Une photo prise le 8 janvier 2016 montre de la fumée s'échappant du terminal pétrolier Al-Sidra dans l'est de la la Libye, après l'extinction d'un incendie © AFP/Archives STRINGER
Les nouvelles violences dans le croissant pétrolier, poumon de l’économie en Libye, risquent de compliquer davantage les efforts en vue d’un règlement du conflit dans ce pays et illustrent une fois de plus les divisions profondes le minant.
Jeudi, des groupes armés dirigés par un chef militaire Ibrahim Jadhran ont attaqué deux sites pétroliers dans cette région du nord-est libyen, sous contrôle de l’Armée nationale libyenne (ANL), une force autoproclamée et dirigée par le maréchal Khalifa Haftar.
Depuis, des combats intermittents opposent les deux camps autour des terminaux de Ras Lanouf et al-Sedra, provoquant des « pertes catastrophiques », selon la Compagnie nationale de pétrole (NOC).
La Libye est meurtrie par les luttes d’influence et les violences entre groupes armés rivaux depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. D’un côté, il y a un gouvernement d’union nationale, basé à Tripoli et reconnu par l’ONU, de l’autre Khalifa Haftar, 75 ans, qui jouit du soutien des autorités parallèles dans l’est du pays.
M. Jadhran, 35 ans, dont la tribu d’Al-Magharba est historiquement basée dans la région du Croissant pétrolier, a régulièrement défié les autorités de transition depuis la révolte populaire de 2011.
Alors qu’il commandait les Gardes des installations pétrolières (GIP) chargés de la sécurité du Croissant pétrolier, il avait réussi à bloquer les exportations de pétrole depuis cette région pendant deux ans avant d’en être chassé par l’ANL en 2016.
Dans une vidéo postée jeudi sur les réseaux sociaux, il a annoncé son intention de vouloir retourner dans les terres de sa tribu.
– ‘Enjeux élevés’ –
Malgré son absence de la scène depuis 2016, M. Jadhran « n’a jamais renoncé. Les enjeux sont trop élevés car ils signifient le contrôle de la Cyrénaïque (partie orientale de la Libye) et de son pétrole », a indiqué Federica Saini Fasanotti, de l’institut Brookings à Washington.
Des sources proches de l’ANL ont fait état d’une alliance entre M. Jadhran et les « Brigades de défense de Benghazi », formées de combattants islamistes chassés de la cité de Benghazi (est) par les pro-Haftar.
Pour des analystes, le « sentiment d’injustice » nourri par les pro-Haftar qui accusent pêle-mêle tous leurs opposants de terrorisme, a favorisé une telle alliance.
L’ANL affirme, elle, que l’attaque contre les sites pétroliers visait à « alléger la pression sur les terroristes à Derna », ville située plus à l’est où les forces loyales au maréchal Haftar mènent une offensive pour chasser jihadistes et islamistes.
Pour Tarek el-Jerouchi, député pro-Haftar, « l’attaque a été planifiée par les services de renseignements d’Etats (…) qui n’ont pas vu d’un bon œil les conclusions de la réunion de Paris ».
Fin mai, le président français Emmanuel Macron a réuni les principaux protagonistes de la crise libyenne dont le général Haftar et le chef du GNA, Fayez al-Sarraj, qui ont endossé une déclaration sur l’organisation d’élections législatives et présidentielle le 10 décembre.
Mais les experts estiment que la fragmentation du pays rend de tels engagements fragiles.
– ‘Réalité libyenne’ –
« Ceux qui tirent profit (du chaos en Libye) attaquent toujours les ressources du peuple libyen dès qu’on parle d’élections », a indiqué de son côté le député Abdessalam Nassiyah.
En Libye, « il y a deux réalités distinctes. Celle qui prend forme dans les conférences internationales et les coulisses des grands palais(…) et ce qui se passe réellement sur le terrain », a estimé Federica Saini Fasanotti.
Preuve de la complexité de la donne libyenne: le GNA avait condamné dès le premier jour l’attaque contre les installations pétrolières estimant que « cette escalade irresponsable pousse le pays vers une guerre civile ». Une condamnation qui n’a pas empêché les pro-Haftar d’accuser le GNA d’être derrière l’offensive.
Quoiqu’il en soit, la reprise des combats près des terminaux pétroliers déjà endommagés par des violences similaires en 2016 et 2017, porte un nouveau coup dur à une économie en lambeaux, aggravant le calvaire des Libyens qui font face à des pénuries et des hausses des prix sans précédent.
C’est un « revers dangereux pour le secteur pétrolier », a déploré l’expert en pétrole, Saad al-Fessi.
La NOC a annoncé la semaine dernière l’arrêt des exportations depuis les deux terminaux attaqués. Son chef, Moustafa Sanallah, a déploré mercredi une réduction de la production de 450.000 barils/jour.
La Libye produisait 1,6 million de bj avant 2011. La production avait été divisée par cinq depuis, avant de dépasser un million de bj fin 2017.
LNT avec Afp