Si l’Europe a traversé des siècles de guerre au nom de la religion, et que la majorité des pays du vieux continent ont décidé de la séparation claire entre la vie publique d’un côté, et la religion de l’autre côté, ce n’est pas le cas dans la majorité des pays musulmans, et notamment dans ceux de la région MENA.
Or, force est de constater que les pays démocratiquement avancés, sont majoritairement les pays où il existe une nette séparation entre religion et vie publique.
Dès lors, se pose la question, objet de la conférence-débat organisée par HEM : Quelle relation y a-t-il entre la démocratie et la liberté de conscience ? La deuxième conditionnerait-elle la première ? Peut-on construire une démocratie sans liberté de conscience ?
Parmi les pays de la région, seul la Tunisie a réussi à imposer la liberté de conscience dans sa Constitution. Au Maroc, l’opposition farouche de certaines parties conservatrices a poussé, en 2011, à l’exclusion de ce principe de la Constitution adoptée. C’est ainsi que l’article III de cette Constitution stipule que « l’islam est la religion d’Etat qui garantit à tous le libre exercice de culte». Dès lors, il est très difficile au Maroc, voire impossible, d’aborder toute éventuelle séparation entre la religion et la vie publique, laissant ainsi planer un grand flou sur la relation des individus et de l’Etat aux pratiques religieuses, voire à la foi.
La liberté de conscience n’est donc pas reconnue de manière officielle dans la Constitution de 2011. Et même s’il n’existe aucun texte de loi qui interdit explicitement la conversion des Marocains musulmans à d’autres religions, la réalité des pratiques prouve la contrainte religieuse dans ce sens. Par ailleurs, et selon la législation marocaine en vigueur, la liberté de conscience ne peut se conjuguer que dans un sens : la conversion de chrétiens ou de juifs à l’islam. Le contraire est totalement rejeté. Aussi bien socialement que juridiquement.
Il est vrai que cette Constitutioncite les conventions internationales et insiste sur le respect des principes universels des droits humains. Elle stipule toutefois que ce respect des conventions internationales doit se faire « dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume ». Ce qui ouvre la porte à toutes les interprétations…
Tout d’abord, cette limitation se contredit avec l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui consacre la liberté de conscience : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ». La Constitution ne parle-t-elle pas du respect des conventions internationales ? Oui, mais « dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume » !
Il faut également noter la contradiction entre la Constitution qui indique que «le Roi, en tant qu’Amir Al Mouminine (Commandeur des croyants), est garant de cette liberté pour chaque citoyen» et un Code pénal qui comporte des atteintes directes à cette même liberté de conscience. Ainsi, l’article 220 du code pénal punit d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans quiconque qui emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion. L’article 222 punit de l’emprisonnement d’un à six mois celui qui rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant Ramadan, sans motif admis par cette religion. Etc.
Cette absence de liberté de conscience se traduit également par des inégalités dans le mariage par exemple : un musulman a le droit de se marier avec une non-musulmane, chrétienne ou juive (cette dernière ne pourra toutefois pas hériter de lui !). Le contraire n’est permis que dans le cas de conversion du futur époux.
Rappelons aussi que durant les dix dernières années, le Maroc a connu plusieurs violations dans le registre de la liberté de conscience : l’affaire des jeunes accusés de “satanisme” en 2003, les multiples procès de Marocains qui se sont convertis à d’autres religions, les rafles qui ont visé les chiites marocains en 2009, l’affaire « We are muslims, no bikins », l’affaire des jupes à Inezgane, les nombreuses affaires d’homosexuels agressés publiquement, les condamnations de personnes pour rupture publique de jeûne pendant le ramadan, etc.
Dans la majorité de ces affaire, les institutions de l’Etat ont adopté des postures qui soutiennent ouvertement les agresseurs (condamnations des victimes par exemple) ou en enregistrant une neutralité passive, et donc négative.
Ainsi, le flou persiste encore dans cette nouvelle Constitution entre Etat civil et Etat religieux, entre liberté de pensée et de croyance, entre primauté des conventions internationales et constantes du pays, sans oublier cette contradiction entre la consécration du droit à la vie et la non-abrogation de la peine de mort.
Dès lors, se posent de nombreuses questions :
- Au Maroc et ailleurs, peut-on réellement construire une véritable démocratie sans liberté de Conscience ? Peut-on construire une vraie démocratie dans un Etat qui se définit comme Etat religieux ?
- Les pays, comme la Tunisie, ayant instauré la liberté de conscience dans leur Constitution ont-ils connu une amélioration de la pratique démocratique ?
- Qu’en est-il des exemples turc et malaisien : Pays majoritairement musulmans avec des Constitutions laïcs ?
- Cette imbrication entre foi et citoyenneté, entre religion et vie publique, ne consacre-t-elle pas le maintien du citoyen dans un statut de mineur dont l’Etat doit réguler la foi et la croyance ? N’ouvre-t-elle pas la voie vers dictature religieuse ?
- Peut-on imposer la foi par la loi ?
- L’instauration du principe de liberté de conscience au Maroc ne poserait-il pas la problématique de l’institution de Imarat Al Mouminine (la Commanderie des croyants), qui constitue un des piliers de la légitimité de la monarchie ?
- Ne faut-il pas admettre que les sociétés changent et que l’interprétation des textes doit accompagner ce changement ?
- L’individu ne devrait-il pas avoir la liberté de choisir ses valeurs et sa religion ?
- Etc.
Pour répondre à ces questions, et à d’autres encore, HEM Casablanca organise une conférence-débat consacrée à cette thématique : « Peut-on construire une démocratie sans liberté de conscience ? ».
LNT avec CdP