Des manifestants continuent de se rassembler à Hong Kong contre un projet de loi visant à autoriser les extraditions vers la Chine continentale, le 18 juin 2019 © AFP Anthony WALLACE
Voilà une semaine que le « Parlement » hongkongais est cerné par des dizaines d’irréductibles qui en font le siège jour et nuit sous des abris de fortune, convaincus qu’il ne faut rien lâcher, malgré les victoires arrachées par les manifestants.
L’ex-colonie britannique est depuis le 9 juin le théâtre de manifestations historiques -deux millions de personnes dans les rues dimanche selon les organisateurs- contre un projet de loi visant à autoriser les extraditions vers la Chine continentale.
Face à l’ampleur du mécontentement, et l’émoi provoqué par la violence de la répression policière mercredi dernier, la cheffe de l’exécutif Carrie Lam a annoncé samedi la suspension du texte.
Cette reculade n’a pas suffi à dissuader les protestataires les plus engagés, qui campent autour du Conseil législatif (LegCo), « Parlement » local, comme pour empêcher la chambre contrôlée par un bloc pro-Pékin de voter en douce la légalisation des extraditions.
« Nous sommes désarmés, sous tension, car on ne sait pas ce qui va se passer dans l’heure qui suit », concède « Cam Man », un documentariste de 23 ans, qui refuse comme la plupart des manifestants de donner son identité de crainte de poursuites judiciaires. « La police peut très bien venir et nous dégager. »
Il a passé les six dernières nuits près du LegCo à garder les « réserves » de la contestation, petits auvents abritant le nécessaire du parfait manifestant et qui sont autant de points de ralliement depuis une semaine.
– « Je ne dors pas » –
« La nuit, nous nous sentons menacés car les policiers, parfois, s’approchent. Notre stratégie est de ne pas leur parler pour ne pas leur donner de prétexte à intervenir », explique « Cam Man », qui doit son surnom à la caméra qu’il ne quitte jamais.
« Moi je ne dors pas, ou alors juste deux ou trois heures. Dès que la police approche, je filme. »
Pendant l’interview, un homme s’approche et fait un vacarme assourdissant avec des cymbales. « Cam Man » l’ignore et appelle à ne pas tomber dans le panneau: « chaque jour, des gens essaient de nous provoquer. »
Ces manifestants ont pris ici leurs quartiers le 11 juin, veille du jour où le projet de loi devait être examiné.
Le 12, les députés n’ont pas pu entrer au LegCo, l’examen a été reporté sine die, et le quartier a basculé dans les pires violences politiques vues à Hong Kong depuis le départ des Britanniques en 1997.
Face aux contestataires qui tentaient de « prendre » le Parlement, les policiers ont riposté à coups de gaz lacrymogène, de matraques, de gaz au poivre, de balles en caoutchouc et de « projectiles en sachet » (des sacs remplis de billes en plomb).
Difficile d’imaginer ces scènes de chaos une semaine après tant l’atmosphère semble tranquille dans les campements.
Aucune force de l’ordre en vue. Certains jouent de la guitare, font la sieste sur des cartons ou vaporisent de l’eau sur leurs copains pour lutter contre la chaleur étouffante.
On trouve dans les réserves des bouteilles d’eau, des masques chirurgicaux, des parapluies pour se protéger des gaz lacrymogènes, du sérum physiologique pour les yeux irrités…
– « Les gens tâtonnent » –
« Mais la police est imprévisible. On doit se tenir prêt pour la prochaine manifestation », explique « Joyce », auxiliaire médicale de 40 ans qui avait prodigué des soins aux manifestants indisposés.
« J’essaie de ne pas avoir peur », ajoute en souriant celle qui a choisi son pseudonyme car cela sonne un peu comme « joie », en anglais.
Tous ont les mêmes revendications: l’abandon total et irréversible du projet de loi, la démission de Carrie Lam et l’abandon des poursuites contre les manifestants.
Rester là semble la seule stratégie d’action pour ce mouvement sans leader. Tous considèrent la violence vouée à l’échec mais tous se rappellent aussi que 79 jours d’occupation globalement pacifique des rues de Hong Kong lors du « Mouvement des Parapluies » de 2014 n’avaient rien donné.
« Les gens tâtonnent, et décident au fur et à mesure », explique l’écrivaine Laurie Wen, 48 ans, en mettant ces hésitations sur le compte de la nature unique de Hong Kong du fait du principe « Un pays, deux systèmes » et de la tutelle de Pékin.
« D’un côté, nous avons le droit de manifester et d’occuper sans nous faire tuer. Mais de l’autre nous sommes sous le contrôle indirect d’un régime entre l’autoritarisme et le totalitarisme, un régime très violent qui ne réfléchira pas deux fois avant d’envoyer les chars », explique-t-elle.
Dans les campements, tout est propre, ordonné, bien tenu. Dès le lendemain des violences qui avaient fait 80 blessés, des manifestants étaient revenus sur les lieux pour ramasser les déchets, trier et recycler.
« Nous, on ne brûle pas les voitures et on ne défonce pas les vitrines comme sur les Champs-Elysées », sourit Anna, 26 ans.
LNT avec AFP