Crédit photo : Ahmed Boussarhane.
Mme Fatiha Baladi Benjelloun, Vice-présidente près le Tribunal Civil de Première Instance de Casablanca, membre de l’Association Marocaine des Femmes Juges, est magistrat du siège depuis plus de 26 années.
Dans l’entretien qui suit, elle évoque les différentes articulations de son métier de juge et plaide pour la reconnaissance effective des aptitudes de la femme à assumer toutes les responsabilités au sein du système juridique national.
La Nouvelle Tribune : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?
Mme Fatiha Baladi Benjelloun : Je suis vice-présidente près le Tribunal Civil de Première Instance de Casablanca. J’ai intégré la Justice dès 1994. J’ai fait mes premiers pas dans différentes juridictions dont le Tribunal de Première Instance d’Al Fida Derb Soltane. J’ai rejoint le Tribunal de Première Instance de Casablanca juste après la réunification des juridictions en 2004. J’y suis depuis cette date, et j’y ai assuré plusieurs missions avant d’occuper le poste de vice-présidente.
Justement, vous êtes vice-présidente près le Tribunal Civil de Première Instance de Casablanca. Est-ce un cas d’école d’intégration de la femme marocaine dans l’appareil judiciaire ?
J’ai été nommée en 2017 dans le cadre de la nouvelle restructuration judiciaire où il a été nécessaire de designer des magistrats en tant que vice-présidents à part entière, de manière officielle et capables de représenter le président y compris dans les affaires administratives. En tout, nous sommes trois, moi-même, la seule femme d’ailleurs, et MM Zakaria et Ait Mh’amed.
Au niveau du parcours professionnel, comment vous avez vécu votre propre expérience ?
Je pense que, comme dans toute les professions, la magistrature vit au rythme de la compétitivité de son personnel. Mais auparavant, il y avait une certaine réserve à l’égard des femmes juges qui ne pouvaient accéder à certains postes. Les femmes ne pouvaient pas assurer l’interrogatoire, l’instruction et bien d’autre taches judiciaires. Mais il est important de rappeler dans ce sens que c’est à l’initiative de l’ex-procureur général du Roi, Moulay Taeib Cherkaoui, qu’a été ouverte pour la première fois dans l’histoire judiciaire marocaine, la justice d’Instruction aux femmes.
Pourquoi cette réserve à l’égard des femmes juges, pour tout ce qui est Instruction ou Pénal ?
Peut-être qu’on estime que les femmes juges sont faibles ou sensibles. Mais personnellement, je ne vois aujourd’hui aucune raison pour cette discrimination. En effet et en ce qui me concerne, j’ai vu et constaté durant toute ma carrière professionnelle que les femmes juges marocaines ne cessent de faire preuve de professionnalisme, de productivité, de rigueur et d’abnégation.
En réalité, elles sont compétentes. D’ailleurs, c’est cette discrimination qu’on essaye de dépasser. De plus, c’est l’esprit même de la Constitution de 2011 qui veut instaurer la culture de l’égalité et la parité dans les différentes sphères de la vie publique. Et c’est aussi la Constitution de 2011 qui a fait de la représentativité des femmes dans le Conseil Supérieur de la Magistrature, une obligation sine qua non. Dans le passé, il n’y avait rien de cela.
Etant donné la parité n’est pas la seule problématique, qu’en est-il du rôle de la femme juge dans la moralisation de la vie publique et la lutte contre la corruption dans les tribunaux ?
C’est vrai. La parité n’est plus un obstacle et la mobilisation est en marche. Pour le reste, nous avons le devoir, nous magistrats, hommes et femmes, de militer comme il se doit dans le grand espoir de prémunir la justice marocaine des maux de la corruption.
Et sur un autre registre, on essaye, dans le cadre de notre association, de mener des actions humaines et sociales auprès des démunis et les orphelins. Nous menons des visites aux centres pénitentiaires pour mineurs…
C’est important de démontrer à cette catégorie de la société marocaine qu’ils ne sont pas oubliés, ni abandonnés.
Et sur un autre registre, il est important pour les magistrats invités aujourd’hui de s’ouvrir davantage sur leur entourage, afin de comprendre encore mieux les changements, les besoins, les aspirations de la société.
Dans le même sens, les magistrats marocains sont invités aussi à se mettre à jour des conventions internationales que le Maroc a signées en matière des Droits de l’Homme et les libertés publiques. Ils sont aussi invités à s’ouvrir sur le monde et sur ce qui se fait ailleurs en matière de recherche et de jurisprudence.
26 ans dans la justice. Quel est le cas qui vous a marqué le plus durant cette période ?
Il y en a plusieurs, mais ce sont les cas de mères agressées ou violentées par leurs propres enfants, qui m’ont marquée le plus, car en cours de procès, c’est le désistement, et c’est une mère qui pardonne son fils.
Face à une situation pareille, je ne savais quoi faire, mais j’ai fini par me rendre à l’évidence que c’était une maman et son fils. Aussi, se trouver face à des mineurs impliqués dans des affaires de drogue n’était pas chose aisée pour moi. A Derb Soltane d’ailleurs, on a mené des actions auprès des jeunes pour les sensibiliser aux dangers des psychotropes et toutes les formes de stupéfiants.
Quelques mots en guise de conclusion ?
Je pense que la femme juge marocaine a prouvé sa compétence. Ceci dit, nous avons toujours l’ambition d’aller de l’avant. Elle a toutes les qualités nécessaires pour assurer toutes les tâches judiciaires. Donc et à mon avis, il faut continuer la mobilisation pour obtenir notre droit à l’égalité.
Propos recueillis par
Hassan Zaatit