Randolph Benzaquen
Je me suis rendu compte au fil des ans que la pratique du surf m’avait influencé dans mon comportement dans la vie de tous les jours.
Cette attitude m’a beaucoup aidé dans d’autres sports et dans la vie en général.
Tout comme une rivière qui coule librement et contourne un obstacle qui se présente sans forcer le passage, la pratique du surf emploie le même procédé, on apprend à suivre le mouvement en souplesse. De toutes façons on ne gagnerait rien à le faire autrement car on ne peut vaincre les éléments ; il vaut mieux suivre les courbes de la vague et si possible utiliser sa puissance comme dans les arts martiaux.
En moto ou en deltaplane, je pense que cela m’a même sauvé la vie. On conçoit les trajectoires les plus sures, les plus saines où l’échappatoire nous ouvre la porte du salut et nous permet ainsi d’éviter la chute. Cette réflexion immédiate devient un véritable instinct de survie.
Une belle vague dure trente secondes et on s’en souvient toute sa vie. On fait partie d’elle, tous les sens en éveil, on la caresse délicatement, on se love dans son ventre. On fait partie du Tout.
Pour chevaucher une vague, on la choisit et on s’engage volontairement dans son creux, creux qui peut nous remplir de plaisir ou nous donner une sacré leçon d’humilité, mais il est rare que l’on regrette cet engagement, on l’a choisi, on l’accepte quel qu’en soit les conséquences. Même chargée de périls, chaque vague est un moment d’intensité. Aucune vague n’est identique à une autre et chacune aura son lot de surprises, d’inconnu et d’aventure. Le surf nous apprend à affronter la vie avec ses plaisirs et ses dangers, ce qui en fait tout le piment. Ensuite, il n’y a plus qu’à l’appliquer au quotidien.
En affrontant la houle, le surfeur est confronté aux aléas du devenir tantôt opportuns qu’il apprend à saisir, tantôt désastreux qu’il lui faut endurer. Malgré les risques, chaque vague représente une occasion de vivre pleinement, tous les soucis sont effacés. On appartient à la vague. Lorsque pris par mes préoccupations, je n’ai pas appliqué cette façon d’agir, très souvent la vague m’a rappelé à l’ordre de façon assez brutale. La vague représente un moment d’éternité qui fait un joli pied de nez à la mort.
Dans l’eau, les conditions peuvent changer en un instant ; il m’est arrivé de renter dans l’eau à marée descendante pour surfer des vagues de deux mètres, à la nouvelle marée les vagues avaient pris en force et avaient près de quatre mètres, même la sortie de l’eau était devenue problématique. Le surf nous apprend à vivre le moment présent car la vague n’attend pas, tout peut évoluer très vite, le vent, la marée, le temps.
J’avais un ami surfeur qui habitait Hawaï, lorsque le surf était exceptionnel et qu’il s’absentait, son patron ne lui demandait même pas la raison de son absence et acceptait ce lien si puissant qui unissait le surfeur et la vague.
Seul, au milieu de l’océan, les idées s’éclaircissent et s’harmonisent.
La nature, la mer et moi-même ne formons plus qu’un et mon esprit se lave de tous les rapports de force que sont les rapports humains.
Grâce à mon fils qui travaille à Agadir dans un hôtel qui recherche cet ‘’esprit surf’’, j’ai retrouvé plus de quarante ans après les même sensations de plénitude.
Pour moi, le surf a toujours été un de mes meilleurs remèdes et m’a toujours aidé à voir la vie sous un plus bel angle.
En 1997, j’ai eu un très grave accident de moto, ma convalescence a duré près de quatre ans ; j’étais complètement immobilisé par des appareils, Pierre Marc, un ami surfeur dans l’âme a eu la bonne idée de me transporter pour voir la mer, allongé dans son break, bordé par des oreillers. La respiration de l’océan me transmettait alors un souffle réparateur. Non rétabli, mais en meilleure condition physique, deux ans après l’accident, aidé par des amis qui me menaient jusqu’à l’eau, je glissais allongé sur ma planche et je peux affirmer que le surf m’a beaucoup aidé à guérir physiquement et moralement. Je n’aurai jamais récupéré de la même manière sans ce sport qui touche le divin.
Loin d’être inconscient, le surfeur est un homme qui apprend avec persévérance et ainsi tente d’apprivoiser la houle, de danser avec elle.
Un des moments les plus intenses du surf est lorsque l’on entre dans un tube, dans le ventre de la vague, on oublie tout. Le monde se concentre dans cette chambre verte, le moment est si puissant que l’on ne pense à rien d’autre. On fait partie de l’océan, on est proche de la perfection. Ce n’est plus un combat mais une fusion avec la vague. Avant de mourir, la vague nous prend dans ses bras et nous offre son dernier adieu, inoubliable. J’ai l’impression qu’elle m’a choisie et me remercie en me faisant cet honneur, elle me gratifie d’un moment d’infini qui me permet d’enter en contact avec le Tout.
Lors d’une session de surf, on tombe, on remonte sur sa planche, on retombe, on remonte sur sa planche et instinctivement on applique cette façon d’être dans les évènements de la vie : On tombe… on se relève c’est tout et on continue à vivre. Tout comme lorsqu’on attend la prochaine vague, on attend la prochaine occasion et peu à peu, on s’aguerrit, on raisonne différemment, on prend du recul par rapport aux circonstances. On apprend à surfer la vie.
Dans les années 1970, j’admirais Gerry Lopez, le dompteur du tube à Pipeline car on sentait qu’il pratiquait ce sport avec une approche différente, beaucoup plus philosophique. Tout comme Laird Hamilton lorsqu’il s’engage à Teahuppo dans un des tubes les plus impressionnants qui soient au monde.
On peut voir le surf comme un sport, mais c’est un sport qui engendre tout un art de vivre.