Mme Sabah Bennouna est une figure bien connue de la société civile nationale et particulièrement dans le combat pour les droits de la Femme et l’égalité des genres. Dans l’entretien qui suit, elle développe des idées pertinentes sur le rôle de la société civile dans le contexte actuel et l’action des ONG.
La Nouvelle Tribune :
Quel peut être le rôle de la société civile et de ses organisations pour une meilleure inclusion sociale et la cohésion qui en découlerait ?
Mme Sabah Bennouna :
Le Maroc indépendant a fait le choix, orienté par l’héritage colonial, d’une économie libérale dont les effets n’ont pas permis de répondre aux défis d’une société en quête d’équilibre et d’égalité.
La réflexion au niveau national sur les exigences d’inclusion et de cohésion sociales pour un développement durable prend son sens aujourd’hui dans les complémentarités et des alternatives appropriées, voir urgentes en vue d’intégrer la population marginalisée dans un marché soumis aux aléas des échanges et de contexte de pandémie.
La société marocaine depuis l’avènement de l’indépendance connait le poids des inégalités mais où s’affirme également la participation des forces citoyennes dans une action d’aide et de promotion sociales accompagnant l’Etat et concourant à la réalisation de projets socioéconomiques.
Dans un rapport de l’institut Prometheus pour la démocratie et les droits humains, aux fins d’évaluation du potentiel, la viabilité ainsi que les contraintes du développement des organisations de le société civile (OSC) conclut à un indice de pérennisation faible s’établissant à 4,7 en 2019, pour notre pays.
En causes l’environnement juridique, la capacité organisationnelle, la viabilité financière, le plaidoyer, la fourniture de service, l’infrastructure et l’image publique des OSC tout en reconnaissant leur rôle : pilier de la construction démocratique et la promotion des droits humains ; particulièrement à l’ère des nouvelles technologies de l’information.
Les interventions de ces différentes organisations de la société civile ont emprunté essentiellement trois voies avec une pérennité aléatoire : la sensibilisation à la défense des droits humains, la quête pour la dignité pour toutes et tous et la promotion d’un développement durable.
Les ONG ont-elles joué un rôle dans la sensibilisation aux droits et actions de plaidoyer pour la démocratie et l’Etat de droit ?
L’histoire du Maroc indépendant, jalonnée de luttes pour la démocratie, a connu une évolution constitutionnelle marquée de changements qui n’auront eu d’effet de consécration textuelle d’une démocratie participative qu’en juillet 2011.
De près de 200.000 associations au Maroc, à la lecture des derniers chiffres parus en 2020, nombreuses celles dont l’action n’est pas réellement visible et encore moins évaluable. Il n’en demeure pas moins que le mouvement associatif dans notre pays a inscrit des lettres d’engagement dans les pages de l’histoire marocaine, du fait d’organisations pionnières marquant une évolution dans les rapports de pouvoir à la société civile.
Bien que l’élite dirigeante s’approprie l’appareil de l’État, y compris la politique des droits humains, les plaidoyers d’associations chefs de file du mouvement pour l’Etat de droit a, de toute évidence et contrairement à certaines assertions, réduit du poids de l’immobilisme culturel; pour ne citer, à titre d’exemple, que les actions pour la promotion des droits des femmes.
Dans le contexte de la crise sanitaire, la société civile a-t-elle pu assumer une action caritative et de solidarité envers les plus démunis ?
La mention de la faible contribution des associations au PIB, n’excédant pas 1% et son peu d’implication pendant la pandémie COVID avancées par certains ne couvre pas toute la réalité des actions de terrain. La spécificité du contexte marocain ne permet pas, en effet d’assener des conclusions hâtives, le bénévolat étant une conduite sociale et citoyenne affirmée, sans être un fait comptable inscrit dans un quelconque livre ou registre.
La société civile n’est pas l’Etat et la gestion des menaces, risques et catastrophes naturelles met au front d’abord les pouvoirs publics. Le concours des associations a été limité par les règles dictées par les instances scientifiques, imposant le confinement.
Il n’en reste pas moins que ceux et celles qui sont au service citoyen, au quotidien sur le terrain, n’ont cessé de transporter les malades, d’accompagner leurs familles et d’aider financièrement, au-delà du fonds COVID.
Les entreprises adhérentes de la CGEM, ou indépendantes des organisations professionnelles ont versé des participations dans ce fonds et elles sont partie de la société civile.
Il y a lieu de rappeler toutes les actions caritatives d’associations ou d’individus ; mécènes connus et reconnus ou d’invisibles, cultivant religieusement une discrétion honorable ont, et ce depuis des décennies, allégé pour de nombreuses familles et personnes déshéritées les affres de la pauvreté.
Des noms ont porté l’aide à autrui non pas dans l’esprit de la bienfaisance mais dans la lettre de mission et de devoir. Un devoir de reconnaissance est dû à ceux et celles qui, depuis l’indépendance, se sont relayés pour que les autres ne restent pas les oubliés du vivre ensemble.
Les citer serait un exercice périlleux, au risque de commettre le péché d’un oubli inconséquent.
Mais comment ignorer les noms de hajj Mohamed Sekkat, Mohamed Mjid, Aicha Alaoui Terrab et bien d’autres, mobilisant les bonnes volontés pour des interventions de tous genres et toujours pour les autres, au respect de la concitoyenneté positive.
Minimiser la place et le rôle de la société civile, dans les limites de chiffres incertains serait inconsidéré. Les associations sont certes confrontées à des règles et des procédures juridiques à reconsidérer, des problèmes de logistique, de compétences et de moyens ne leur autorisant pas des interventions publiques magistrales, et encore moins de contributions budgétaires. La question à poser est de savoir si ces organisations n’existaient pas aurions-nous connu la même stabilité ?
Société civile et ONG sont-elles opératoires pour l’accomplissement des objectifs du développement durable à l’horizon 2030 et notamment à travers l’INDH?
L’inclusion et la cohésion sociales devant résulter de la réalisation des 17 objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030 sont parfaitement assimilées par des associations ayant reçu une assistance pour le renforcement des compétences de leurs organisations ; ce n’est pas général, mais la participation est une culture à promouvoir par une volonté politique certaine et une éducation d’appropriation de la participation citoyenne.
Cette philosophie a présidé au lancement de l’INDH contre la pauvreté, la précarité et la vulnérabilité.
L’INDH est un projet qui est de société qui a transformé d’abord le rapport des hommes et des femmes en situation précaire à l’assistance sociale : Prendre leur destin en main et s’initier à la prise de plus de risque en matière de création de projets ou ce qui est communément appelé activités génératrices de revenus (AGR).
Des petites entreprises (TPE) ou des microentreprises en sont nées, permettant à leurs porteurs de s’assumer comme producteurs ou productrices de biens ou de services.
En 2018 une évaluation d’impact des politiques publiques de développement humain au Maroc a conclu aux progrès mesurés dans les termes suivants :
• La pauvreté extrême a disparu ;
• La pauvreté monétaire a diminué à 4,8% contre 15,3% en 2001 ;
• La pauvreté multidimensionnelle a reculé : 6,1% contre 25% en 2001 et demeure un phénomène rural ;
• Meilleure avancée dans la réalisation des (OMD) ;
Ces conclusions émanent des sources gouvernementales, si elles s’avèrent correspondre à des mesures exactes il serait juste de rappeler que ce sont des associations partenaires qui ont, et continuent à le faire, œuvré pour la réalisation des projets de l’INDH, de ceux des fondations des entreprises empruntant une politique RSE (responsabilité sociale des entreprises).
La société civile comme l’État ne peuvent se satisfaire de certains progrès tant les 17 objectifs (ODD) ne sont pas atteints globalement et dans leur mesure certaine.
Le projet de couverture sociale annonce une avancée dans ce sens pour ceux et celles démunis, sans une ressource permanente régulière qui assure à la fois leur subsistance au quotidien mais aussi la préservation de leur santé.
C’est un potentiel qu’on met en place pour créer de la production ; retrouver une meilleure acuité visuelle a permis à des femmes, par exemple, de reprendre leurs travaux manuels après des années d’arrêt faute de moyens pour une simple cataracte.
Les caravanes médicales, organisées par des associations et des médecins bénévoles sillonnent nos contrées, même les plus lointaines, dans un élan de solidarité remarquable.
Le concours des (OSC) est salutaire et un Etat providence et protecteur est garant des sécurités de ses citoyens, particulièrement les populations les plus vulnérables : les jeunes et les femmes en situation difficile.
La situation de veuvage, le recul du mariage, du fait de l’âge ou de rupture du contrat font que des femmes se retrouvent dans une situation sociale et économique précaire, obligées d’être à même de trouver leurs propres moyens de survie; quand elles ne sont pas tenues de subvenir aux besoins de leurs familles quel que soit leur statut matrimonial.
L’accompagnement de ces femmes, au-delà des pers perspectives de la couverture sociale, est le fait d’associations œuvrant pour leur autonomisation économique, organisées désormais en fédération RESOFEM. Les objectifs assignés à cette nouvelle structure sont pour l’essentiel :
• L’analyse des tendances qui affectent l’inclusion des femmes dans tous secteurs confondus et leurs participations au développement économique, social, culturel et environnemental.
• La contribution active à l’instauration des conditions nécessaires au défi de la démocratie, aux exigences de la transparence, de la libre concurrence, d’une justice fiscale et sociale et la lutte contre les violences et les pratiques discriminatoires.
• La valorisation des initiatives féminines en tant que facteurs de développement économique, social, culturel et environnemental durable de création de richesses et d’emplois
• La mise à disposition des associations fondatrices tous les services leur facilitant leur développement mutuel.
• La mise en relation et recherche de partenariat avec des partenaires marocains ou étrangers.
• La promotion et participation à la mise en œuvre d’une politique générale de développement de l’entreprenariat féminine au Maroc basée sur l’égalité des chances.
• La contribution à la valorisation de l’image de la Petite entreprise en favorisant le travail productif des femmes et en renforçant l’éthique de l’acte d’entreprendre ainsi que sa dimension citoyenne.
• L’action pour la promotion des femmes dans les sphères de décision, dans les fonctions de représentations institutionnelles électives et représentatives ainsi qu’une présence paritaire dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises publiques, mixtes et privées.
Cette initiative fédérative a l’avantage de mutualiser les efforts des associations pour un impact plus conséquent de leurs actions, revendiquant par ailleurs, de par les instances élues davantage de volonté d’implication dans le cadre d’une démarche participative effective.
Entretien réalisé par
Afifa Dassouli
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