Mme Amal Idrissi, DG de l’OMTPME
À l’occasion de la parution du nouveau rapport annuel sur les TPE et PME marocaines par l’Observatoire marocain qui leur est dédié, Mme Idrissi Amal, Directrice de l’Observatoire marocain de la TPME (OMTPME), nous détaille dans cet entretien accordé à La Nouvelle Tribune les démarches continues et les efforts déployés pour élaborer un recensement précis et pertinent des entreprises marocaines concernées, les nouveautés de l’édition présente, et les pistes de développement futur de l’Observatoire.
La Nouvelle Tribune : L’OMTPME a récemment publié son dernier rapport annuel, qui a introduit de nouveaux indicateurs sur les entreprises marocaines. Pourriez-vous nous présenter ces principales nouveautés ?
Mme Amal Idrissi : Le dernier rapport annuel se démarque par son analyse novatrice, introduisant de nouveaux indicateurs pour appréhender la réalité des entreprises marocaines. En particulier, l’OMTPME a élargi son spectre analytique en présentant une vision inédite de l’emploi par genre, de la répartition selon les tranches de salaires, et de l’accès au financement en fonction du genre des dirigeants.
Nous avons également pu constituer des séries et analyser leurs évolutions en exploitant au mieux les données dont nous disposons au niveau des indicateurs démographiques, économiques et financiers.
Cette démarche, offre une compréhension approfondie des dynamiques économiques, positionnant ainsi ce nouveau rapport comme un instrument essentiel pour les pouvoirs publics, les acteurs du monde des affaires et les décideurs stratégiques au Maroc.
Quels sont les indicateurs dont l’évolution depuis votre rapport précédent vous a le plus interpellée ? Pourquoi ?
Parmi les indicateurs suscitant l’attention ressort l’enregistrement de 9.740 dissolutions en 2022. Ce résultat traduit une nette progression de près de 18% par rapport à l’exercice précédent et de 27,8% par rapport à 2019, touchant la totalité des régions à l’exception de Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Une augmentation aussi marquée dans le nombre de dissolutions soulève des interrogations essentielles quant aux dynamiques économiques sous-jacentes, incitant à une exploration approfondie des facteurs contribuant à cette évolution.
Un autre indicateur préoccupant, est la répartition des emplois par genre, faisant ressortir des disparités importantes entre les genres. Ainsi, 33% des emplois sont occupés par des femmes contre 67% pour les hommes, les salaires moyens se sont élevés à 5.051 DH pour les femmes et 5.616 DH pour les hommes. Ces moyennes sont tirées vers le haut par les hauts salaires qui restent exceptionnels (2,6% des employés perçoivent un salaire supérieur à 20.000 DH), la médiane étant de 2.876 DH pour les femmes et 2.971 DH pour les hommes.
L’examen des salaires déclarés au titre de 2022 montre également que 76% des employés ont perçu une rémunération n’excédant pas 4.000 DH et 44% une rémunération inférieure 2.800 DH. Ces chiffres témoignent de l’ampleur du sous-emploi qui s’explique par l’emploi temporaire et à temps partiel.
Les inégalités entre les genres sont reflétées également par le nombre des entreprises dirigées par des femmes, la part de celles-ci, dans l’effectif total des entreprises, étant limitée à 16,2% en 2021.
La donnée est la fondation-même du travail de l’OMTPME. Vous avez mis en place des groupes de travail avec vos principaux fournisseurs de données, comme la BAM ou la CNSS. Quels en sont le fonctionnement et les objectifs ?
La donnée constitue un pilier fondamental de notre action. De ce fait, l’OMTPME établit des collaborations actives avec des partenaires de premier plan tels que BAM, OMPIC, DGI, CNSS et Ministère de l’Industrie et du Commerce. Ces partenariats vont au-delà de la simple collecte de données, s’inscrivant dans une démarche d’enrichissement continu qui permet de réaliser des avancées significatives. Cette démarche concerne la complétude des données, leur analyse et interprétation, ainsi que la cohérence des résultats.
Le fonctionnement de ces groupes de travail repose sur des échanges réguliers et des protocoles d’apprentissage sur les données. En adoptant cette approche collaborative, les partenaires agissent en étroite collaboration pour atteindre des objectifs doubles : assurer la fiabilité des données et maintenir une actualisation constante des bases. Ce processus de collaboration reflète ainsi les évolutions du paysage économique, garantissant la pertinence dans l’ensemble de nos activités.
Vous mettez en exergue le fait que l’OMTPME travaille sur des bases de données exhaustives, plutôt qu’à travers des échantillons. Quels sont les avantages de vos méthodes par rapport aux autres ?
Habituellement, des échantillons sont utilisés pour mener des études économiques. Cependant, la force de l’OMTPME consiste en la possibilité d’accéder à des bases de données quasi exhaustives sur les TPME à partir des bases de données des administrations productrices de données sur l’entreprise. En recourant aux techniques de la science des données et du big data, l’OMTPME peut traiter d’importantes masses de données. L’avantage de l’utilisation d’une population quasi exhaustive fournit une image fidèle de la situation, accroît la précision et diminue considérablement la marge d’erreur par rapport à l’échantillonnage généralement employé.
Il faut noter aussi que la base de données consolidée quasi-exhaustive permet de constituer des échantillons plus représentatifs, ce qui permet d’améliorer ainsi les enquêtes.
A titre d’exemple, l’Observatoire a travaillé en étroite collaboration avec les équipes de l’INPPLC pour cadrer les besoins de l’enquête menée sur « la perception, les attitudes et les pratiques anticorruption des entreprises au Maroc », et fournir ainsi un échantillon représentatif comprenant des entreprises relevant de différents régimes fiscaux, totalisant 3.300 entreprises, de différentes tailles et représentant les 12 régions du Royaume, avec une qualité ayant permis de réduire ainsi la marge d’erreur à moins de 3%.
Nous contribuons également à une enquête menée par la Banque Mondiale sur l’adoption des technologies par les entreprises.
Et nous avons collaboré aussi avec la GIZ qui mène une enquête nationale pour comprendre les difficultés auxquelles font face les TPME lorsqu’elles souhaitent se digitaliser en fournissant un échantillon représentatif des entreprises à partir de la base de données consolidée de l’OMTPME.
D’année en année, à travers vos partenariats, vous étoffez et diversifiez vos sources de données. Quels sont les autres partenariats envisagés par l’OMTPME dans les années à venir ?
Insufflant une dynamique stratégique à nos partenariats futurs, l’OMTPME s’engage activement dans l’établissement de collaborations de premier plan. Actuellement, des partenariats sont en cours de déploiement avec des institutions de renommée telle que l’OCDE et la BAD. Cette initiative consiste à fournir des statistiques sur les entreprises et à réaliser des études économiques approfondies.
Par ailleurs, nous poursuivons nos collaborations avec le ministère de l’Economie et des Finances / DEPF, le FMI et la Banque Mondiale. Ces alliances prospectives ont pour objectif d’explorer des aspects clés de l’écosystème socio-économique.
Parallèlement, des institutions africaines, telles que la délégation sénégalaise de l’Agence de Développement et d’Encadrement des PME (ADEPME) et la délégation de l’Agence Nationale pour la Promotion des investissements au Gabon (ANPI), ont sollicité l’Observatoire afin de bénéficier d’une assistance technique pour la création d’institutions similaires à l’OMTPME dans leurs pays respectifs.
Ces partenariats sont une promesse pour l’enrichissement substantiel de notre palette de production, conférant ainsi une dimension plus large à nos analyses économiques.
L’une des missions de l’OMTPME est d’assister les décideurs dans leurs prises de décisions en leur fournissant des données précises sur lesquelles s’appuyer. À quelle fréquence les ministères et organismes publics font-ils appel à vous ? Cette fréquence évolue-t-elle d’année en année ?
Au cœur de notre mission, l’assistance aux décideurs publics se concrétise à travers nos publications, notamment les rapports régionaux, les rapports annuels et les études sur des thématiques spécifiques. Ces travaux fournissent aux pouvoirs publics des outils d’aide à la décision, qui peuvent être utilisés pour l’élaboration de programmes et de politiques publiques. Par exemple, la signature d’une convention de partenariat avec le Ministère de l’Inclusion Économique, de la Petite Entreprise, de l’Emploi et des Compétences, et l’A.N.A.P.E.C, qui s’inscrit dans le cadre du programme « Ana Moukawil », vise à soutenir 100 000 entrepreneurs d’ici l’échéance de l’année 2026. Dans ce contexte, l’OMTPME met son expertise dans le domaine du traitement des données au service du Ministère et de l’Agence afin de fournir des outils décisionnels, contribuant ainsi à la réussite de cette initiative d’envergure.
Ce type de requêtes émanant des ministères et organismes publics devient de plus en plus fréquent en parallèle avec l’élargissement du périmètre des études, et le développement des capacités et expertise de l’Observatoire. Cette dynamique reflète la confiance envers l’OMTPME et souligne la valeur stratégique que nos productions apportent aux processus décisionnels.
Propos recueillis par Selim Benabdelkhalek