Un membre des Forces démocratiques syriennes (FDS) retire un drapeau du groupe Etat islamique le 30 avril 2017 à Tabqa © AFP/Archives DELIL SOULEIMAN
Bientôt défait sur le terrain, en Irak et en Syrie, le groupe État islamique (EI) va constituer dans le cyberespace un « califat virtuel » d’où continuer la lutte et galvaniser ses partisans, préviennent experts et officiels.
Et il risque d’être plus difficile de déloger le groupe jihadiste des recoins cachés du « web profond », d’où sa propagande pourra continuer à inciter ses membres et sympathisants à l’action, que des faubourgs de Mossoul ou Raqa, assurent-ils.
Au début de l’année, dans un texte intitulé « Le califat virtuel », le général américain Joseph Votel, commandant de l’US Central Command (dont la zone d’intervention va du Moyen-Orient à l’Asie), prévenait : « Vaincre l’EI sur le champ de bataille physique n’est pas suffisant ».
« Même après une défaite décisive en Irak et en Syrie, l’EI va vraisemblablement trouver refuge dans un refuge virtuel, un +califat virtuel+, d’où il va continuer de coordonner et d’inspirer des attentats », écrit-il. « Cela lui permettra également de continuer à bâtir une base de supporteurs jusqu’à ce que le groupe soit en mesure de reconquérir des territoires physiques ».
« Ce califat virtuel », poursuit-il, « est une version distordue du califat historique: une communauté stratifiée de Musulmans dirigés par un calife (actuellement Abou Bakr al-Baghdadi), qui aspire à faire partie d’un État gouverné par la charia et localisé dans le cyberespace ».
La perte de la plus grande partie des territoires qu’il avait conquis militairement, en Irak et en Syrie, a dégradé la communication en ligne de l’EI, qui poste moins de choses et sous des formes moins abouties qu’il y a quelques mois, mais elle ne l’a pas empêchée, soulignent les experts.
Son relais de communication et de propagande, « l’agence » Amaq, n’a jamais cessé d’émettre, de revendiquer des attaques, d’inciter à commettre des attentats. Ses revues en ligne, dans plusieurs langues, sont toujours disponibles en quelques clics. Elles incitent plus que jamais les partisans du califat, où qu’ils soient, à passer à l’action et multiplient conseils meurtriers et mode d’emplois mortels.
– ‘Très difficile à combattre’ –
En 2015, Charlie Winter a rédigé, pour le groupe de réflexion britannique Quilliam, un rapport qui s’intitulait déjà « le califat virtuel » et analysait la stratégie de propagande de l’EI.
« Il est évident que sa présence idéologique, son existence en tant qu’idée va devenir plus importante au cours des prochains mois et années », dit-il à l’AFP. « Le groupe tente désormais de persuader que l’idée du califat est plus importante que sa présence physique ».
« Cela dit, ce n’est pas un choix binaire, en ligne ou hors-ligne », ajoute-t-il. « Cela sera toujours un hybride des deux, le réel et le virtuel. Nous allons avoir à faire au cours des mois et années à venir à un EI affaibli mais qui contrôlera encore des poches de territoires, surtout en Syrie. Et il y aura également une insurrection clandestine en Irak ».
Sous la pression des pouvoirs publics, les fournisseurs de service et grands acteurs de l’internet mondial ont mis en place des mesures et des procédures pour tenter d’entraver l’utilisation par l’EI du réseau mondial à des fins de propagande et d’organisation.
« Mais malgré l’intensification de la vigilance des autorités et réseaux sociaux, l’EI a fait preuve d’une résilience significative due à sa souplesse, sa modularité, son adaptabilité vis-à-vis de la suppression des contenus jihadistes en ligne » estiment les chercheurs français Laurence Bindner et Raphael Gluck. « Il parvient ainsi à maintenir une dissémination suffisante pour atteindre son vivier de sympathisants et recruter au-delà ».
La propagande en ligne de l’EI, qui a décrit les années 2014/2015, quand il contrôlait d’immenses régions en Syrie et en Irak, comme un « âge d’or », sera « très difficile à combattre » avertit Charlie Winter.
« Censurer l’internet ne marchera pas », dit-il. « Les autorités portent leur attention sur la mauvaise partie de l’internet (le réseau grand public), et c’est un problème (…) Les jihadistes se cachent désormais dans le web profond, utilisent le chiffrement Il y aura toujours des refuges pour les terroristes sur internet, quoiqu’en disent des politiciens ».
LNT avec Afp