M. Nourredine Bensouda, Trésorier Général du Royaume
En marge de la 16ème édition du Colloque International des Finances Publiques, organisée par la Trésorerie Générale du Royaume, en partenariat avec l’Association pour la Fondation Internationale de Finances Publiques (FONDAFIP), sous le thème « Vers une meilleure restructuration du modèle de la gouvernance financière publique au Maroc et en France », M. Noureddine Bensouda, Trésorier Général du Royaume, a répondu à nos questions autour de cette thématique cruciale pour le développement du Maroc.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli
La Nouvelle Tribune : M. Bensouda, la TGR et FONDAFIP, l’Association pour la Fondation Internationale de Finances Publiques, avez choisi pour la 16ème édition du colloque international des finances publiques, de continuer à travailler sur le modèle de la gouvernance financière publique au Maroc et en France. Le Maroc a-t-il suffisamment avancé en la matière pour partager les mêmes problèmes de gouvernance budgétaire que la France ?
M. Noureddine Bensouda : Les questions qui se posent dans le domaine des finances publiques demeurent plus ou moins similaires un peu partout dans le monde, en prenant en compte bien évidemment, les spécificités propres à chaque pays.
En plus, les systèmes financiers publics au Maroc et en France partagent globalement un socle commun de principes et de règles de gestion budgétaire et financière qui permet justement ce regard croisé entre les deux expériences de gouvernance financière publique.
En matière de modèle de gouvernance financière publique, le Maroc a effectivement réalisé des avancées significatives lui permettant de les partager avec d’autres pays, en vue de les consolider et de les enrichir.
Ces avancées concernent l’ensemble des composantes constitutives du modèle de gouvernance des finances publiques notamment, l’approche budgétaire axée sur les résultats et la performance, la mise en place de systèmes d’information intégrés dédiés à la gestion financière publique, la tenue des comptes publics selon la logique de la comptabilité d’exercice et la reddition des comptes.
Dans votre rapport introductif très exhaustif, vous faites un bilan très positif de l’amélioration de la gestion des finances publiques au Maroc qui de fait est déjà engagée, pouvez-vous nous parler des grands axes de ce processus ?
Effectivement, la gestion des finances publiques a permis au Maroc, durant les 25 dernières années, de mobiliser les ressources nécessaires pour faire face à l’effort sans précédent, consenti en matière d’investissement public dans les domaines des infrastructures de base indispensables pour soutenir le développement économique de notre pays.
La bonne gestion des finances publiques a également rendu possible la mise place de la vision de Sa Majesté Le Roi que Dieu L’assiste, d’un Etat social et solidaire, à travers notamment la généralisation de la protection sociale, la réforme du système national de santé et la mise en œuvre du programme de l’aide sociale directe.
C’est d’ailleurs grâce à cette bonne gestion financière publique, que notre pays a pu faire face notamment à la crise économique et financière de 2008, à la crise sanitaire de la Covid-19, aux impacts du tremblement de terre d’Al Haouz et aux effets de la sécheresse et du stress hydrique.
Il demeure entendu que notre modèle de gouvernance des finances publiques nécessite d’être repensé et renouvelé en permanence en vue de son amélioration, compte tenu des évolutions de l’environnement mondial et national. C’est d’ailleurs l’objet même de cette édition du colloque.
La TGR a joué un rôle important dans la numérisation des process d’exécution des dépenses, leur centralisation et le traitement et analyse des recettes, dans quelle mesure ces avancées sont-elles à la base de la rationalisation budgétaire ?
La Trésorerie Générale du Royaume dispose effectivement de systèmes d’information performants, intégrant tous les acteurs financiers publics, avec des procédures et des opérations digitalisées depuis la mise en place des crédits et/ou la prise en charge des recettes jusqu’à leur intégration au niveau de la comptabilité et leur justification auprès des juridictions financières.
Il va sans dire que la performance de ces systèmes, conjuguée à leur interopérabilité et à la dématérialisation qui les sous-tend, ont largement contribué aux avancées enregistrées en matière de rationalisation budgétaire et d’optimisation de notre système financier public.
Cela est perceptible en termes de fluidification des échanges entre acteurs, de réduction des délais de traitement des transactions et surtout, en termes de traçabilité et de transparence, indicateurs majeurs de déclinaison des principes constitutionnels de responsabilisation et de reddition des comptes.
Vous dites dans votre rapport introductif que « les recettes ordinaires de l’Etat demeurent toujours insuffisantes pour couvrir les dépenses de fonctionnement et d’investissement », pensez-vous que le modèle de la gouvernance financière publique, peut réduire cette différence ?
Partout dans le monde, la tendance générale en matière de finances publiques est que le déficit budgétaire est devenu structurel du fait que le taux de couverture des dépenses par les recettes s’amenuise de plus en plus, en raison de la forte demande sociale en biens et services publics.
Le Maroc ne fait pas exception à cette tendance compte tenu des besoins sociaux et du volume des dépenses dédiées par les pouvoirs publics notamment à l’investissement en termes d’infrastructures de base nécessaires pour le développement de notre pays.
Bien évidemment, l’amélioration de notre modèle de gouvernance publique peut aider à mobiliser des ressources supplémentaires, à prioriser et à optimiser les dépenses publiques et par conséquent, réduire le gap entre les flux de recettes et de dépenses de l’Etat.
Vous dites aussi que les décisions en finances publiques sont également politiques, du fait qu’elles déclinent les programmes des gouvernements »; dans quelles mesures ces priorités freinent-elles la rationalisation de la gouvernance publique ?
En effet, les finances publiques sont éminemment politiques dans le sens où la loi de finances qui représente une déclinaison annuelle du programme du gouvernement est préparée par celui-ci, examinée et autorisée par les représentants de la Nation au parlement et exécutée par l’administration.
La préparation de la loi de finances ne signifie pas que tous les projets et chantiers du programme du gouvernement seront réalisés en une seule année. De ce fait, la priorisation des politiques publiques constitue un des leviers essentiels de la bonne gouvernance, en vue de réduire le déficit et la dette et d’améliorer la soutenabilité des finances publiques.
En effet, face à la rareté des ressources pour répondre à l’augmentation des demandes des citoyens en biens et services, il devient nécessaire de prioriser les projets et les chantiers publics, surtout dans un contexte national marqué par l’élan de développement économique et social que connait chaque pays.
Question 6 : Sa Majesté le Roi dans son discours du trône a dit: «… les défis auxquels est confronté notre pays nous commandent de redoubler d’efforts et de vigilance, de concevoir des solutions innovantes, de subordonner les modèles de gestion aux règles de bonne gouvernance ». A ce titre, est-ce que par exemple le recours au secteur privé à travers les partenariats public privé, une expérience en cours, contribue à améliorer la gouvernance des finances publiques ?
Il est clair que dans le contexte actuel de sortie des différentes crises et leurs impacts sur les finances publiques, l’Etat seul ne peut pas faire face aux exigences de développement du pays, notamment en termes de dépenses d’investissement.
Le secteur privé doit participer en augmentant davantage sa part dans l’effort d’investissement national.
Le partenariat public privé peut constituer un facteur de participation du secteur privé, appelé à réaliser des projets d’infrastructures comme c’est le cas par exemple dans le domaine du dessalement de l’eau de mer.
Toutefois, il faudrait que l’administration dispose des compétences humaines et des connaissances requises pour négocier les contrats de partenariat public privé et contrôler leur réalisation effective sur le terrain, en vue de sauvegarder l’intérêt général et les ressources publiques.
La réforme de la loi organique des finances en 2015 a efficacement contribué à améliorer la gouvernance financière publique au Maroc, mais un projet de réforme de cette loi est en cours, en quoi consistera-t-il ?
La loi organique des finances adoptée en 2015 reflète en grande partie la mise en œuvre des principes constitutionnels en termes de transparence, de performance et de reddition des comptes.
La loi organique des finances, comme toutes les lois d’ailleurs, ne sont pas immuables. Elles s’inscrivent dans le contexte dans lequel elles ont été pensées et déclinées et sont appelées à être mise à jour, en tenant compte des tendances économiques, sociales et au niveau mondial.
Le projet de réforme de la loi organique des finances tel qu’il a été présenté au parlement, par le ministère de l’économie et des finances obéit à cette logique.