité de l’indicateur qui peut avoir plusieurs niveaux. Par exemple dans les rapports régionaux publiés en 2022, nous avons affiné nos analyses sur la région, en allant vers la province, la ville et jusqu’à la commune, pour voir ce qui s’y passe réellement. C’est ce que nous faisons aussi pour l’activité de l’entreprise dans le cahier sectoriel publié en 2022, en analysant la branche ; la sous-branche et l’activité.
Mme Idrissi quelles sont les conclusions que vous aimeriez partager avec nous ?
La révolution numérique que connaît le monde est une formidable opportunité que l’on doit saisir pour inventer des services innovants et rendre l’économie plus dynamique, plus inclusive et transformer l’action publique. Cette révolution numérique facilite la production, la diffusion et le traitement des données de masse. La donnée est devenue un actif stratégique qu’il faut analyser pour mieux quantifier les problématiques liées à la TPME et pour mieux dimensionner les solutions qui leur sont adressées.
L’Observatoire a inscrit son action dans cette dynamique, notre recommandation donc est que les pouvoirs publics, les investisseurs et les entreprises intègrent au maximum dans leurs palettes d’outils, les statistiques, les indicateurs et les analyses fournis par l’Observatoire, pour définir des stratégies et des politiques plus en adéquation avec la réalité économique.