Une hausse des taux d’intérêt souverains prévaut sur les marchés de capitaux internationaux pesant sur les finances publiques des pays occidentaux et émergents qui sont tributaires de ces derniers pour leur financement budgétaire.
Les titres de la dette française sur dix ans, cotent 3,45 % actuellement, contre 2,68% en 2022 à peine. Certes, la crise politique en France et le creusement du déficit budgétaire en 2024 auraient pu en être la cause, mais en réalité, tous les taux souverains grimpent sur les marchés de capitaux internationaux. Cette situation est inédite au moment où l’inflation recule vers les cibles des banques centrales, lesquelles assouplissent progressivement leur politique monétaire en baissant leurs taux directeurs. Mais, les marchés semblent anticiper le retour de l’inflation avec la politique inflationniste attendue du Président Trump, avec les augmentations quasi-généralisées des droits de douane à l’importation.
Preuve s’il en est que la hausse des taux souverains sur les marchés de capitaux va à l’encontre de la politique monétaire de la BCE, celle-ci diminue ses taux directeurs. Considérant que le processus de désinflation dans la zone euro est en bonne voie, la BCE a décidé le 12 décembre dernier d’abaisser ses taux directeurs de 25 points de base (pb), pour la quatrième fois d’affilée depuis juin. En conséquence, les taux d’intérêt de la facilité de dépôt, des opérations principales de refinancement et de la facilité de prêt marginal ont ainsi été ramenés respectivement à 3%, 3,15% et 3,40%.
Or, sur les marchés de capitaux la hausse des taux est source d’aggravation du service de la dette dont le montant pour 2025 devrait être supérieur à 300 milliards d’euros, ce qui va à l’encontre de la politique de réduction du déficit budgétaire de la France établi à 6,1% en 24. Donc pour rester sur le cas de la France, si les taux des dettes souveraines continuent à monter sur les marchés de capitaux, la politique d’assouplissement monétaire de la BCE qui tire les taux à la baisse s’opposera à une force contraire exercée par les marchés de capitaux.
Toutefois, avec le repli de l’inflation et la montée des incertitudes entourant les perspectives économiques, la tendance à l’assouplissement des politiques monétaires des banques centrales est adoptée par les principales économies avancées, dont la FED, qui a réduit à l’issue de sa réunion des 6 et 7 novembre 2024, de 25 pb la fourchette cible du taux des fonds fédéraux à [4,5%-4,75%], pour la seconde baisse consécutive après celle de 50 pb en septembre de la même année.
Ce, dans un contexte caractérisé par une activité économique qui croît à un rythme soutenu, et une inflation se rapprochant davantage de l’objectif de 2%. Laquelle inflation qui au niveau mondial poursuit sa décélération tendancielle, revenant de 4,8% en 2023 à 3,7% en 2024 puis à 3,2% en 2025 et en 2026, en lien notamment avec les tensions commerciales devant résulter de la mise à niveau de la politique de la nouvelle Administration américaine. Aux Etats-Unis, précisément, après 4,1% en 2023, elle recule à 2,9% en 2024 et devrait être à 2,6% en 2025 et 2,9% en 2026. Et dans la zone euro, elle ralentit également de 5,4% en 2023 à 2,3% en 2024 puis à 2% en 2025.
Face à une telle situation, Bank Al Maghrib qui s’inscrit dans la tendance de politique monétaire internationale, lors de son dernier conseil de décembre 2024, a fait les mêmes constats pour le Maroc, actant que l’inflation évolue à des niveaux bas et terminerait l’année avec un taux moyen autour de 1%, après 6,1% enregistré en 2023. Elle devrait rester modérée, se situant à 2,4% en 2025 et à 1,8% en 2026. Précisant que sa composante sous-jacente reculerait de 5,6% en 2023 à 2,1% cette année, puis à 2% en 2025 et à 1,8% en 2026. Donc, après une légère hausse à 1,3% au troisième trimestre 2024, l’inflation est revenue à 0,7% en octobre 2024. Expliquant que cette décélération est attribuable essentiellement à l’accentuation des baisses des prix des produits alimentaires à prix volatils de -1,1% à -3,5% et des carburants et lubrifiants de -2,8% à -15,2%.
Cependant, si à l’international les marchés de capitaux peuvent peser sur l’efficacité des politiques monétaires, au Maroc, ce n’est pas le cas pour la simple et importante raison que le Trésor ne recourt pas couramment au financement extérieur, même s’il bénéficie de garanties sur des lignes de crédits accordées par le FMI.
Pourtant, le financement extérieur joue un rôle particulier du pays, dans le maintien de ses avoirs extérieurs qui lui permettent de couvrir ses importations. Ainsi, la Banque centrale lors de son Conseil du 16 décembre dernier considère que « tenant compte des financements extérieurs prévus du Trésor, les avoirs officiels de réserve se renforceraient progressivement, passant de 375,6 milliards de dirhams à fin 2024 à 400,2 milliards à fin 2026 représentant ainsi une couverture de 5 mois et 8 jours d’importations de biens et services. Et ce du fait que « si l’endettement du Trésor devrait passer de 69,5% du PIB en 2023 à 70,5% en 2024, sa composante intérieure s’établit à 53,1% du PIB en 2024, avant de baisser à 51,4% en 2025, soit 866,4 milliards de dirhams alors que celle extérieure progresserait de 17,4% du PIB en 2024 à 18,1% en 2025, soit 307,2 milliards de dirhams. Ce qui montre que le recours au financement international restera contenu à moins de 20% du PIB.
Selon BAM, le déficit budgétaire devrait se situer à 4,5% du PIB en 2024. Et donc, le financement de ce déficit, continuera à se faire par la dette domestique. En effet, la proportion des bons du Trésor demeure prépondérante dans l’encours global des titres de créances en 24 à 75%. Dans le segment de la dette souveraine, les levées du Trésor se sont chiffrées à près de 200 milliards de dirhams en 2024, à des taux compris entre 2,44 % et 5,5 %. De plus les émissions ont porté à hauteur de 54 % sur des maturités longues, 40 % sur des maturités moyennes et 6 % sur des maturités courtes, ce qui relève d’une gestion active de la dette publique.
Ainsi, de fait le Maroc est protégé contre le comportement des taux à la hausse sur les marchés de capitaux internationaux, parce qu’il n’y a pas recours en continu, même si son dernier emprunt a bénéficié d’un taux relativement haut autour de 4%. Cependant notre pays a lancé une politique d’investissent de grande envergure qui va chercher des financements publics et privés plus importants. Certes, le privé pourrait utiliser le marché financier domestique en parallèle du financement bancaire et c’est déjà le cas vu le succès de la bourse en 2024. Mais le Trésor également gagnerait à pouvoir accéder aux marchés des capitaux internationaux, ne serait-ce que pour conforter sa réserve en devises.
En définitive, la hausse des taux sur le marché de la dette à l’international, est certainement annonciatrice d’une reprise de l’inflation et en conséquence d’une hausse des taux monétaires pour la couvrir. Et pour cause, « un dollar fort » imposé par l’administration Trump et l’impact inflationniste des droits de douanes à l’importation quasi-généralisé, aux USA, devraient se traduire en inflation qui rapidement se mondialiserait, obligeant la FED à resserrer sa politique monétaire et la BCE aussi…
Afifa Dassouli