M. Abderrahim Chaffai, Président de l'ACAPS
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
La Nouvelle Tribune : L’ACAPS vient de publier son nouveau plan stratégique triennal 2024/2026. Quel bilan faites-vous des deux précédents plans stratégiques de l’Autorité ?
M. Abderrahim Chaffai : Tout d’abord, je voudrais souligner que l’ACAPS s’appuie et capitalise sur les réalisations de ses deux précédents plans stratégiques triennales, tout en prenant en considération les attentes et les besoins des deux secteurs qu’elle supervise ainsi que les enjeux posés par les profondes transformations du paysage économique et social. Ainsi, notre troisième feuille de route vient approfondir et compléter plusieurs grandes initiatives et projets déployés par l’Autorité.
Dans ce cadre, vous n’êtes pas sans savoir que plusieurs chantiers ont été menés depuis la création de l’ACAPS en 2016, dans le but de mettre à niveau le cadre réglementaire qui régit l’activité d’assurance, en vue d’arrimer notre dispositif de régulation et de supervision aux meilleurs standards internationaux. Rappelons à cet égard que la convergence vers les normes internationales a été érigée comme axe central de nos deux plans stratégiques 2018-2020 et 2021-2023.
A cet effet, l’Autorité a mené plusieurs projets réglementaires d’envergure. A titre d’exemple, nous avons travaillé sur la refonte de plusieurs aspects du code des assurances et amendé la circulaire générale prise pour l’application de certaines dispositions de la loi n°17-99 portant code des assurances qui a été publiée le jeudi 21 juillet 2022. Cet amendement introduit, parmi d’autres nouveautés, la promotion de l’assurance inclusive ainsi que la modernisation du secteur des assurances à travers l’élargissement du périmètre de distribution des opérations d’assurances aux établissements de paiement (EDP), en leur permettant de présenter les opérations remplissant les conditions fixées par ladite circulaire.
Je citerai aussi la publication de l’instruction relative à la vente en ligne de produits d’assurance ainsi que le parachèvement de l’intégralité du corpus réglementaire relatif à l’assurance Takaful et l’octroi des premiers agréments aux entreprises d’assurances et de réassurance Takaful.
Dans le domaine de la prévoyance sociale, l’Autorité a œuvré à accompagner les pouvoirs publics en matière de mise à niveau de ce secteur, particulièrement dans le contexte actuel, par la généralisation de la protection sociale. A ce titre, l’Autorité a notamment accompagné le chantier national de généralisation de l’assurance maladie obligatoire « AMO » en se prononçant sur plusieurs textes législatifs et réglementaires y afférents, notamment ceux visant l’extension de la couverture médicale à différentes catégories de travailleurs non-salariés.
Toutes ces avancées ont permis à l’Autorité de consolider son rôle en tant que régulateur et superviseur des deux secteurs stratégiques des Assurances et de la Prévoyance Sociale.
Quels sont les principaux axes du nouveau plan stratégique de l’ACAPS ?
Notre nouveau plan stratégique 2024-2026 repose sur cinq orientations stratégiques, déclinées en plusieurs objectifs et actions prioritaires.
Ainsi, l’ACAPS continuera d’œuvrer activement pour améliorer son cadre de protection des assurés et des bénéficiaires de contrat ainsi que des adhérents et affiliés des organismes de prévoyance sociale. Elle s’engage également à faire évoluer l’organisation et la conduite de marché du secteur des assurances et à veiller à la résilience des acteurs ainsi qu’à la stabilité financière.
En outre, l’Autorité est fermement résolue à soutenir la durabilité et promouvoir le développement et la transformation du secteur des assurances, à travers notamment la promotion de la digitalisation et de l’innovation.
Par ailleurs, l’Autorité s’engage à poursuivre son accompagnement des pouvoirs publics pour la mise à niveau du secteur de la prévoyance sociale et à contribuer aux chantiers d’élargissement de la protection sociale et de la réforme de la retraite.
En outre, l’ACAPS continuera à consolider sa position en tant qu’Autorité innovante, agile et attractive, en phase avec l’évolution numérique et ouverte sur son environnement national et international.
Qu’en est-il du renforcement de la supervision du secteur des assurances ?
Cette question revêt une importance capitale pour l’Autorité depuis sa création et se situe en effet au cœur de notre mission en tant que régulateur du secteur des assurances. Ainsi, l’Autorité poursuivra ses efforts afin d’asseoir une supervision moderne et efficiente du secteur des assurances, et ce en assurant une veille et une surveillance régulière des risques auxquels les acteurs peuvent être exposés.
A ce propos, nombreux sont les projets stratégiques menés par l’ACAPS. Je citerai notamment le dispositif prudentiel relatif à la Solvabilité Basée sur les Risques « SBR » qui vise le renforcement de la résilience des entreprises d’assurances et de réassurance face à l’ensemble des risques encourus, l’amélioration de leur système de gouvernance et le renforcement de la transparence de l’information à destination du régulateur et du public.
En matière de risques émergents, l’Autorité entend renforcer la supervision du risque climatique en mettant en place des exigences et des process qui lui sont spécifiques en raison des enjeux relatifs aux changements climatiques pouvant affecter la résilience des assureurs.
De même, une vigilance accrue sera portée aux risques associés aux nouvelles technologies, notamment les cybers risques, qui deviennent de plus en plus une menace grandissante pour le secteur des assurances. A cet égard, l’Autorité prévoit de renforcer la surveillance et la prévention de ces risques cyber, en s’assurant de la mise en place par les assureurs d’un cadre de gouvernance précis en matière de cybersécurité.
L’Autorité poursuivra également le perfectionnement de ses outils et méthodes de supervision, en les adaptant à l’approche basée sur les risques et en renforçant le recours à la technologie et à la digitalisation. En parallèle, l’Autorité continuera son engagement en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT). Ainsi, après avoir parachevé la transposition des normes internationales, notamment celles du GAFI, à son dispositif réglementaire et mis en place les mécanismes de contrôle et de suivi, elle continuera sur les trois prochaines années, à œuvrer pour l’alignement complet du secteur des assurances auxdites normes et consolidera ses dispositifs de surveillance et de contrôle en matière de LBC/FT, à travers le renforcement de l’approche par les risques et la poursuite de l’automatisation de son dispositif.
Sur le volet de stabilité financière, l’ACAPS poursuivra la consolidation de son dispositif de veille et de supervision macroprudentielle, en renforçant notamment son cadre analytique et de stress test.
Où en est la mise en œuvre du projet de solvabilité basée sur les risques ?
Ce chantier est sur la bonne voie. Sa mise en œuvre a déjà été entamée avec l’entrée en vigueur en février 2021 de son 2ème pilier qui traite des exigences qualitatives, avec un calendrier de déploiement achevé fin 2023.
S’agissant du pilier 1 relatif aux exigences quantitatives, trois études d’impacts ont été menées afin de tester le modèle et de stabiliser le calibrage des paramètres de chocs à appliquer aux différents risques auxquels sont exposées les entreprises d’assurances. Ces études ont permis de mesurer l’impact des nouvelles règles sur les postes du bilan prudentiel des entreprises d’assurances et de réassurance, le capital de solvabilité requis et le ratio de solvabilité.
Il convient aussi de noter que la conception des piliers 1 et 3 du cadre SBR est achevée. Il est attendu que le projet de circulaire transposant les spécifications techniques du pilier 1 et les exigences relatives aux reportings (pilier 3) soit finalisé courant 2024 et par la suite mis dans le circuit d’adoption.
Comment L’ACAPS compte-t-elle protéger les clients du secteur des assurances ?
Je tiens à souligner à cet égard que la protection des assurés et bénéficiaires des contrats d’assurances, et des affiliés et adhérents au régime de prévoyance sociale a toujours représenté une priorité pour notre Autorité depuis sa création. En effet, l’ACAPS s’investit pleinement dans sa mission de protection des consommateurs des produits d’assurance et lui confère une place centrale dans sa stratégie.
Plusieurs avancées ont été d’ailleurs enregistrées à ce titre notamment en matière de contrôle des produits d’assurance et d’amélioration de leur qualité, de traitement des réclamations à l’égard des entreprises et intermédiaires d’assurances ainsi qu’en termes de contrôle des pratiques commerciales.
L’ACAPS continuera à prendre les mesures nécessaires pour renforcer davantage les droits des assurés et bénéficiaires de contrats d’assurance et favoriser une prestation de services adéquate à leur égard. A ce titre, nous envisageons notamment d’œuvrer à l’amélioration du processus d’indemnisation et au renforcement des voies de recours du consommateur pour le règlement des différends et des litiges, notamment à travers la promotion de la médiation en assurance et la consolidation également du dispositif mis en place par l’ACAPS pour le traitement des réclamations.
Dans le même cadre, l’Autorité veillera à ce que le consommateur soit traité de manière correcte, équitable, diligente et transparente. La nouvelle stratégie de l’ACAPS accorde, en effet, une attention particulière au renforcement de l’encadrement et de la supervision de la conduite de marché du secteur des assurances.
D’un autre côté et eu égard à l’importance des produits d’assurances en tant que base de la relation entre les consommateurs et leurs assureurs, l’Autorité a inscrit dans son nouveau plan stratégique des projets visant à instaurer auprès des assureurs des dispositifs efficaces en matière de gouvernance des produits d’assurance et à améliorer la clarté des contrats d’assurance en veillant au maintien de l’équilibre contractuel et de la valeur ajoutée escomptée pour les différents groupes de consommateurs ciblés.
Ces mesures, précisons-le, seront accompagnées par des actions en lien avec la réduction du gap de protection, l’inclusion assurantielle, l’amélioration de l’accès de la population à des offres de couverture adaptées ainsi que la modernisation du cadre légal relatif à l’intermédiation en assurance pour accompagner les évolutions des modes de consommation et de distribution.
Par ailleurs, comme vous le savez, nous déployons plusieurs actions en matière d’éducation financière pour permettre aux consommateurs de mieux appréhender les produits et services assurantiels, confirmant, ainsi, notre mission de protection des droits des assurés. Nous veillons en effet à ce que les programmes d’éducation financière dans les domaines relevant du champ d’intervention de l’Autorité répondent aux besoins et au niveau de connaissances de l’ensemble des citoyens à travers la mise en place d’actions de vulgarisation et de sensibilisation au profit de différentes cibles.