M. Faouzi Skalli docteur en anthropologie, ethnologie et sciences de religions, écrivain et conférencier.
Skalli Faouzi, docteur en anthropologie, ethnologie et sciences de religions, écrivain et conférencier, œuvre pour le dialogue des hommes et des cultures, notamment à travers le Festival de Fès des Musiques Sacrées du monde qu’il a fondé. Il est également reconnu en tant qu’adepte de la voie soufie en Islam, et a été disciple de Sidi Hamza al Qâdiri al Boutchichi. Il livre pour nos lecteurs des réflexions issues de son expérience et de ses enseignements sur la réforme en cours de la Moudouwana et ses enjeux pour la société marocaine du droit à la spiritualité.
Skalli Faouzi : « La question de la place et du statut de la femme dans la société marocaine est une question sociétale. En ce sens elle ne concerne pas que les femmes mais la société dans son ensemble. Elle est le symptôme d’une équation à trouver au carrefour d’une société qui veut prendre en compte son évolution historique et sociologique mais qui ne souhaite pas pour autant se défaire de tout son patrimoine religieux. C’est le défi que le Roi du Maroc a entrepris de lancer sachant toutes les difficultés qu’il faudra affronter et sans garanties absolues de résultat.
Ce chantier suppose une préparation de longue haleine, des réformes structurelles de la justice et un changement profond de mentalité. Ce n’est pas seulement une réforme juridique. De ce point de vue la méthode adoptée est excellente : on a mis autour d’une table des protagonistes des différentes disciplines avec pour but de parvenir à une véritable synthèse sur cette question. Cela évite de se cacher derrière des slogans et des idées toutes faites et d’assumer une responsabilité concrète vis-à-vis de la société. C’est une application du Fiqh (la jurisprudence) qui devrait d’ailleurs être adoptée pour beaucoup d’autres domaines. Ce qui rend les choses plus difficiles c’est aussi l’importation d’idéologies religieuses sectaires avec lesquels aucune réflexion vivante et constructive n’est possible. Il faut donc s’en remettre à des écoles religieuses proprement marocaines qui savent que le Fiqh est inséparable d’une dimension historique et d’un contexte social.
Les normes religieuses étant ce qu’elles sont il faut trouver des systèmes d’adaptation à la réalité du vécu des femmes dans la société marocaine d’aujourd’hui. C’est déjà largement le cas avec la réforme actuelle qui doit elle-même se réformer et continuer à s’élargir. Mais, ne confondons pas le but et les moyens : dans tous les cas le but est de parvenir à une valorisation des femmes comme étant des personnes à part entières jouissant de leurs pleins droits au sein de la société.
Mais toute réforme de la Moudawana doit servir par tous les biais possibles la préservation de la famille dans le sens large du terme. C ‘est cette dimension humaine qui rentre en cause par la prise en compte non pas dogmatique, mais spirituelle, du référent religieux. Faisons en sorte d’obtenir non seulement le statut d’une femme occidentale d’aujourd’hui mais plus encore, la possibilité d’envisager la vie commune comme un moyen d’accomplissement. La réforme ne se doit pas d’être seulement juridique mais aussi spirituelle.
Ce creuset culturel est important. J’ai séjourné récemment à Smara et je me suis rendu compte à quel point la femme était valorisée dans notre culture hassani. Il y a certes un substrat anthropologique mais cela réfère aussi à des valeurs de la culture soufie dans laquelle l’archétype du féminin prend une importance majeure. Nous ne sommes plus seulement ici dans la technicité du Fiqh (la jurisprudence) mais dans des valeurs d’une certaine noblesse du comportement dont on retrouve la trace dans les civilisations les plus accomplies comme ce fut le cas dans l’Andalousie médiévale.
C’est d’ailleurs cet héritage qui est passé dans plusieurs régions du Maroc où la femme, et plus largement la figure du féminin, a une place de choix. Dans l’ancienne société fassie on disait que cette place prééminente était due à une prière du saint soufi Sidi Bou Jida. Tout cela pourrait prêter à sourire mais constituait une sorte de logiciel culturel populaire transmis à travers les générations.
Sur ces questions, il ne faudrait pas s’abîmer dans un simple juridisme, qui serait une forme de réductionnisme, mais mobiliser toutes les ressources spirituelles littéraires, poétiques, artistiques et philosophiques, qui magnifient cette hauteur et noblesse de relation et de comportement au sein de la famille, des relations humaines et sociales.
Ces valeurs d’Al Andalous étaient passées dans la culture occitane et provinciale, celle de la magnification du féminin chez les troubadours par exemple, pour donner les beaux jours d’une culture empreinte d’un comportement de noblesse et de considération. D’où le foisonnement de salons littéraires dominés par des grandes figures littéraires comme Madame de Sévigné etc…
Mais cette culture a fini par être laminée par une forme de réductionnisme social en Occident même. Peut-on maintenir le progrès social et juridique parallèlement à une culture de la reconnaissance et de l’« élévation » réciproques ? C’est aujourd’hui toute la question.
Ce dont il faut tenir compte au Maroc c’est que cette dimension spirituelle soufie et ses valeurs n’est pas née de rien. Elle est le fruit d’un paradigme historique et civilisationnelle qu’il faut faire entrer dans l’éducation dès les premiers âges. Il faut qu’une petite fille et un petit garçon puissent naître dans un paysage culturel et mental où ils puissent avoir une estime de soi, mais aussi et surtout celle de l’autre.
Autrement, on construit la société sous la forme d’un combat de tranchées dans le lequel personne ne trouve sa place et personne n’est heureux. A nous de mobiliser les ressources éducationnelles et culturelles pour construire une société différente sans tomber dans un conservatisme stérile.
Propos recueillis par Afifa Dassouli