M. Ahmed Lahlimi, Haut Commissaire au Plan
Situation économique internationale en 2018 et 2019
L’heureuse concordance, relevée dans la note de présentation du budget économique exploratoire de 2016, des cycles de croissance de tous les grands ensembles économiques mondiaux, devrait se confirmer en 2018 et 2019 et imprimer à la l’économie mondiale une croissance prévue à 3,8%, après 3,2% en 2016 et 3,4% en 2015.
Les politiques agressives fiscales et monétaires, bientôt assorties d’un protectionnisme sélectif, menées sous l’emblème de l’ « America First » ont redonné au cycle économique américain, après avoir connu l’âge de maturité, une vigueur que ne lui destinait pas son espérance de vie théorique.
La zone euro de son côté, à la faveur d’une demande intérieure revigorée par des politiques de soutien à la consommation des ménages et à l’investissement privé et par des réformes structurelles économiques et sociales avec le maintien de la politique monétaire accommodante de la BCE, devraient laisser présager un retour aux taux de croissance de l’avant crise à 2,1% en 2018, pour ralentir cependant à 1,7% en 2019, sous les effets internationaux du protectionnisme commercial et du resserrement progressif de la politique monétaire des Etats-Unis.
Dans les pays émergents et en développement, la croissance agrégée devrait bénéficier de la reprise des exportations des produits de base et passer de 4,3% en 2017 à 4,5% en 2018 et 4,7% en 2019.
Dans ce cadre, l’économie chinoise, de dimension continentale, continue d’assurer, dans le cadre d’une ouverture maitrisée, à son modèle de développement l’accès à la compétitivité internationale, à sa population une consommation progressive de masse et à sa croissance des fondements de la durabilité. Celle-ci devrait, cependant, connaitre une légère baisse passant de 6,9 % en 2017 à 6,5 % en 2018 et 6,3 % en 2019, sous l’effet d’une lente modération de sa politique budgétaire et monétaire.
L’économie indienne réaliserait une croissance de 7,3% en 2018 et 7,5% en 2019, du fait de la poursuite de l’exécution de réformes structurelles qui accroitraient la productivité et encouragerait l’investissement privé.
La République Russe, de son côté, devrait connaitre un retour à la croissance, avec 1,5% en 2018 et 1,8% en 2019, sous l’effet de la reprise des exportations de pétrole, de l’assouplissement de la politique monétaire et du regain de confiance de la part des investisseurs.
D’une façon générale, la période 2018-2019 devrait globalement connaitre une croissance mondiale soutenue, dont la demande adressée en particulier à notre pays qui devrait passer de 4,6% en 2017 à 4,8% en 2018 et 4% en 2019. L’économie mondiale devrait, cependant, rester soumise aux incertitudes liées à l’augmentation prévisible du prix du pétrole et des taux d’intérêt, dans un contexte d’exacerbation des conflits géostratégiques déclarés ou latents, notamment au Moyen-Orient et en Asie et de la prolifération à travers le Monde de foyers du terrorisme, notamment en Afrique.
Dans ces conditions, le volume du commerce mondial, subissant déjà une atténuation structurelle de son rythme de croissance, devrait passer de 4,8% en 2017 à 4,3% en 2018 et 4,2% en 2019.
Situation économique nationale en 2018 et 2019
A la faveur d’une répartition pluviométrique atypique dans le temps et équilibrée dans l’espace, le Maroc a bénéficié de l’une de ses meilleures campagnes agricoles, portée par le rendement élevé de la céréaliculture et une bonne orientation de ses cultures classiques notamment maraichères et arboricoles, avec cependant une relative baisse du rythme de croissance des activités de l’élevage.
Avec une activité plus soutenue de la pêche maritime, la valeur ajoutée du secteur primaire, après s’être accrue de 13,2% en 2017, devrait connaitre une progression modérée de 3,1% en 2018 et un recul de 0,3% en 2019. Sa contribution au PIB serait nulle en 2019, au lieu de 0,4 point en 2018, après avoir été de 1,6 point en 2017.
Les activités non-agricoles devraient poursuivre leur tendance haussière à 3,1% en 2018 et 3,2% en 2019, après 2,8% en 2017, bénéficiant des activités traditionnelles du secteur secondaire, notamment industrielles et minières, et d’un secteur tertiaire, dont la croissance devrait passer de 2,7% en 2017 à 3,1% en 2018 et 2019, profitant en particulier d’un renouveau du dynamisme du secteur touristique.
Globalement, le PIB devrait s’accroitre en volume de 3,1% en 2018 et 2,9% en 2019, après 4,1% réalisé en 2017, dans un contexte où le taux de chômage ne devrait guère connaitre d’amélioration et où l’inflation intérieure serait, avec 1,7% en 2018 et 1,3% en 2019, le double de ce qu’elle était en 2017.
Au total, la demande intérieure continuerait à tirer la croissance économique, au moment où la demande extérieure nette devrait à nouveau contribuer négativement à la croissance, malgré l’amélioration prévue de la demande mondiale adressée au Maroc.
La demande intérieure devrait enregistrer un accroissement de 3,5% en 2018 et 2,9% en 2019, avec une contribution à la croissance respectivement de 3,8 points en 2018 et 3,2 points en 2019.
La consommation finale des ménages, avec une croissance respectivement de 3,3% et 3,4%, continuerait à s’améliorer en 2018 et 2019, bénéficiant de l’amélioration des revenus agricoles et la consolidation de la croissance des activités non-agricoles.
La consommation des administrations publiques devrait s’accroitre entre les deux années de 1,8%, après 1,5% en 2017.
La formation brute de capital fixe, de son côté, continuerait d’être soutenue par la poursuite des programmes d’infrastructure et la reprise relative des activités industrielles. Elle devrait connaitre une hausse en volume de 5,6% en 2018 et de 3,6% en 2019, après une baisse de 0,8% en 2017. Sa contribution à la croissance économique, après avoir été négative en 2017, devrait s’améliorer à 1,6 point et à un point respectivement au cours des deux années.
La demande extérieure devrait, en revanche, contribuer négativement à la croissance du PIB de 0,7 point en 2018 et de 0,3 point en 2019, après une contribution positive de 0,5 point en 2017.
Les exportations de biens et services devraient s’accroitre en volume de 6,9% en 2018 et 2019, en ralentissement par rapport à 10,9% affiché en 2017.
Les importations devraient enregistrer une baisse du rythme de croissance en volume, passant de 7,4% en 2017 à 7,1% en 2018 et 6,2% en 2019.
Au plan du financement, l’économie nationale continuerait à connaitre une accentuation des besoins en financement.
L’épargne intérieure, compte tenu d’un accroissement du PIB à prix courants de 4,8% et d’un accroissement de la consommation finale de 5,3% serait de l’ordre de 22,8% du PIB en 2018 et 22,6% en 2019, après 23,1% en 2017.
L’épargne nationale, avec des revenus nets en provenance du Reste du Monde, estimée en 2018 à 5,9% du PIB, serait de 28,7% du PIB en 2018 et en 2019, après 28,9% en 2017.
L’effort d’investissement représentant 32,8% du PIB en 2018 et 32,5% en 2019, au lieu 32,6% en 2017.
En conséquence, le besoin de financement sera de 3,9% en 2018 et 3,6% en 2019, que notre pays doit couvrir par le recours à l’endettement.
Dans ces conditions, l’endettement public global de l’économie serait de 82,6% du PIB en 2018 et 82,9% en 2019, au lieu de 82% en 2017.
En conclusion, au cours des deux prochaines années, le Maroc aura, sauf imprévus majeurs, un environnement international favorable et devra en profiter pour mieux valoriser ses atouts et lever ses contraintes de gestion et ses déficits structurels avérés et latents.
Au plan des équilibres macroéconomiques, le Maroc a accompli d’incontestables efforts au cours des dernières années, même si la vigilance devrait rester de rigueur. L’investissement a renoué avec la vigueur qu’il a connue depuis les années 2000. La consommation des ménages a maintenu une relative stabilité de son taux de croissance de l’après crise de 2008. Le taux d’inflation est resté plutôt faible, après une période où s’exprimaient des craintes d’une menace déflationniste. Le déficit budgétaire a baissé de 6,8% du PIB en 2012 à près de 3,4% en 2017, même s’il devrait connaitre une légère hausse en 2018 et 2019. Le déficit du compte courant de la balance des paiements a, de son côté, baissé de 9,5% du PIB en 2012 à 3,6% en 2017 et 4,1% en 2018. L’endettement public, après une augmentation alarmante entre 2010 et 2014, s’est relativement stabilisé au cours de la période 2015-2018.
Pour réelles et positives qu’elles soient, ces performances macro-économiques s’inscrivent, cependant, dans le cadre d’une croissance économique plutôt faible soumise encore, même avec un degré moindre, aux aléas pluviométriques avec une offre à faible contenu en technologie et en capacité d’exportation, peu créatrice d’emplois qualifiés et peu contributive à la réduction des inégalités sociales et territoriales.
Le Maroc n’a certes pas ménagé ses efforts pour faire face aux exigences d’une croissance plus durable et d’une plus grande employabilité de ses ressources humaines. Il a, depuis les années 2000, su, à cet effet, mobiliser ses ressources propres et celles d’origine extérieure dues à son potentiel économique et à ses atouts géographiques, historiques et institutionnels, et consacrer une part croissante de son PIB à l’investissement, en particulier dans les infrastructures économiques et sociales et l’amélioration des conditions de vie de sa population. La contribution de celle-ci à ces efforts a été, du reste, largement sollicitée, si l’on se réfère en particulier au niveau de la pression fiscale qui reste parmi les plus élevées des pays émergents et en développement et avoisine celle que connaissent les pays développés. La part des cotisations dans le revenu reste, selon les données de la Banque Mondiale, nettement plus élevée en comparaison avec celle des pays à revenu intermédiaire et de l’ensemble des pays de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Il semble, ainsi, qu’au regard du niveau de la richesse nationale et du potentiel de mobilisation des ressources qu’elle permet des efforts fournis par le pays et sa population pourraient donner lieu à un meilleur rendement, comme nous l’avons pu démontrer en ce qui concerne l’affectation sectorielle et la gestion des programmes d’investissement, ou encore de l’usage des fonds, en particulier publics, affectés au secteur de l’enseignement et de la formation. Cela ne devrait pas dispenser le pays de prendre la mesure de ses déficits structurels et de l’ardente obligation nationale de réaliser les réformes fondamentales pour en entamer la résorption.
Les réformes de structures ne peuvent être évaluées ou encore moins justifiées, par référence aux seules performances macro-économiques de conjoncture. Seule une analyse, dans une démarche prospective, des données structurelles de la réalité économique et sociale nationale d’une part et celles géoéconomiques et géopolitiques internationales d’autre part devrait fonder la pertinence et la sécurisation des effets de toute décision de réforme à caractère structurel. Cette évidence s’impose d’autant plus que le contexte international connait une dynamique d’ébrèchement de tout le savoir conventionnel apporté par une mondialisation triomphante des années 80 et des orthodoxies de gestion économique, financière et sociale qui sont devenues la bible des conseils, voire des injonctions auxquelles sont soumis depuis 50 ans les pays en développement.
Depuis 50 ans le Monde a changé. La révolution permanente des technologies de l’intelligence artificielle, de l’Internet des objets, de l’impression 3D, le développement de l’économie des plateformes, l’expansion sans limite de la complexité des logarithmes et de la capacité des outils de calcul, imprimant à l’économie des pays développés d’aujourd’hui et de demain une connectivité, dont la dimension et les conséquences modifient profondément les données de la mondialisation. Les besoins exponentiels de financement que de telles révolutions ne cessent de créer donnent aujourd’hui une dimension nouvelle aux rapports internationaux, dans la course des différentes puissances à s’accaparer le plus d’atouts dans ce domaine. Dans cette compétition effrénée, c’est une nouvelle ère de la mondialisation qui s’annonce. Après avoir remis en échec la circulation libre des personnes, les ensembles européens, les alliances américaines éclatent dans une dynamique de remise en cause de la liberté de circulation des biens et services longtemps soumises à des restrictions douanières qui ne disent pas leur nom.
C’est dans ce cadre qu’il faut analyser les mesures de dévaluations fiscales et de protectionnisme commercial des Etats-Unis ou encore des dissensions qui affectent le plus grand ensemble économique qu’est l’Union Européenne. C’est dans ce cadre également, qu’il faut méditer les atouts du modèle de développement de la Chine dans des contextes aussi complexes. De dimension continentale certes, mais déterminée à accumuler, dans le cadre d’une ouverture maitrisée, des avantages compétitifs dans les domaines de la recherche scientifique les plus sophistiqués de l’économie numérique et de l’intelligence artificielle, tout en s’assurant l’accès aux matières premières stratégiques et aux marchés les plus prometteurs à travers le Monde et en particulier dans les pays en développement. Il faut, en particulier, méditer la fine et réaliste évaluation qu’elle a su faire des avantages et des risques de la mondialisation, pour continuer à maitriser les instruments indispensables pour réaliser les transformations structurelles de son économie et l’accès aux nouvelles sources de compétitivité et de profit de demain. Dans le cadre de la guerre commerciale internationale que commence à connaitre le Monde, elle a su utiliser la sauvegarde de sa liberté d’user de son système de change pour se protéger contre les mesures agressives des Etats-Unis à l’encontre de ses exportations. La principale leçon qu’il convient de retenir de cela est que le régime des changes n’est pas une simple variable financière, mais un outil de politique économique.
LNT avec CdP