Mme Amal Idrissi, DG de l’OMTPME
L’Observatoire marocain de la TPME (OMTPME) est dédié à la collecte de données précises et complètes sur le tissu entrepreneurial marocain. Mme Idrissi Amal, sa directrice, nous présente dans cet entretien accordé à La Nouvelle Tribune le diagnostic des TPME marocaines.
La Nouvelle Tribune : Bonjour, Mme Idrissi. Pouvez-vous nous parler des défis actuels rencontrés par le tissu entrepreneurial au Maroc ?
Mme Amal Idrissi : Bonjour. Le tissu entrepreneurial au Maroc fait face à des turbulences, accentuées par des crises successives telles que la Covid, les enjeux géopolitiques, et les défis climatiques. Ces épreuves ont engendré des variations notables dans le nombre d’entreprises créées.
Pourriez-vous approfondir sur les variations sectorielles ?
Certainement. Les créations d’entreprises ont chuté dans des secteurs cruciaux comme les transports, le commerce, et l’industrie manufacturière. En revanche, d’autres secteurs, notamment l’immobilier et les activités financières, ont enregistré des hausses notables.
En parallèle, les dissolutions d’entreprises ont augmenté. Quels sont les secteurs les plus touchés ?
Effectivement, les dissolutions ont connu une hausse significative, avec des secteurs tels que le commerce, la réparation d’automobiles, la construction, et l’hébergement-restauration concentrant la majorité de ces dissolutions. Il est pertinent de noter que plus de la moitié des entreprises en cours de dissolution avaient une existence inférieure à cinq ans, soulignant les défis persistants pour les jeunes entreprises.
Vous avez évoqué lors de la présentation de votre rapport annuel la problématique du sous-emploi au Maroc. Quelles sont les tendances actuelles ?
La situation du sous-emploi en 2022 se caractérise par une répartition inégale des salaires. En effet, avec 75,8% des employés percevant moins de 4 000 DH, et 44% touchant des salaires ne dépassant pas 2 800 DH. Ce phénomène est principalement lié au caractère à temps partiel et saisonnier des emplois, entravant l’atteinte du salaire minimum requis. Les femmes sont davantage touchées, avec une majorité percevant des salaires inférieurs au seuil de 2.800 DH. Les entreprises de moins de 10 ans rémunèrent environ la moitié de leurs employés en dessous de ce seuil, avec des disparités entre les petites et grandes entreprises. Globalement, la part des emplois féminins reste limitée, avec des variations régionales. Au niveau sectoriel, les secteurs de la « production d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné » et des « activités financières et d’assurances » affichent une plus grande proportion d’employés gagnant plus de 10 000 DH, comparativement aux autres secteurs, avec des pourcentages respectifs de 33,1% et 47,9%.
Concernant maintenant la question du crédit bancaire pour les TPME. Quelle est la situation actuelle de la dette financière des entreprises au Maroc ?
À la fin de 2021, la dette financière des entreprises était principalement concentrée dans le crédit bancaire, soulignant sa prédominance. Cependant, en 2022, une évolution positive a été observée avec une augmentation du nombre d’entreprises bénéficiant de crédits. Les micro-entreprises constituent une part importante des bénéficiaires, bien que leur part de l’encours total soit limitée. Il faut noter que les entreprises de plus de 10 ans représentent une part significative de l’encours total du crédit bancaire. La proportion des entreprises dirigées par des femmes dans l’encours total des crédits reste faible, atteignant seulement 13,6%. Elles représentent également 13,4% de l’ensemble des effectifs des entreprises étudiées.
Pour rester sur la question de l’entrepreneuriat féminin au Maroc, quelle est la situation actuelle et quelles tendances observez-vous ?
L’examen des données de l’Observatoire montre une augmentation du nombre d’entreprises dirigées par des femmes par rapport à 2020. Les microentreprises affichent la part la plus élevée de l’entrepreneuriat féminin, dépassant la moyenne globale. Par ailleurs, les régions de Marrakech-Safi et Rabat-Salé-Kenitra affichent les parts les plus élevées d’entrepreneuriat féminin.
Y a-t-il des disparités sectorielles dans l’entrepreneuriat féminin ?
Effectivement, il est intéressant de constater que les secteurs tels que la santé, l’enseignement et d’autres activités de service voient une plus grande présence d’entreprises dirigées par des femmes. Par exemple, dans le domaine de la santé, on remarque que 11,3% d’entre elles se concentrent dans la branche d’activité « Autres activités pour la santé humaine ». De même, dans le secteur de l’enseignement, environ 20,9% des entreprises dirigées par des femmes sont concentrées dans la branche « Enseignement divers ». Enfin, dans le domaine des soins de beauté, 24,1% des entreprises dirigées par des femmes opèrent dans la branche « Coiffure et soins de beauté ».
Pour ce qui est de l’aspect régional, quels constats pouvez-vous faire sur la répartition géographique des entreprises au Maroc ?
Malgré une légère diminution par rapport à 2020, la région de Casablanca-Settat demeure le principal pôle économique du pays, accueillant une part significative des entreprises. D’autres régions telles que Fès-Meknès, Souss-Massa, Béni Mellal-Khénifra et Drâa-Tafilalet ont connu une croissance démographique significative de leurs tissus productifs, avec des variations dans la répartition des secteurs et des disparités notables dans les créations d’entreprises et les dissolutions.
Comment toutes ces données collectées et traitées par l’OMTPME peuvent-elles aider au développement du tissu entrepreneurial marocain ?
L’exploitation des données et la production d’indicateurs et d’outils d’aide à la décision sur les TPME au Maroc revêt une importance cruciale pour plusieurs acteurs. Tout d’abord, ces outils permettent aux TPME elles-mêmes de mieux comprendre leur positionnement sur le marché, d’identifier leurs forces et faiblesses, et de prendre des décisions éclairées pour leur développement. Pour les ministères et organismes gouvernementaux, disposer d’outils sur les TPME apporte une aide à la formulation de politiques économiques adaptées, favorisant ainsi un environnement propice à la croissance de ces entreprises. En outre, les régions peuvent utiliser ces indicateurs pour concevoir des politiques locales spécifiques, prenant en compte les caractéristiques et les besoins spécifiques des TPME dans chaque zone, contribuant ainsi à une croissance économique plus équilibrée et inclusive. En somme, l’exploitation des données et la production d’indicateurs sur les TPME alimentent un écosystème où la prise de décisions éclairées stimule le développement du tissu productif, tout en contribuant à l’élaboration de politiques gouvernementales mieux ciblées.
Entretien réalisé par Selim Benabdelkhalek
Encadré : Les chiffres de l’OMTPME
- Le nombre d’entreprises créées a connu un recul de 10,9%, totalisant 93.550 nouvelles entités.
- Les créations d’entreprises personnes morales ont enregistré une diminution dans des secteurs stratégiques, avec des baisses respectives de 27%, 8,5%, et 3,4%, et des hausses allant jusqu’à 35,2% dans d’autres secteurs.
- Les dissolutions d’entreprises personnes morales ont augmenté de près de 18%, atteignant 9 740 en 2022, avec plus de la moitié ayant une existence inférieure à cinq ans.
- 75,8% des employés gagnent moins de 4 000 DH, 44% touchent des salaires ne dépassant pas 2 800 DH.
- Le sous-emploi affecte davantage les femmes que les hommes, avec 51,2% des employées femmes touchant un salaire inférieur à 2 800 DH.
- Les entreprises de moins de 10 ans rémunèrent environ la moitié de leurs employés à moins de 2 800 DH.
- La dette financière des entreprises est principalement concentrée dans le crédit bancaire, représentant 99,5% du total.
- En 2022, le nombre d’EPMA non financières bénéficiant de crédits a augmenté de 10,6%, totalisant 141 876 entreprises, avec un encours total de 609,8 milliards de dirhams.
- 42,7% du montant total du crédit bancaire est alloué aux TPME, malgré leur représentation à plus de 98,5% de la population étudiée.
- Les EPMA dirigées par des femmes ont bénéficié d’un montant de crédit de 63,5 milliards de dirhams, représentant 13,6% de l’encours total.
- 49 675 entreprises sont dirigées par des femmes, enregistrant une hausse de 3,8% par rapport à 2020.
- Les microentreprises ont enregistré la part la plus élevée de l’entrepreneuriat féminin en 2021, représentant 16,7% de leur effectif.
- La région de Marrakech-Safi et Rabat-Salé-Kenitra enregistrent les niveaux les plus élevés d’entrepreneuriat féminin, avec 19%, 18,8%, et 17% respectivement.
- La région de Casablanca-Settat maintient son statut de principal pôle économique, accueillant 37% de l’ensemble des EPMA.
- La région de Dakhla-Oued Eddahab affiche le taux de progression le plus élevé dans les créations d’entreprises, soit 20,4%.
- Toutes les régions, sauf Tanger-Tétouan-Al Hoceima, ont enregistré une augmentation des dissolutions, avec une hausse marquée dans les régions du Sud, Marrakech-Safi, et Béni Mellal-Khénifra.