Crédits : Ahmed Boussarhane/LNT
Le Groupe X-Maroc, association marocaine des anciens diplômés de l’Ecole Polytechnique, et première communauté polytechnicienne hors de France, a organisé mardi 15 janvier, dans la salle des congrès de l’Université Mohammed VI de Médecine, la 8ème édition de son Colloque X-Maroc, tenue sous le thème : « La recherche et développement comme levier de croissance ».
« Ce forum s’inscrit dans le cadre de la recherche du nouveau modèle de développement du Maroc », a déclaré Khalid Safir, Wali des collectivités locales et Président du groupe X-Maroc. « La recherche appliquée constitue un levier important pour booster la compétitivité de l’économie marocaine », a-t-il ajouté.
La compétitivité, pilier de la recherche moderne
Cette idée de recherche compétitive était sur les lèvres de l’ensemble des intervenants du colloque. « La recherche a changé, et les universités sont soumises aux pressions de l’environnement socio-économique », a explique M. Saaïd Amzazi, ministre de l’Education nationale. « Même si le budget alloué à la recherche scientifique et technique au Maroc reste de l’ordre de 0,8% du PIB, ce sont avant tout les procédures d’engagement de ce financement qui posent vraiment problème », a-t-il fait observer, relevant que si ce taux est faible comparativement à celui des pays de l’OCDE (2,3%), il est cependant en progression par rapport à 2016 (0,34%). En effet des « sommes considérables » restent non utilisées par les universités tant les procédures sont complexes, lentes et totalement inadaptées aux particularités et aux spécificités de la fonction recherche, qui exige souplesse et réactivité, a-t-il ajouté. Avec ses 35 000 chercheurs, le Maroc est le pays africain qui compte le plus de chercheurs, soit environ 1800 chercheurs par million d’habitants, a-t-il ajouté, soulignant qu’au royaume, 22 % seulement des fonds proviennent du privé, alors que l’état continue de financer à hauteur de 73% la recherche.
M. Amzazi a, par ailleurs, plaidé pour un rapprochement dans un vaste écosystème entre tous les acteurs impliqués dans le système de l’innovation, à savoir les entreprises engagées dans des projets innovants, les porteurs de projets, les universités, les centres de recherche, les organismes de capital-risque et les pôles de développement technologiques. Il a, à cet égard, suggéré surtout d’institutionnaliser cet écosystème par un véritable encadrement législatif et des mesures incitatives.
Et dans un monde où l’économie du savoir se place en figure de proue de la compétitivité des Etats, « nous ne pouvons pas être absents de ce monde de la recherche », a déclaré pour sa part M. Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie. Et il faut encourager aussi bien la recherche appliquée que fondamentale, car « les grands chercheurs ont toujours contribué au développement économique », a expliqué pour sa part M. Eric Labaye, Président de l’Ecole Polytechnique.
Les constats sévères de Tawfiq Mouline
M. Mouline, Directeur de l’Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES), estime que le système national de R&D « n’est toujours pas en mesure de susciter une réelle transformation de l’économie du Royaume », relevant notamment que la part du Maroc dans la production scientifique mondiale n’excède pas 0,1%, étant seulement 6ème en Afrique.
Le directeur de l’IRES a également mis en avant la faible coordination entre les acteurs concernés, les liens entre entreprises et universités étant classés comme « faibles » au Maroc, et si le Maroc a vu une amélioration de son indice d’innovation ces dix dernières années, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Le positionnement international du Maroc dans l’économie de la connaissance est faible comparativement aux pays émergents, et le bât blesse au niveau de l’enseignement supérieur, notamment la formation en ingénierie, avec seulement 4,6 diplômés pour 10 000 habitants.
De plus, la part des hautes technologies dans les exportations reste faible, de même que la densité de la robotique industrielle. Le Maroc n’a, ainsi, pas pu créer ou préserver des avantages comparatifs pour les produits de haute technologie, et même l’essor de secteurs comme l’automobile vient plus de coûts de production avantageux, qui sont voués à s’amoindrir avec la hausse des salaires. Enfin, les entreprises marocaines, surtout les PME, sont faiblement intégrées dans les chaînes de valeur mondiales. Le développement d’une vraie culture de la R&D permettrait au Royaume de se placer sur des activités à forte valeur ajoutée comme la conception produit. Cela devra immanquablement passer par une véritable inscription des PME marocaine dans la transformation digitale, notamment, son indice de préparation aux NTIC restant classé « intermédiaire » jusqu’à présent.
Le Maroc, selon M. Mouline, gagnerait à s’inspirer des meilleurs exemples de développement de l’innovation. Ce serait par exemple la Corée du Sud, qui dédie 4,24% de son PIB à la R&D, la Chine, où la part du secteur privé dans le financement de l’innovation a atteint 78% grâce à des politiques fiscales très avantageuses, ou encore l’Allemagne, modèle d’ancrage régional des activités de recherche. Et, dans l’environnement ultra-compétitif de l’innovation, chaque retard accumulé par le Royaume dans ce développement sera d’autant plus difficile à rattraper…
Selim Benabdelkhalek
Intervention de M. Hamid Tawfiki, DG de CDG Capital et Président de la BVC
« L‘innovation est un facteur déterminant de la compétitivité des entreprises et un moteur de développement des nations. C’est une évidence.
Le Maroc est de plus en plus conscient de l‘importance de la R&D comme étant un tremplin de développement et de croissance. Aussi a-t-il mis en place une stratégie nationale avec comme objectif principal le renforcement de la coopération entre les organismes publics de la recherche et l’industrie ainsi que la promotion des mécanismes de financement consacrés à l‘appui du processus de l’innovation. C’est une réalité.
Dans un contexte concurrentiel, la libéralisation de l’économie marocaine et son ouverture sur l’extérieur ont donné naissance à des nouveaux enjeux qui font de l‘innovation et de la R&D de vrais facteurs de succès des entreprises.
Le Maroc a développé un système de recherche et d’innovation qui a réussi à mettre en place des stratégies et des politiques ambitieuses pour soutenir l‘innovation. Les compétences universitaires existent et méritent valorisation et revigoration. Aujourd’hui, La production scientifique s‘inscrit dans une perspective d‘évolution et des Infrastructures technologiques ont été développées. Enfin des mesures strictes ont été entreprises pour protéger la propriété intellectuelle. C’est un fait.
Le système national de recherche et d’innovation présente des faiblesses, telle que : le très faible engagement de l‘entreprise privée, le très faible transfert technologique réalisé par les investissements directs étrangers reçus, la déficiente connexion entre le système productif et le système d‘innovation et surtout le manque de culture de l’innovation.
En effet, il est important de préciser que l‘innovation est d‘abord un état d‘esprit et une culture. Pour promouvoir cet esprit, l‘Etat est censé inculquer cette culture entrepreneuriale à l‘école, notamment, au stade primaire et de procéder à un rapprochement authentique entre l‘université et l‘entreprise.
Aujourd’hui, la part d‘origine marocaine parmi les dépôts des dessins et modèles industriels est apathique, les ressources financières destinées à la recherche demeurent faibles et la grande partie provient de l‘Etat, et les capacités de R&D et d’innovation industrielle sont encore insuffisantes dans les Grandes Entreprises et dans les PME.
Mais le Maroc a des atouts et doit saisir certaines opportunités: La flexibilité des PME marocaines; des exemples concrets de réalisations réussies, l’existence d’une Communauté des marocains très qualifiés à l‘étranger; Une ouverture sur des programmes multilatéraux de R&D et d’innovation et enfin des perspectives de mondialisation de la R&D se présentent au Maroc
Par ailleurs, le Maroc nourrit l‘ambition de s‘ériger en Hub Régional d‘Excellence en matière d‘Education, Recherche Scientifique et Innovation et compte jouer le rôle de pivot entre l‘Europe et l‘Afrique subsaharienne.
C’est une belle ambition louable qui peut se transformer, si on ne fait pas attention aux fondamentaux et si on se laisse entrainer par le “Metoo” effect, en une frustrante illusion.
En effet, il nous faudra garder présent à l’esprit que pour conquérir l’extérieur il nous faudra d’abord maitriser, construire et réussir nos expériences intérieures. En outre, il nous faudra choisir le bon concept de Hub : entre un hub concentrateur, un hub hôtelier, ou un hub qui attire car il prône l’ouverture, le partage, l’échange, la compilation pour grandir ensemble. Il nous faudra Capitaliser sur l‘expérience réelle acquise lors des constructions des autres hubs (nationaux ou internationaux).
Ceci dit, il est utile de rappeler certains fondamentaux qu’on pourrait qualifier de facteurs essentiels à l’émergence d’Hubert d’innovation:
1- Les compétences : il nous faudra fabriquer, développer, attirer et retenir les bonnes compétences. Il s’agit aussi de construire un hub d’étudiant et de talents
2-Écosystème: c’est un élément crucial. Il s’agit de construire un ensemble qui génère la liberté de créer dans un environnement facilitateur. C’est la quiddité d’un hub du “savoir-innovation”
3- La Demande : il n y a pas d’innovation s’il n’y a pas de demande. En d’autres termes il faut une vraie dynamique économique qui fabrique de l’initiative et une capacité du tissu industriel à être demandeur d’innovation.
4- Financement: le spectre de financement dédié à l’innovation est large (subventions, crédit impôt recherche, taxe parafiscale, venture capital, crowdfunding…) et se doit d’être renforcé mais surtout travaillé sa pertinence. Il s’agit ici de bâtir un Hub du financement des initiatives. »