Décidément, le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi semble être en mauvaise posture. Après des sorties médiatiques ratées avec des déclarations polémiques, mal comprises selon lui, des procès intentés contre des journalistes… l’enfant terrible du Gouvernement Akhannouch continue de faire parler de lui et concentre les critiques de nombreux acteurs associatifs et des professionnels du droit, avocats en tête.
Dans ce contexte, Abdelatif Ouahbi s’apprête à vivre des débats parlementaires agités au Parlement. Son projet de loi n°03.23 modifiant et complétant la loi n°22.01 relative à la procédure pénale, élaboré par son département, ambitionne de renforcer la justice pénale et la modernisation du système juridique national. Pour Ouahbi, ce texte vise la protection des droits et libertés de citoyens, la réalisation de la sécurité publique et la lutte contre la criminalité : « L’adoption de cette loi n’est pas seulement une étape vers la modernisation de notre système juridique, mais elle est l’incarnation de notre volonté politique d’établir une justice forte qui met les droits et la sécurité des citoyens au premier plan et qui figure en tête des priorités… Parmi les principaux développements inclus dans le projet figurent le renforcement des garanties d’un procès équitable et les droits de la défense, la modernisation des mécanismes de justice pénale et garantir leur efficacité, le développement des mécanismes pour lutter contre la criminalité et la protection des droits des victimes à toutes les étapes du procès public ». Le ministre Ouahbi ajoute que parmi les nouveautés de ce texte figurent aussi l’établissement des contrôles juridiques pour la politique pénale, le renforcement de la protection des mineurs et la rationalisation de la détention provisoire.
Néanmoins, nombreux sont les acteurs associatifs et autres militants des droits de l’Homme qui ne sont pas du même avis. Mohamed El Ghalloussi, président de l’Association Marocaine pour la Protection de l’Argent Public, explique que ce Code vient fermer les portes du pouvoir judiciaire à la société civile. Et d’expliquer que l’article 3 du projet de loi complique la plainte publique contre les personnes et les institutions publiques. Pour rappel, cet article stipule que « les enquêtes et l’exercice de l’action publique concernant les crimes portant atteinte aux deniers publics ne peuvent être engagés que sur demande du procureur général près la Cour de cassation en sa qualité de président du ministère public ».
Le même article précise que l’exercice de cette action est effectué « sur la base d’un renvoi de la Cour des comptes, ou sur demande accompagnée d’un rapport de l’Inspection générale des finances, de l’Inspection générale de l’administration territoriale, des inspections générales des ministères ou des administrations concernées, ou sur la base d’un renvoi de l’Instance nationale de probité, de prévention et de lutte contre la corruption ou de tout autre organe expressément habilité par la loi à cet effet ». Al Ghalloussi ajoute que le ministère de la Justice a également prévu dans l’article sept, des procédés qui empêchent toute action civile après le dépôt d’une action publique devant le pouvoir judiciaire en fixant les conditions du litige.
Dans les tribunaux cette fois-ci, le ministre de la Justice toujours estampillé PAM, est invité à agir et à multiplier les efforts pour lutter contre la dégradation dans laquelle est englouti l’écosystème judiciaire du pays. Il est aussi invité à accélérer le processus d’une digitalisation bien réfléchie dans l’espoir de permettre la transparence et l’efficience de la justice.
Avocat très connu des tribunaux du pays, parlementaire, Abdellatif Ouahbi est un produit de la famille de l’extrême gauche marocaine, notamment le parti de l’avant-garde socialiste. Il allait faire surface politiquement dès 2007 après la création du MTD de Fouad Ali El Himma, devenu le Parti Authenticité et Modernité (PAM) en 2008.
Ministre de la Justice depuis 2021, il fait partie de ces hommes et femmes politiques issus de différents partis de la Gauche et des syndicats, ayant rejoint le MTD, comme Ahmed Akhchichine, Salah El Ouadie, Khadija Rouissi, Mustapha Bakkoury, Rachid Talbi Alami, Mohamed Cheikh Biadillah, Hassan Benaddi, Hakim Benchamach…
Des noms qui allaient fortement marquer l’échiquier politique, en tant que principale force de l’opposition durant les deux mandats du PJD. Cette nouvelle force politique créée autour du MTD et du PAM s’est vue également comme l’alternative aux partis traditionnels à savoir l’USFP, le PPS et l’Istiqlal et le PJD devenus, pour différentes raisons, dépassés par les mutations rapides du champ politique national. La grande percée du PAM lors des dernières législatives en dit long.
Reste à savoir si le ministre Ouahbi réussira sa rentrée avec autant de dossiers chauds.
Hassan Zaatit