Femme, apicultrice, gérante d’une exploitation agricole, présidente d’une coopérative et militante du développement durable et de l’émancipation de la femme, tel est le profil de Mme Souad Azennoud qui répond ci-après aux questions de La Nouvelle Tribune.
La Nouvelle Tribune : Mme Azennoud, vous faites de l’entreprenariat social, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?.
Mme Souad Azennoud : J’ai poursuivi des études en agroalimentaire, avant de travailler dans une multinationale du secteur pendant treize années. Puis, en 2002, j’ai lancé et développé une activité d’apiculture dans la ferme familiale.
J’avais gardé «un pied en ville» afin de répondre aux besoins d’éducation des enfants, tout en développant des activités génératrices de revenus par la valorisation de produits locaux dans la commune rurale de Kissane. Celle-ci est située dans le pays des Jbalas, c’est-à-dire de la tribu des Bni Ouariagel, dans le Pré-Rif.
Vous êtes donc engagée dans l’agriculture originelle, pouvez-vous nous en donner une définition?
Je préfère le terme d’agriculture durable, laquelle respecte notre environnement, ne pollue pas et préserve nos ressources naturelles et notre santé.
C’est d’ailleurs la base de l’agriculture familiale.
Et contrairement à ce qu’on croit, l’agriculture est surtout un métier de femmes.
En effet, dans de nombreuses régions de notre pays, les hommes partent durant des mois à la recherche d’un travail plus rémunérateur et c’est la femme qui assure les travaux domestiques, les corvées d’eau, mais également le travail aux champs.
En ce qui me concerne mon engagement se justifie par l’affection envers mes grands-parents, aujourd’hui décédés et mon père, et par respect pour leur implication si forte. Ils m’ont transmis l’amour de la terre et de la population rurale.
Ma chance d’avoir pu faire des études, m’a incité à penser que j’avais un devoir envers ma région natale et les personnes qui m’entouraient.
De plus, mon intérêt pour l’apiculture m’a sensibilisée à la météo, les plantes, la nature et la préservation des ressources. En effet, lorsqu’on s’intéresse aux abeilles, il faut immédiatement prendre en compte les dangers qui les menacent, mais aussi aux conséquences pour les générations futures, si l’on ne réagit pas.
C’est pourquoi, depuis 2006, je gère avec mes parents la ferme familiale en y développant la polyculture, le poly-élevage et le tourisme rural. Nous produisons du miel, de l’huile d’olive, du safran, des plantes aromatiques et médicinales, des légumineuses, des cultures fourragères, etc.
Etes-vous dans un cadre associatif pour réaliser cet engagement ?
Dans cette démarche de sauvegarde de la nature, on ne doit jamais rester seule. L’abeille va butiner loin. On doit donc sensibiliser la population à la déperdition de nos richesses et on ne peut le faire que si l’on créé des activités génératrices de revenus pour les gens. Je suis donc membre fondatrice de la coopérative agricole Ariaf Kissane. Celle-ci a une activité principalement dans la valorisation de l’huile d’olive. Cette coopérative produit une huile d’olive extra vierge depuis 2011 et elle est certifié BIO depuis 2013 tout en ayant obtenu l’autorisation de l’ONSSA.
J’ai travaillé pendant 2 ans pour que la coopérative puisse avoir cette habilitation et autant pour la certification biologique pour nos produits. Notre coopérative compte 23 personnes dont 35 % de femmes.
En 2008, j’ai introduit le tourisme dans notre ferme familiale et en 2010 j’ai suivi une formation en agro-écologie avec l’association Terre et Humanisme Maroc. Aujourd’hui, je suis l’une des animatrices en agro-écologie de THM.
J’ai aussi aidé à la création en 2013 d’autres coopératives dont la Coopérative Apicole Al Maraie Al Jabalia (sise à la Commune rurale de Kissane, Douar Kallaline).
C’est une coopérative de jeunes apiculteurs entre 20 et 35 ans.
Mais aussi en 2014 de la coopérative Bni Ouriaguel, sise à Kissane, Douar Bani Amar).
Cette coopérative s’intéresse à la protection de l’environnement et au renforcement des capacités des femmes à travers l’encouragement des initiatives de production et de valorisation des semences locales.
En 2015, j’ai participé à l’introduction du tourisme rural au sein de l’association locale Al Yanboua de sport, qui est devenue une association de sport, de l’environnement et du tourisme rural.
Quels sont les principes qui sous-tendent votre action? Comment la réalisez-vous?
Travaillez-vous dans le cadre d’un plan public de préservation de l’environnement ?
La tribu des Bni Ouriagel, d’ou sont issus mes grands-parents paternels, est connue pour son savoir-faire local au niveau agricole, tout en pratiquant le respect et l’équilibre des écosystèmes. Elle est connue également pour son savoir-faire au niveau des produits du terroir, culinaire, artisanal…
Pour comprendre l’importance de notre action, il ne faut pas oublier que ces dernières années dans plusieurs régions du Maroc, il y a eu une déperdition à tous les niveaux et le constat est alarmant. C’est ainsi qu’on déplore :
- Une perte des savoirs faires agricole, culinaire, artisanal, etc.
- Un exode des jeunes,
- Une perte des semences et de la biodiversité,
- Une forte érosion des sols et une déforestation, dues aux changements climatiques.
Dans le Pré-Rif, auparavant, le savoir-faire agricole, artisanal, de construction, permettait d’assurer une sécurité alimentaire, une cohésion sociale et la résilience aux changements climatiques.
Face à tout cela, peut-on accepter de rester les bras croisés et de voir le legs des anciens menacé? Sans vouloir me répéter, c’est ce me motive tous les jours dans mon travail pour une agriculture durable.
Quels sont les partenariats que votre coopérative a noués avec l’extérieur ?
J’essaye de me mettre en réseau avec les personnes et structures qui ont les mêmes visions que moi. Dernièrement, nous avons bénéficié d’un projet de sauvegarde des semences, impliquant surtout les femmes.
Ce projet, présenté par Terre et Humanisme Maroc, a été financé par l’ONU. On a pu former des femmes à la sauvegarde des semences de notre région, afin qu’elles plantent différentes variétés d’arbres et de plantes aromatiques et médicinales, qu’elles multiplient l’Origanum Compactum, qui est une plante endémique de la région et qui est en train de disparaître.
Ces femmes ainsi formées, ont également établi des haies vivantes pour les abeilles et assuré la richesse en biodiversité animale dans les jardins potagers.
Elles diversifient leurs légumes, préservent les semences locales, notamment le petit épeautre qui est maintenant cultivé par des femmes semencières.
Mais en plus, elles s’occupent de leurs terres en suivant les techniques agro-écologiques pour sauvegarder les sols
Est-ce que votre engagement est rémunérateur ou entièrement bénévole? Si oui, qui finance vos actions ?
Malheureusement, c’est un peu le coté financier qui ne suit pas.
Ce que je fais pour notre coopérative ou pour les autres dans notre région est bénévole. Mais au niveau de la ferme familiale, nous sommes en train de valoriser la structure.
Pour la coopérative agricole Ariaf Kissane, dont je suis la présidente, l’objectif est la valorisation de l’huile d’olive. Nous avons monté un projet où les adhérent(e)s participent aux côtés du ministère de l’Agriculture et l’INDH.
A ce titre, je dois saluer les efforts de l’INDH dans notre province de Taounate.
Actuellement, on cherche des financements, (300 000 dirhams) pour investir dans une machine de trituration afin de pouvoir rendre notre projet rentable.
Quels sont les résultats de votre travail?
Vous savez mes objectifs et mes souhaits se confondent. Je me retrouve à travailler dans tous les sens. Au-delà des résultats concrets je travaille pour :
- Contribuer à empêcher les jeunes de quitter les douars en exerçant des activités sur place.
- Garder les terres propres, sans intrants chimiques
- Faire évoluer les cultures vivrières en nouvelles activités génératrices de revenus.
- Faciliter l’autonomisation des femmes et surtout convaincre celles leaders, identifiées lors des formations, à aller de l’avant avec des activités génératrices de revenus.
- Intéresser d’autres femmes de la région pour cette agriculture durable car c’est la seule issue pour l’avenir avec les changements climatiques annoncés. Le Rif est fragile avec les problèmes de l’érosion des sols, la déforestation et l’exode des jeunes.
- Agir pur que la région soit moins enclavée et qu’elle ait sa part dans le développement.
- Faire de la ferme familiale un exemple des techniques agro-écologiques performantes dans la région.
- Intéresser les gens de la ville à venir séjourner chez nous. Avec le tourisme rural notamment, je suis certaine que les jeunes seront incités à rester dans la région et que les femmes seront plus autonomes.