Hassan Boulaknadal, Directeur de l'Office des changes
Entretien avec M. Hassan Boulaknadal, Directeur général de l’Office des Changes
La Nouvelle Tribune :
M. Boulaknadal, l’Office des Changes que vous dirigez a publié le 25 décembre dernier, la circulaire relative à la régularisation des avoirs et liquidités détenus à l’étranger, qui s’adresse aux personnes physiques et morales de nationalité et résidence marocaines, mais aussi à ceux bénéficiant d’une double nationalité détenant des biens immeubles, actifs financiers, avoirs liquides ou véhicules d’investissements, ce sont là les mêmes modalités que pour la circulaire de 2014 ou y-a-t-il eu un élargissement ?
M. Hassan Boulaknadal :
Tout d’abord, il est toujours utile de rappeler que cette régularisation a été instituée par l’article 8 de la loi de Finances n° 70-19 pour l’année 2020. Elle concerne la régularisation spontanée au titre des avoirs et liquidités détenus à l’étranger avant le 30 septembre 2019, en infraction à la réglementation des changes et à la législation fiscale, par les personnes physiques et morales ayant une résidence, un siège social ou un domicile fiscal au Maroc.
La circulaire dont vous parlez, à savoir la n°1/2020 du 25 décembre 2019, a été publiée par l’Office des Changes pour fixer les modalités de mise en œuvre des dispositions de l’article 8 susvisé. Il s’agit là des mêmes modalités de l’opération de 2014.
Néanmoins, la présente circulaire a précisé que « sont également concernées les personnes physiques marocaines résidentes au Maroc disposant de nationalité étrangère ». Il ne s’agit là que d’une précision, d’un rappel. En effet, lesdites personnes ont été concernées par la première opération au même titre que par l’actuelle.
Une seconde circulaire, n°2/2020 a été publiée à la même date que la première, elle a pour objet la définition des modalités de gestion des comptes bancaires et des avoirs et liquidités détenus à l’étranger. Comme vous l’avez constaté, on a gardé les mêmes modalités et le même mode opératoire et ce, dans le but de faciliter la tâche tant aux banques qu’aux déclarants. Ceci se justifie également par les résultats concluants de la première opération.
Néanmoins, l’Office des Changes a accordé davantage de facilités, qui n’étaient pas prévues par l’ancienne opération, à savoir :
– la possibilité de créditer les comptes en devises ou en dirhams convertibles de 100%, au lieu de 75% seulement, des revenus, du produit de cession ou de liquidation des biens immeubles et actifs financiers déclarés dans le cadre de la « régularisation des avoirs et liquidités détenus à l’étranger » ou acquis à l’étranger par débit de ces comptes ;
– la généralisation de la possibilité de transmission par voie successorale ou par donation à tous les avoirs déclarés dans le cadre de la « régularisation des avoirs et liquidités détenus à l’étranger » ; sachant que, lors de la première opération, cet avantage se limitait aux disponibilités des comptes en devises ou en dirhams ;
– la possibilité de faire des actes de disposition sur les avoirs détenus dans le cadre de cette opération, qui se traduisent par des opérations de cession, liquidation ou modification de la consistance de ces avoir et ce, sans l’accord préalable de l’Office des Changes.
En quoi cet appel à la régularisation des avoirs à l’extérieur est-il libératoire pour les personnes physiques et morales ? Fera-t-il par exemple objet de confidentialité vis-à-vis du fisc sachant qu’il passe par l’ouverture de comptes nominatifs en devises ?
Tout d’abord, l’article 8 susvisé prévoit que le paiement de la contribution libératoire libère la personne concernée du paiement des pénalités relatives aux infractions à la réglementation des changes et du paiement de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés ainsi que les amendes, pénalités et majorations y afférentes au titre des sanctions pour infraction aux obligations de déclaration, de versement et de paiement prévues par le code général des impôts.
En plus, il ne peut y avoir aucune poursuite administrative ou judiciaire à l’encontre des personnes concernées que ce soit en matière de réglementation des changes ou en matière de la législation fiscale sur l’ensemble des avoirs déclarés.
Par ailleurs, cette opération est basée sur le principe de l’anonymat : le même article stipule que les personnes concernées bénéficient de la garantie de l’anonymat couvrant l’ensemble des opérations effectuées durant la période de cette régularisation.
Au fait, comme pour la première opération, les banques ne sont tenues de communiquer à l’Office des Changes que le numéro de la déclaration et non l’identité des déclarants lors de la transmission des comptes rendus relatifs à la gestion des avoirs et liquidités objet de la régularisation spontanée, y compris pour les comptes bancaires.
Dans quelle mesure les comptes en devises créés dans le cadre de cette régularisation des avoirs et liquidités à l’étranger, pourraient-ils recevoir des dépôts ultérieurs des déclarants, en d’autres termes pourraient–ils être ré-alimentés ultérieurement ? Et est-ce que les cartes de crédits internationales fournies par les banques sont utilisables sur tous les continents ?
Le fonctionnement des comptes ouverts dans le cadre de cette opération est défini par la circulaire n° 2/2020, qui traite de la « régularisation des avoirs et liquidités détenus à l’étranger », prévue tant par les dispositions de l’article 8 de la loi de finances n° 70-19 pour l’année 2020 que par celles de l’article 4ter de la loi de finances n° 110-13 pour l’année 2014.
En principe, le compte est alimenté au départ d’au plus 75% des avoirs liquides en provenance des comptes bancaires ouverts à l’étranger et déclarés dans le cadre de cette opération. Il peut être alimenté ultérieurement par :
– les virements en provenance des comptes ouverts au nom du même déclarant dans le cadre de la « régularisation des avoirs et liquidités détenus à l’étranger » ;
– les revenus et produits de cession ou de liquidation des biens immeubles et actifs financiers déclarés dans le cadre de la « régularisation des avoirs et liquidités détenus à l’étranger » ou acquis à l’étranger par débit des comptes prévus par la présente circulaire ;
– les revenus et produits de cession des actifs financiers acquis sur un marché réglementé au Maroc et les remboursements au titre d’une assurance vie souscrite au Maroc et financés par débit des comptes en devises ou en dirhams convertibles ouverts au Maroc ;
– le produit de cession ou de liquidation de tout autre investissement réalisé au Maroc par débit des comptes en devises ou en dirhams convertibles ouverts au Maroc et ce, dans la limite du montant initialement investi ;
– les virements reçus au titre des remboursements de la détaxe, relatifs aux marchandises importées et déclarées à l’Administration des Douanes et Impôts Indirects conformément aux dispositions réglementaires en vigueur ;
– les intérêts produits par les sommes déposées dans le compte.
Quant à la question de savoir est-ce que les cartes de crédits internationales fournies par les banques sont utilisables sur tous les continents, je vous affirme que l’Office des Changes a autorisé les banques à délivrer aux titulaires de ces comptes des cartes de paiement internationales. En principe ces cartes sont utilisables de par le monde.
Selon les échos que nous avons recueillis, certaines personnes concernées expriment une grande crainte sur la libéralisation des changes à venir pour leur permettre de vivre de leurs avoirs à l’étranger en fonction de leurs moyens.
Car après avoir participé à cette opération de nettoyage des fuites de capitaux, ils n’en auront manifestement plus les moyens, que leur répondrez-vous ?
Pour dissiper ces inquiétudes, l’Office des Changes a tenu à publier, dans le cadre de la circulaire 02 /2020 l’ensemble des mesures dont vont bénéficier les déclarants au terme de la période de déclaration.
Ainsi, en dehors des avoirs liquides, les personnes concernées ne sont pas obligées de céder les avoirs détenus à l’étranger, sous quelque forme que ce soit, notamment les biens immeubles et actifs financiers.
Par ailleurs, les comptes en devises ou en dirhams convertibles, alimentés conformément à la circulaire, peuvent être débités pour financer des investissements à l’étranger ou au Maroc, pour des règlements au titre des frais de gestion des biens immeubles et actifs financiers détenus à l’étranger, des règlements au titre des échéances de crédits ayant servi au financement des biens immeubles…et surtout pour tout règlement à destination de l’étranger dans le cadre d’opérations courantes.
En plus, les personnes qui détiennent des actifs financiers et/ou des biens immeubles, dans le cadre de la « régularisation des avoirs et liquidités détenus à l’étranger », sont autorisées à ouvrir ou à maintenir ouverts des comptes à l’étranger destinés exclusivement à la gestion de ces avoirs. Les disponibilités logées dans ces comptes et n’ayant pas fait l’objet de réinvestissement à l’étranger dans un délai de trois mois, doivent être rapatriées au Maroc.
Mieux encore, les banques sont autorisées à effectuer, pour le compte des personnes détenant des biens immeubles dans le cadre de la « régularisation des avoirs et liquidités détenus à l’étranger » et ne disposant pas de comptes en devises ou en dirhams convertibles ou dont les disponibilités sont insuffisantes, les transferts au titre des frais de gestion des biens immeubles, dans la limite de 5% de la valeur déclarée, ainsi que des échéances des crédits contractés auprès d’organismes financiers à l’étranger avant le 30 septembre 2019.
L’ensemble de ces mesures s’inscrit dans une politique de facilitation et d’assouplissement que prône l’Office des Changes.
Pourquoi, la circulaire de l’Office des Changes ne se réfère-telle pas aux accords du Maroc avec l’OCDE, Organisation de Coopération Internationale d’Etudes Economiques ou plus exactement le programme MENA –OCDE, pour la gouvernance et la compétitivité à l’appui du développement et aux conséquences qu’ils impliquent en matière d’obligations de partages d’informations financières ? N’est-ce pas une contrainte qui s’impose à tous ?
Les circulaires de l’Office des Changes ont pour objet de fixer les modalités de mise en œuvre des dispositions de l’article 8 de la loi de Finances de l’année 2020 et les modalités de gestion des comptes bancaires et des avoirs détenus dans le cadre de cette opération.
L’Accord multilatéral pour l’échange automatique de renseignements financiers entre les pays de l’OCDE, signé par le Maroc, le 25 juin 2019, demeure un accord qui concerne l’échange de données. Il n’est donc pas opportun d’y faire référence dans les circulaires de l’Office des Changes.
Néanmoins, lors des actions de communication, l’Office des Changes ne cesse de rappeler aux personnes concernées que les retombées de la signature dudit accord et que la présente opération est une dernière aubaine offerte aux personnes concernées pour déclarer leurs avoirs et détenus à l’étranger et régulariser leur situation pour être conformes à la réglementation des changes et à la législation fiscale.
L’Office des Changes compte-t-il communiquer pour expliquer le pourquoi et le comment de cette circulaire afin d’informer le grand public ou celui-ci n’est-il pas concerné vu la cible restreinte des destinataires de telles dispositions ? Adresseriez-vous un rappel particulier aux déclarants de 2014 ?
Tout d’abord, nous n’adressons aucun rappel aux déclarants de 2014 pour la simple raison que nous ne les connaissons pas (l’anonymat des déclarants a été respectée à 100%).
Par ailleurs, dans son effort de vulgarisation des dispositions légales et réglementaires, l’Office des Changes a mis en place une cellule dédiée à cette opération comme il a élaboré un plan Com à cette occasion.
Les circulaires, récemment publiées ont été préparées de concert avec le système bancaire, qui demeure notre partenaire stratégique en matière d’application de la réglementation des changes. Nous avons amplement travaillé, ensemble, sur le retour d’expérience de la première opération d’amnistie.
Au chapitre de la communication, le top management et les équipes de la cellule susmentionnée multiplient les rencontres avec les banques, les associations professionnelles et les chambres de commerce étrangères installées au Maroc. Des contacts seront noués avec les banques à l’étranger. Enfin, plusieurs sorties ont été réalisées dans la presse écrite et audiovisuelle.
En outre, les banques ont été invitées à assurer une large diffusion aux dispositions des circulaires en question auprès des personnes concernées.
Au final, une rubrique dédiée à l’opération a été prévue au site Internet de l’Office des Changes sous le lien : https://www.oc.gov.ma/fr/ors-2020
Grâce à cette dernière rubrique, le requérant diverses possibilités pour demander des informations sous couvert de l’anonymat.
Enfin, une capsule vidéo pédagogique a été mise en ligne en arabe dialectal « darija », une manière de vulgariser l’opération. Le but recherché est d’atteindre un large auditoire.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli